André Gramont : Peut-on évaluer les réserves existantes en gaz de schiste ou est-ce que tout cela n’est que chimère ?
José Bové : Je pense qu’aujourd’hui les évaluations données par les compagnies sont de pures spéculations, qui ne s’appuient pas sur une réalité mais uniquement sur la multiplication des kilos de gaz possibles par les surfaces de sous-sol en roche de schiste. On est donc dans un cadre spéculatif qui n’a pas de réalité chiffrée. De plus, les compagnies pétrolières reconnaissent qu’elles ne peuvent pas récupérer plus de 10 % à 20 % du gaz emprisonné. C’est donc très aléatoire.
Solenne : Les recherches de gaz de schiste ont-elles commencé en France ?
Le ministère de l’environnement, à l’époque Jean-Louis Borloo, a signé des permis de prospection avec un certain nombre d’entreprises. Les premiers permis ont été accordés en mars, les derniers, en août.
Aujourd’hui, ces permis recouvrent entre un dixième et un huitième du territoire national. Les entreprises, à partir de ces permis, font des recherches géologiques à partir des documents miniers existants, puis lanceront des prospections sismiques pour vérifier que ce qui figure sur les documents est là, dans le sous-sol. Après ces deux phases, il y a un potentiel de forages de prospection à partir duquel ils verront si leurs attentes seront récompensées.
Pour l’instant, selon le calendrier, prévu, c’est le permis de Villeneuve-de-Berg (Ardèche) qui est le plus en avance et qui pourrait être le premier sur lequel des camions viendraient faire des prospections sismiques.
Paloma : Pouvez-vous nous expliquer ce qui distingue l’extraction classique du gaz naturel de celle du gaz de schiste ?
Le gaz naturel est exploité en allant chercher des nappes, des poches de gaz dans le sous-sol. En France, par exemple à Lacq, il y a eu une exploitation pendant plusieurs décennies de gaz naturel qui était dans les poches.
Avec le gaz de schiste, le gaz est prisonnier dans la roche. Et pour l’extraire, il faut faire exploser la roche. C’est la technique dite de fracturation, qui se fait en injectant de l’eau sous très haute pression, additionnée de produits chimiques qui permettent d’ouvrir la roche. C’est donc suite à ces fracturations que du gaz peut s’échapper de cette roche. Pour extraire du gaz de schiste, il faut faire des forages très rapprochés, tous les 200 à 500 mètres.
Stéphane : Quels sont les dommages prouvés ou avérés de ce nouveau type de production de gaz ?
Pour l’instant, les éléments d’étude proviennent des Etats-Unis, mais aussi du Canada. Aux Etats-Unis, notamment dans la région de Pennsylvanie, où ces gaz ont été exploités, et dans d’autres régions, on a vu à la fois des pollutions de nappes phréatiques par la technique de la fracturation, puisque les tuyaux de fracturation se sont lézardés, et l’eau sous très haute pression, chargée de produits chimiques et de gaz, s’est répandue dans les nappes phréatiques. Il y a aujourd’hui, dans certaines communes des Etats-Unis, des milliers de personnes qui n’ont plus accès à l’eau potable.
Un des problèmes majeurs liés à cette pollution des nappes, c’est que les firmes pétrolières ont refusé de donner la liste des produits chimiques utilisés pour la fracturation au ministère de l’environnement des Etats-Unis, sous prétexte de brevet industriel. Ce qui pose évidemment des problèmes pour pouvoir évaluer les pollutions et les conséquences sur la santé publique.
D’autres problèmes existent aussi, en surface : il faut stocker l’eau qui a servi à la fracturation et qui est chargée de produits chimiques (chaque fracturation consomme entre 15 et 20 millions de litres d’eau, et il faut répéter cela plusieurs fois avant d’exploiter). Cette eau polluée, il faut ensuite l’évacuer et la stocker dans des bassins grands comme des terrains de football, car cette eau ne peut pas revenir dans le circuit de traitement des eaux usées.
Autre pollution importante, au niveau des territoires, car il faut forer de manière rapprochée, il faut des routes très larges pour les camions qui doivent accéder à chaque puits pour amener les produits chimiques et l’eau, et pour évacuer les produits chimiques. Pour cela, il faut des routes d’au moins 15 mètres de large, et le problème posé en termes d’infrastructures sera très important, d’autant plus que l’exploitation des puits ne dure pas plus de cinq à six ans.
