En plus d’être usé à la corde, le disque de M. Ménard est une copie conforme de celui des lucides et des gros bonnets du Québec. Les articles de nos perroquets s’assimilent à des plogues et à de l’infopublicité.
Prenons le cas du très sérieux Devoir qui, le 1er mars, publiait : « Jacques Ménard enjoint aux syndicats de réformer l’État. Les droits acquis bloquent tout changement. » Et le 18 septembre 2003, le même journal titrait : « Pour retrouver l’élan des années de la Révolution tranquille. Sous-traitance : Jacques Ménard appuie les réformes de Charest. » Exactement les mêmes platitudes afin de soi-disant « moderniser » l’État. Déréglementation du marché du travail, privatisation et tarification accrue de nombreux services publics sont au menu.
Je m’adresse à mes amis journalistes : Dites-moi où est la nouvelle ? Et la banque TD qui en rajoute : « Les Québécois devront faire des sacrifices » (La Presse, 2 septembre 2009). Les victimes de la crise doivent payer en lieu et place des responsables.
Parlons justement de droits acquis des travailleurs, M. Ménard, dont le salaire réel a diminué au cours des 30 dernières années (en pleine période de croissance économique), dont les avantages sociaux ont fondu et que leurs impôts et taxes ont explosé. Et l’Institut de la statistique du Québec qui répète chaque année que le salaire des fonctionnaires, incluant leurs bénéfices marginaux, est toujours inférieur à celui du privé. Mais faut les dégraisser encore plus, selon votre évangile corporatif. Pendant ce temps, les impôts et taxes des entreprises ont diminué considérablement et la rémunération des dirigeants a atteint des niveaux franchement indécents.
M. Ménard, faudrait-il, dans votre modèle, sabrer les parachutes dorés et blindés des patrons ? Pourriez-vous nous dire quelle est votre rémunération annuelle incluant la valeur de vos options d’achats d’actions, dont la moitié seulement est imposable, et quelle sera votre pension annuelle à votre retraite ? Me semble que pour être pris au sérieux, faut commencer d’abord par donner l’exemple et couper dans le gras et les privilèges de la caste supérieure.
À propos des banques canadiennes, la prestigieuse revue internationale The Economist mentionne qu’elles forment « un oligopole confortable. Il en résulte que les Canadiens paient plus cher qu’ailleurs pour leurs services financiers et qu’il y a peu de place pour l’innovation » (Les Affaires, 22 mai 2010).
L’innovation, n’est-ce pas votre dada ? M. Ménard, peut-on assimiler « vos » coûteux services financiers à du « taxage » et à des impôts levés par le privé ? Parlant de la « rigueur » des banques, il est bon de souligner qu’« Ottawa garantit trois prêts hypothécaires sur quatre » (Le Devoir, 5 février 2010) et que les banques d’État, comme la Banque de développement du Canada et Investissement Québec, prennent à leur charge les prêts plus risqués aux PME. Puis les milliards de dollars que nos chères banques canadiennes et leurs importants clients détournent annuellement dans les paradis fiscaux (où elles comptent des milliers de filiales) sans payer aucun impôt au pays laissant le soin aux travailleurs de payer à leur place. Est-ce que cela fait partie de votre État moderne qui accroît notre productivité ? J’aimerais tellement avoir votre opinion afin d’éclairer mes lanternes.
Le Devoir du 25 février dernier titrait : « Vers une saison de profits records des banques »… comme à l’habitude, même en pleine période de crise. Puis La Presse du 18 novembre 2009 signalait : « Les entreprises sortent de la crise en pleine forme », tellement que, selon Statistique Canada, « leur santé financière n’a jamais été aussi bonne depuis 40 ans ». Et, enfin, La Presse du 24 février mentionnait : « Les entreprises canadiennes restent très rentables. »
Dans votre projet de société, aucun sacrifice n’est évidemment demandé aux compagnies très rentables, bien au contraire, il faut diminuer leurs impôts et taxes et leur donner un meilleur accès aux paradis fiscaux en réduisant leurs formalités et la paperasse. Puis-je, avec votre permission, avoir de sérieuses réticences au bien-fondé de votre modèle ? Ne pourrait-on pas, M. Ménard, faire comme en Europe et taxer les banques et les bonus de leurs dirigeants plutôt que taxer ceux qui se sont appauvris au cours des trente dernières années ? Drôle de société, on défiscalise les riches tout en les inondant de subventions publiques et on taxe la classe moyenne qui est endettée jusqu’au cou.
