Édition du 17 décembre 2024

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Le Monde

L’idéologie de la suprématie blanche ne se trouve pas que dans les coins les plus obscurs du NET

Blâmer Internet pour les tueries de masse est une bien naïve illusion.

En un moment où l’histoire est arrosée de sang et le futur miné par une crise déjà écrite, 49 musulmans.es ont trouvé la mort en Nouvelle Zélande, exécutés.es par un suprématiste blanc. Un homme a été accusé de meurtre et d’autres sont interrogés quant à leur implication dans l’événement et les noms des victimes n’ont pas été dévoilés.

Brendan O’Connor, The Nation, 15 mars 2019
Traduction, Alexandra Cyr

Le débat est ouvert sur l’interprétation à donner aux deux fusillades de Chritstchurch provoqué par l’apparente pauvreté de jugement des médias sur le tireur. Il a diffusé ses exécutions sur Facebook. La vidéo s’est immédiatement répandue sur les réseaux sociaux. Il a préparé un manifeste farci de termes réactionnaires typiques de cette culture sur Internet. Il cite directement les tristement célèbres « 14 mots », (du slogan de David Lane, écrivain, militant nationaliste et suprématiste blanc : Nous devons assurer l’existence de notre peuple et un avenir pour les enfants blancs. Ce slogan est repris par le White Power depuis les années 80). Avec des références à des créatures médiatiques et de jeux vidéo peu sérieuses, il déforme sa propre présentation exaltée qui transporte des contradictions dans sa culture, le poison ironique du troll qui a hâte de tuer ses ennemis.es : les mulsulmans.es et leurs enfants, les gens de gauche, et n’importe qui qui menacerait le maintien de la suprématie blanche européenne.

À l’ouverture de la vidéo on voit un homme qui salue le tireur dont l’arme apparait avec des messages suprématistes blancs à l’adresse des gens de la mosquée : « Salut frère » ! Ils étaient déjà tombés sous ses balles à ce moment-là.

Que faire de cela ? Comment structurer cela ? Que reproduire et qu’est-ce qu’il faut ne pas publier ?

D’abord appelons ça par son nom. Ce n’est pas un canular, une provocation ou quelque conversation intervenue spontanément sur Internet. C’est le produit logique de la répandue idéologie de la suprématie blanche, qui a abouti à au moins la 3ième attaques ou tentatives d’attaques contre les gens de couleur et les Juifs.ves au cours des derniers 6 mois. Se demander comment quelqu’un.e qui s’oppose férocement au racisme, au fascisme et à la xénophobie peut réagir, donne le tournis. Le poids de notre responsabilité envers les familles des décédés.es et envers chacun.e de nous, est écrasant. Dans son « Discours sur le colonialisme », Aimé Césaire écrivait en 1955 : « En vérité il est des tares qu’il n’est du pouvoir de personne de réparer et que l’on a jamais fini d’expier ».

Et les experts.es et analystes entrent dans le jeu avec tout leur poids. On va sagement nous rappeler de ne pas oublier qu’une grande partie de tout ça a été conçu comme une farce, que les « communautés » auxquelles il appartient emploient un langage « extrémiste » dans l’intention de choquer. D’autres vont nous demander de ne pas nous arrêter sur les mots parce que ce serait succomber à ce qu’il veut ; que ses actes peuvent être associés à de la haine non politique et que demander d’où vient cette haine c’est la « normaliser » ou la « légitimer ».

Les élites libérales et conservatrices publient leurs dénonciations habituelles de la haine et de la violence. Les réactionnaires par ailleurs hésitent à dénoncer un homme qui les a plus ou moins pris au sérieux. Le présumé tireur a intitulé son manifeste « Le grand remplacement », une référence directe au livre du même titre du polémiste français Renaud Camus qui a déclaré au Washington Post qu’il condamnait les attaques à Christchurch.