Geoffrey : N’est-il pas incroyable que les permis d’exploration aient été délivrés par le ministère sans même que les collectivités locales n’en aient été informées ?
Je suis tout à fait d’accord avec votre remarque. C’est scandaleux que M. Borloo, le père du Grenelle de l’environnement, ait agi de la sorte.
Le débat n’a eu lieu ni à l’Assemblée nationale, ni au Sénat, ni au Conseil économique et social. Et quand les permis ont été signés, l’Etat ne s’est même pas donné la peine de prévenir les collectivités locales concernées. Ni les mairies, ni les conseils généraux, ni les conseils régionaux, ni les parcs régionaux, ni le parc national des Cévennes.
L’Etat a véritablement décidé de l’omerta en espérant que personne ne réagisse. C’est aujourd’hui la seule analyse qu’on puisse faire, ou alors il faut dire qu’ils sont irresponsables et n’ont pas étudié le dossier.
Maaramu : L’exploitation du gaz de schiste concernera très peu de pays en Europe, donc quelle peut être la voix de l’Europe sur ce sujet ? D’autant que grâce à ces ressources, le prix du gaz va baisser ou sera stable, donc ce sera tout bénéfice pour les consommateurs européens. Mais peut-être êtes-vous pour une augmentation du prix de l’énergie, ce qui entraînera une précarité énergétique pour les plus fragiles.
Le problème est de savoir si le gaz de schiste sera une énergie de substitution au gaz naturel ou au pétrole dans les dix à quinze ans à venir. Cela n’a jusqu’à présent fait l’objet d’aucun débat scientifique sérieux. Les seuls qui affirment qu’il y a des réserves et que leur exploitation pourra se faire sans problème sont les compagnies pétrolières.
C’est pourquoi, en même temps que nous demandons l’arrêt des permis de prospection, nous demandons un débat public au niveau national et au niveau européen sur la question de l’énergie et sur une prospection à 30 et 50 ans, à la fois des besoins, mais aussi des modes de production et des conséquences.
Car aujourd’hui, on ne peut plus traiter cette question sans en même temps évaluer l’émission de CO2, que la France s’est engagée à réduire de 20 % à 30 %, comme l’ensemble de ses partenaires européens. Le débat aujourd’hui sur l’énergie est indispensable avant toute mise en avant d’une technologie par rapport à une autre.
Romain : Quelles sont les entreprises françaises qui sont sur ce marché, ces entreprises sont-elles déja connues et si oui avez-vous un avis sur elles... ?
Pour l’instant, les deux entreprises françaises qui ont obtenu des permis sont Total d’un côté, et GDF-Suez de l’autre. Ces entreprises sont adossées à des entreprises américaines déjà engagées de l’autre côté de l’Atlantique dans l’exploitation du gaz de schiste. Une autre entreprise a obtenu un permis d’exploration pour de l’huile de schiste sur le Bassin parisien. Il s’agit de Toreador, dont le dirigeant est M. Balkany.
Bleuen : La France exige-t-elle la communication de la liste des produits chimiques utilisés pour l’extraction ?
Pour l’instant, aucune étude française, et aucun cahier des charges, n’ont été mis en avant par le ministère de l’environnement dans ce dossier. Le ministère de l’environnement dira qu’il met en place des études environnementales
uniquement quand les demandes de puits d’exploration se feront. On est donc à mon avis dans une situation pas du tout prospective, et j’engage Mme Kosciusko-Morizet, ministre de l’écologie et du développement durable, à se joindre à nous pour demander, au nom de son ministère, l’annulation des permis d’exploration tant que l’ensemble des données ne seront pas transparentes et que les risques environnementaux n’auront pas été évacués.
NM : Pourquoi le problème du pic pétrolier n’est-il pas plus présent dans le discours des écologistes ? Ne pensez-vous pas que l’après-pétrole devrait être l’un des thèmes majeurs de la campagne de 2012 ?
Je pense effectivement que la question du pic pétrolier est une des questions importantes à moyen et long terme, et qu’elle nécessite une véritable stratégie de lutte contre le gaspillage des matières fossiles pour une meilleure efficacité énergétique et pour le développement d’énergies alternatives renouvelables. Cela ne pourra se faire que dans un cadre européen, avec un budget de la recherche conséquent.
Amis de la Terre Midi-Pyr : Puis-je refuser les forages exploratoires sur un terrain qui m’appartient ?