Ah ben, ça parle au diable. Dans un article de La Presse du 4 juin 2010 intitulé : « Productivité : Le Canada traîne la patte même si, selon l’ex-économiste en chef de la banque TD, Don Drummond : “De 2002 à 2007 [et encore davantage depuis], le dollar canadien était fort, les taxes sur le capital et l’impôt sur le revenu des sociétés ont reculé et que les bilans des entreprises se sont améliorés. Bref, le moment pour investir était parfait.” » Mais le privé n’a pas investi pour se moderniser, préférant verser de gros dividendes à leurs actionnaires et racheter à coup de milliards de dollars leurs propres actions. Et le gouverneur de la Banque du Canada qui affirme : « Productivité : La performance des entreprises est lamentable, s’inquiète Mark Carney » (Le Devoir, 25 mars 2010).
M. Ménard, Don Drummond et Mark Carney ne sont pas des gauchistes endurcis du Plateau Mont-Royal ! Après, vous osez venir nous faire la leçon et demander aux travailleurs et à la population d’accepter des salaires et des bénéfices marginaux moindres et de payer plus d’impôts, de taxes et de tarification de services publics, tout ça relié à la nécessité de moderniser la révolution tranquille qui nous confine à l’immobilisme. Vaut mieux en rire, n’est-ce pas ?
Terminons par une autre drôle venant de vous-mêmes, M. Ménard, qui avez mentionné que, contrairement à P.K. Péladeau de Quebecor, vous n’avez pas « de bibittes ou d’appréhensions existentielles à l’égard du monde syndical » (Le Devoir, 22 janvier 2010). Facile à dire quand il n’y a pas de syndicats dans les cinq grandes banques canadiennes. Vous appelez ça flexibilité et souplesse du marché du travail, ce qui permet aux banques de « flusher » plus facilement des milliers d’employés même en période de profits records, comme dans cet article du Devoir du 1er février 2007 que j’ai retracé juste pour vous : « La Banque de Montréal supprime 1000 emplois », même si elle venait d’engranger 2,6 G$ de profits en 2006. Ces congédiements ont permis à votre banque de renforcer son bilan et d’engranger plus de bénéfices pour votre mieux-être économique et celui de vos actionnaires. Vous appelez ça « création de richesse ».
J’oubliais… M. Ménard, l’organisme de recherche ultra-libéral du Fraser Institute, dont votre institution contribue généreusement (déductible d’impôts), a mentionné que le Québec était le champion canadien des subventions aux entreprises… et aux banques et cela perdure depuis longtemps. Par exemple, le Fraser Institute a affirmé que le Québec versait 6 G$ par année en aide gouvernementale aux compagnies contre seulement 3 G$ annuellement en Ontario.
Pourtant, cela devrait rendre le Québec nettement plus productif que les autres provinces. Dans les faits, comme l’a mentionné l’ancien vérificateur général du Canada, Denis Desautels, « les subventions aux entreprises sont des bars ouverts » qui coûtent très cher aux contribuables et ne servent qu’à entretenir grassement des assistés sociaux corporatifs. Vous n’avez fait aucune recommandation à cet effet dans votre plaidoyer.
Il y a aussi d’autres éléments que vous avez omis, comme modifier la fiscalité québécoise afin d’éliminer plusieurs privilèges fiscaux consentis aux bonzes (comme les options d’achat d’actions) qu’ils considèrent comme des droits acquis et aussi abolir, comme en Ontario, les 400 M$ que Québec versent chaque année aux écoles privées. Je suis disponible pour vous rencontrer en tout temps afin de compléter vos connaissances. Évidemment, la consultation sera gratuite. Ça fait partie du temps que je consacre au bénévolat.
Cet article est tiré du site web du journal Métro