Extraits du Washington Post 

Quand on lui a demandé s’il croyait que son idée de « grand remplacement » avait été bien interprétée par le public en général et par les politiciens.nes d’extrême droite et leurs partisans.es, il a répondu que non : « Devant le fait que les gens prendraient conscience de la substitution ethnique qui progresse dans mon pays ? Non, au contraire. Il a ajouté qu’il gardait espoir que le désir d’une contre révolution contre la colonisation actuelle de l’Europe allait augmenter ». C’est une référence à l’augmentation des populations non blanches. Il ajoute : « J’espère que ça se renforcera ». Il soutient que : « cette apparente colonisation démographique » est « 20 fois plus importante que la colonisation européenne n’a été en Afrique par exemple ».

De Christchurch au comté de Lackawanna (en Pennsylvanie) les changements démographiques provoquent une anxiété fondamentalement et inéluctablement raciste. Que ce soient les politiciens.nes démocrates qui financent la machine à expulsion, ceux et celles de gauche qui se présentent comme objectifs en plaidant le nationalisme, ou les conservateurs.trices qui tous les jours se plient à l’hostilité envers les immigrants.es, toutes ces actions mènent à l’eugénisme et aux politiques du nationalisme blanc.

C’est précisément cette réalité qui rend le discours actuel sur la « radicalisation » si étroit. Que signifie, décrire un homme qui simplement porte la logique de l’impérialisme occidental, de la colonisation de peuplement et de la soit disant guerre à la terreur, comme sujet à la « radicalisation » ? L’islamophobie n’est pas une croyance marginale mais le cœur de l’impérialisme américain (soutenu par les deux Partis politiques). Il y a eu des millions de morts et la Nouvelle Zélande, pour lointaine qu’elle soit avec sa beauté pastorale, ne peut pas revendiquer l’ignorance.

Encore une fois, si sa présentation donne quelques renseignements, le tireur était clairement inscrit dans le monde des réactions digitales comme Robert Bowers (le suspect dans l’attaque de la synagogue de Pittsburgh en 2018 avec 11 morts) et ses semblables. Mais la suprématie blanche n’est pas l’apanage de mauvaises personnes qui ont de mauvaises idées sur le monde ; elle a dessiné notre monde la main dans la main avec les forces constitutives du capitalisme et du patriarcat et au niveau le plus fondamental. Ses machinations ont été largement masquées au grand public sauf à ceux et celles qu’elle cible. Mais elles avancent quand même et réduisent l’essentiel des gens de couleur à moins que rien.

Comme la tradition du marxisme noir l’a longtemps reconnu, les guerres finissent toujours par arriver chez-nous. Alors que les Européens nient la brutalité et le barbarisme de la colonisation, Aimé Césaire écrit : « une gangrène est installée, un centre d’infection se propage ». Christchurh nous montre combien profondément la pourriture est encore présente.

Les idées qui ont animé ce tueur ne sont pas sorties d’un tas de vidanges toxiques ou de quelque profondeur que ce soit du Web ni non plus de la section commentaires de YouTube. Ce sont plutôt des siècles de violences qui nous ont menés.es jusqu’ici. Et elles obtiennent de la notoriété dans les pages de The Altlantic et du New York Times quand David Frum ( ancien auteur des discours de G.W. Bush et éditorialiste de droite réputé) écrit que l’augmentation de l’immigration à « fait éclater » le pays ou que Ross Douthat (chroniqueur de droite au New York Times qui a qualifié Pinochet de chance pour le Chili) veut que Stephen Miller( impossible de trouver exactement de qui il est question ici) fasse partie de la discussion pour faire « un programme qui dure » en matière de réforme de l’immigration.

Les meurtriers comme celui de Nouvelle Zélande ne sont pas des fantômes venus d’un passé lointain ni un écart dans notre présent civilisé mais des exécutants des hiérarchies actuelles, les funestes présages de ceux et celles qui voudront prendre leur revanche plus tard.

Au Gardian, un musulman fidjien qui était à la mosquée Al Noor, déclare : « Je suis heureux, je suis vivant. Je suis en Nouvelle Zélande depuis peu et à la mosquée on trouve des amis, une famille. Nous ne sommes plus en sécurité, nous ne sommes plus en sécurité ».

Voilà les enjeux, la lutte : briser l’emprise du fascisme, de la suprématie blanche partout où ils les ont installés que ce soit sur Internet ou ailleurs avant qu’ils ne nous étouffent à mort.

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