Édition du 19 novembre 2024

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Le blogue de Pierre Beaudet

L’autre histoire du Canada - L’économie politique biaisée du capitalisme canadien

Jusque dans les années 1950, Montréal était la métropole démographique et économique du Canada. Cet édifice s’est progressivement écroulé aux lendemains de la Deuxième Guerre mondiale. Avec les travaux d’aménagement du fleuve Saint-Laurent (à coup de milliards), Toronto et la couronne de villes industrielles d’Oshawa à Windsor ont pris leur envol, surtout qu’ils détenaient une longueur d’avance dans les industries ascendantes de l’époque, dont l’acier et l’automobile. Ce déplacement a laissé Montréal derrière avec ce qui était devenu des secteurs en déclin comme le vêtement, le textile, le meuble et l’industrie légère en général. Il n’y avait rien de « naturel » dans cette évolution puisque les choix imposés par Ottawa ont été derrière le boom ontarien.

Deuxième acte, le secteur financier, qui était centré à Montréal notamment avec la Banque de Montréal, a lui aussi migré vers Toronto. Parmi les causes était la volonté du gouvernement québécois, surtout à partir des années 1960, de réorganiser l’économie québécoise autour de l’énergie (la nationalisation d’Hydro-Québec a été combattue par les grands cartels financiers) et du secteur public. Pendant la « grande noirceur », Duplessis et sa voyoucratie se contentaient de laisser les décisions macroéconomiques aux requins de la finance de ce qu’on appelait alors « St James Street » (la rue Saint-Jacques) à Montréal.

La montée des luttes sociales et nationales dans les années 1970 ont convaincu ce qui restait de grands capitalistes anglo-canadiens d’abandonner le bateau québécois qui, par ailleurs leur échappait de plus en plus de par l’action de l’État et l’essor de Québec Inc. En 1976 lors de l’élection du PQ, une grande partie des cadres, entrepreneurs et professionnels anglo-québécois ont déserté le Québec, incapables de contempler le fait qu’ils ne pouvaient plus vivre comme avant, au pays du « speak white »…

C’est alors que se sont conjugués plusieurs facteurs négatifs pour le Québec. Plusieurs secteurs de pointe nous ont échappé, pendant que les grandes banques profitant énormément de de la financiarisation de l’économie à partir des années 1980 ont fait de Toronto l’un des deux ou trois plus importants centres financiers de l’Amérique du Nord.

Outre quelques « fleurons » dans l’aéronautique et les technologies de l’information, l’économie québécoise s’est plutôt mal diversifiée, en gardant une assez forte dépendance des secteurs exportateurs de ressources. Grand « terrain de jeux » de l’est nord-américain, Montréal a réussi à se recycler vers le secteur « festif » qui apporte beaucoup d’argent à quelques grands opérateurs, mais peu d’emplois stables et qualifiés.

Récemment dans le sillon de la crise nord-américaine de 2008, l’État fédéral ne s’est pas gêné d’appuyer à coups de milliards les industries ontariennes, le secteur pétrolier de l’ouest et même la vacillante économie de Terre-Neuve, tout en laissant quelques misérables dollars pour les secteurs québécois à risque comme l’industrie forestière et papetière.

Aujourd’hui, la bataille est loin d’être terminée. Le secteur financier de Toronto tient à limiter, voire à réduire la portée de la Caisse de dépôts et de placement et à centraliser les flux financiers notamment dans le secteur de l’immobilier, un projet qui semble « naturel » pour le gouvernement actuel de Justin Trudeau dont l’objectif fondamental est de ravaler le Québec au point où il ne sera plus capable d’influer sur les grands flux économiques.

Par rapport aux « fleurons » québécois, les grands médias et les associations patronales canadiennes exercent une puissante pression sur le gouvernement fédéral pour qu’il réduise ses investissements, comme on l’a vu avec Bombardier. À mon avis, Bombardier est malheureusement géré par un clan familial aux pratiques douteuses. Mais si Toronto mène une guerre contre Bombardier, ce n’est pas pour cela. Car les fleurons canadiens connaissent un degré élevé de népotisme, de copinage avec l’État canadien et d’accointances criminelles (dans le secteur minier notamment), qui n’ont rien à envier aux traficotages provenant de grandes entreprises québécoises.

Derrière tout cela se cache très mal l’idée de plus en plus dominante au sein de l’establishment économique et politique du Canada de réorganiser le capitalisme autour de l’axe Toronto-Calgary-Vancouver, laissant le Québec glisser vers le statut d’une grosse province maritime.

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