Édition du 19 novembre 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Élections fédérales 2015

L'élection, théâtre de la démocratie

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Avec ses décors en carton-pâte, son jeu souvent forcé, ses enjeux frivoles, l’élection fédérale prend parfois des airs de théâtre d’été dont la représentation n’en finirait plus de finir. Heureusement, en fin de parcours, la théâtralité laisse place à la belle et inébranlable démocratie. En effet, lors d’une élection, le peuple est appelé à voter et à décider de son destin. N’est-ce pas là quelque chose de profondément noble que de voir la démocratie s’exprimer ?

En théorie, bien sûr. Mais parlez-en à la Grèce pour voir !

Celle-ci a beau avoir élu un parti anti-austérité et gagné un référendum contre l’austérité, ses créanciers lui ont tout de même lancé un « non » catégorique et lui ont imposé une austérité encore plus sévère, question peut-être de la punir d’avoir eu le culot de faire un référendum. Comme disait Theodor Ludwig Wiesengrund-Adorno, si voter devait changer le système, ce serait illégal. Est-ce dire que notre « moins pire système » serait un simulacre de démocratie plus pernicieux que les autres, puisqu’il laisse supposer un poids politique réel ? Est-ce que Étienne Chouard [1] a raison lorsqu’il affirme que « Le fait de nous imposer de désigner des maîtres est une supercherie. Cela donne un résultat ploutocratique, avec les riches qui dirigent depuis 200 ans. » ?

Si voter est certes un geste admirable de citoyenneté, reste qu’avec le pouvoir et l’argent en jeu, mais aussi avec les lobbyistes qui s’activent, les sondages à la méthodologie douteuse, le quatrième pouvoir qui s’en mêle, rien ne va plus pour la démocratie. Sommes-nous à ce point naïfs ou alors conscients-consentants ? « L’adulte ne croit pas au père Noël. Il vote », blaguait Pierre Desproges, tandis que Michel Chartrand affirmait qu’il faut être abruti pour se croire dans un pays démocratique.

Nous avons parfois l’impression, au Québec, de jouir d’un plus grand impact lorsque nous votons à l’émission La Voix. Là, au moins, nous contrôlons quelque chose. Est-ce parce que l’on a enfin l’impression que notre vote sert à quelque chose, si futile en soit l’enjeu, que Star Académie et Occupation double sont des succès aussi retentissants ?

Par ailleurs, même une fois élu, un gouvernement majoritaire, de par notre fonctionnement britannique, peut faire, à quelques exceptions près, tout ce qu’il entend, et ce, sans consulter le peuple.

Prenons l’exemple du projet de pipeline Énergie Est. Qu’importe si les québécois sont majoritairement contre, tout indique que les pétrolières ont le gros bout du bâton pour imposer leur pétrole. Il existe des douzaines d’articles, reportages et enquêtes sur la façon dont la classe politique laisse littéralement les pétrolières et les banquiers écrire certaines lois, des lois qui démolissent l’environnement, les droits civils, l’économie, les services publics et la classe moyenne. Jack Abramoff, un célèbre lobbyiste américain, se vantait [2] en riant, émerveillé de constater à quel point c’était d’une facilité déconcertante que « d’acheter » des politiciens pour écrire ses lois. Quelques billets de spectacles offerts et puis hop !, c’était chose conclue, affirmait-il. Des billets de spectacle en échange d’influence, cela vous rappelle-t-il la commission Charbonneau ?

Ce n’est pas bien différent au Canada. Les grandes pétrolières, pour parvenir à leurs fins, tirent les ficelles du Gouvernement actuel en lui dictant quoi inclure dans ses projets de lois. Greenpeace révélait en janvier 2013 [3] que les têtes dirigeantes des quatre grands groupes pétroliers du pays ont écrit à Joe Oliver et au Ministre de l’environnement Peter Kent pour leur demander des changements dans la loi afin de reconsidérer les directives environnementales en vigueur. Quelques mois plus tard, le projet de loi « mammouth » C-38 venait de manière historique saccager une multitude de lois sociales, économiques et environnementales. Tout cela pour faire le jeu du lobby pétrolier, lobby que Stephen Harper a d’ailleurs rencontré près de 3000 fois de 2008 à 2012.

Et qu’importe si M. Harper devait laisser sa place de Premier ministre : soulignons que le principal chef de cabinet de Justin Trudeau, son bras droit, n’est d’autre que le lobbyiste pétrolier Cyrus Reporter [4]. Bonnet blanc, blanc bonnet. On dit parfois que la politique est complexe, mais c’est un mythe. La politique est relativement simple et son exercice consiste à déterminer qui paye qui pour prendre quelle décision.

Parallèlement, l’un des adages du métier de journaliste, c’est follow the money. Alors que s’écrivent une multitude d’articles traitant de la burqa ou du niqab, il n’y a malheureusement presque aucun article sur les lobbyistes et leur impact néfaste sur notre société et nos institutions. C’est relativement pareil en France, où les médias ne parlent que trop peu des vrais enjeux, ce qui aura provoqué une récente montée de lait de la part de Jean-Luc Mélenchon [5] en lien avec les 2900 suppressions d’emplois survenues chez Air France.

Au-delà des jeux de pouvoir et de coulisse, il demeure pourtant qu’une meilleure démocratie est possible, par et pour le peuple. À quand une démocratie où il serait possible d’organiser de réels référendums d’initiative populaire et où on procéderait au tirage au sort de nos politiciens ? À quand une démocratie où « nous voterions nos lois nous-mêmes, un homme une voix, pour voter les lois, pas pour désigner des maîtres », comme le souligne Étienne Chouard ?

Le mythe de l’élection est très puissant. C’est même devenu un intouchable, une vache sacrée, dans nos sociétés occidentales. Il est pourtant nécessaire de le remettre en question et de réinventer l’élection –et la démocratie- afin de mettre un terme à l’impuissance politique et sociale actuelle des peuples.
À quoi bon voter, si c’est pour obéir aux ordres de nos dirigeants par la suite ?
Aujourd’hui, nous sommes rendus ailleurs.

Texte collectif*

Signataires :

*Étienne Boudou-Laforce, Paco Lebel, Normand Baillargeon, Guillaume Wagner, Dan Bigras, Jean-François Mercier, Ianik Marcil, Patrick R. Bourgeois, Marc-André Cyr, Frédéric Dubé, Sébastien Trudel, Sarah Labarre, Catherine Dorion, Véronique Grenier, Étienne Savignac, Jonathan Durand Folco, Ken Pereira, Vladimir De Thézier, Brice Dansereau-Olivier, Marie-Laurence Rancourt, Steve E. Fortin, Matthieu Bonnier, Roxanne Guérin, Philippe Dujardin, David Rankin, Stéphane E. Roy, Pascal Allard, Renart Léveillé, Bianca Longpré, Evelyne Abitbol, Dominic Palladini, Karim Akouche, Virginie Chaloux, Ludvic Moquin-Beaudry, Jean-François Lessard, Jérôme Peer-Brie, Tanya St-Jean, Mélodie Nelson, Benoit St-Hilaire, Jean Bottari, Victor-Lévy Beaulieu, Laura Kneale, Marilyn Bastien, Nabila Ben Youssef, Michel Seymour, François Avard, Christian Bégin, Audrey Benoit, Mathieu Charlebois, Nathaly Dufour, Émile Proulx-Cloutier, Léa Clermont-Dion, Jean-François Fortin, Jules Falardeau, Kim Lizotte, Pierre Huet, Mohamed Lotfi, Mike Ward, Kéven Breton, Nicolle J. Charbonneau, Léandre Plouffe, Matthieu Bonin, Mathieu Breton, Yanick Barrette, Geneviève Houde, Helen Faradji, Christian Rochon, Klô Pelgag, Fredolini, Laurent Paquin, Jason Keith Mailley, Michel Dion, Therese Barbier, Louise Latraverse, Rodolphe Demers, Émilie Laliberté, Eugénie Paradis-Charrette, Mario Jean (vidéaste), Charles Picard-Duquette, Jean-François Daoust, Benjamin Gingras, Vincent Gagné, Marc Daoud, Guy Perkins, Serge Sardinha, Philippe Brach, Mathieu Coulombe, Françoise Pelletier, Jici Lauzon, Isabelle Le Pain, Fanny Bloom, Bernard Beausoleil Chartrand, Ghislain Taschereau, Cécile Riel (@frogsarelovely), Dave McMillan (JoeBeef), Edouard Guay, Michel Trudeau, Michelle Blanc, Maxime Charbonneau, Koriass, Alain Farah et François Bellefeuille.Daniel Thibault, Pénélope McQuade et 99% medias.

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