Dans le cas du gaz de schiste, ce n’est pas le code civil qui prédomine, mais le code minier. Donc le sous-sol appartient à l’Etat, et en cas de demande de forage sur une propriété privée, l’Etat sera obligé d’exproprier le propriétaire.
Carole : En tant que député européen, pensez-vous pouvoir utiliser les pétitions contre les forages de gaz de schiste qui circulent pour que le Parlement européen se prononce sur le problème ? Que peuvent faire les députés européens pour arrêter ces projets de forage ?
On envisage de lancer une pétition au niveau européen dans le cadre de la nouvelle procédure qui est autorisée par le traité de Lisbonne. Nous allons donc en même temps, au niveau des députés européens, lancer un intergroupe avec d’autres formations politiques et d’autres pays, notamment de l’Est, concernés par les projets de prospection, pour organiser à ce niveau-là aussi le débat et, à terme, la suspension dans un cadre européen de cette exploitation.
Dominique : Si l’on parvient à sécuriser les techniques d’extraction des gaz de schiste pour préserver l’environnement, ce gaz se révèle beaucoup moins polluant que le charbon. Qu’en pensez-vous ?
Il est un peu tôt pour le dire. Certaines études aux Etats-Unis, de l’université de Cornell, montreraient que cette exploitation du gaz de schiste pourrait se révéler au moins aussi polluante que le charbon, si ce n’est plus. Mais pour l’instant, nous n’avons pas assez de recherches pour pouvoir nous prononcer de manière définitive et indiscutable.
Lapetitemaison : Quand le film "Gazland" sera-t-il visible en France ?
Le film "Gazland" est déjà visible en France, puisqu’on peut le télécharger sur Internet. Actuellement, nous sommes en discussion avec le réalisateur pour essayer de mettre en place une version française. Nous espérons pouvoir avoir une sortie en salles aux alentours du mois de mars ou du mois d’avril.
Je rappelle, pour ceux qui n’ont pas encore entendu parler de ce film, qu’il relate la traversée, de la Pennsylvanie notamment, par le réalisateur du film, qui se retrouve du jour au lendemain avec une proposition de forage chez lui. Donc il décide de traverser les Etats-Unis pour aller se rendre compte directement de la réalité de cette exploitation.
Une des scènes de son film les plus reprises sur Internet montre un habitant d’un village qui, après avoir fait couler de l’eau dans son évier, allume son évier avec un briquet, et l’évier s’enflamme parce que la nappe phréatique s’est trouvée remplie de gaz.
Ce film est véritablement le premier reportage sur ces extractions de gaz de schiste.
Romain : Des recours pour excès de pouvoir ont-ils été engagés contre les permis d’exploitation ? Des référés suspension ont-ils été déposés ?
Pour l’instant, aucun recours juridique n’a été déposé. Nous étudions, avec plusieurs cabinets d’avocats, les recours à mettre en place. Et nous allons, avec les collectivités locales et les régions, mettre en commun une stratégie juridique complémentaire à la mobilisation sur le terrain. C’est l’objet notamment de la coordination qui se tiendra dans le courant du mois de février dans le Sud-Est.
Emmanuel : Quels sont les arguments portant sur la sûreté de l’exploitation avancés par GDF et Total ?
Il est difficile pour moi de parler à la place des pétroliers. Mais comme à chaque fois, les arguments qui sont avancés sont de dire que les techniques françaises sont plus sûres que les techniques américaines, et que bien évidemment, tout se fera dans le respect des règles environnementales. C’est ce que j’appelle la langue de bois industrielle.
Arthur : Existe-t-il un organe de contrôle national ou international sur ce genre de gisements ?
A ma connaissance, il n’en existe pas. Et malheureusement, quand il s’agit de prospection minière, les Etats ont pris l’habitude de se coucher devant les compagnies.
Caroline : Concrètement, que faire ? Des réunions publiques d’informations, des pétitions ? Quel poids peut avoir la société civile face à de tels enjeux et comment s’y opposer ?
Sur l’ensemble des territoires où les permis ont vu le jour, des collectifs se mettent en place, regroupant à la fois des citoyens, des associations de l’environnement, des organisations syndicales et politiques. Les premiers éléments, évidemment, sont l’information. C’est pourquoi j’incite tous ceux qui nous lisent à participer à l’organisation de débats publics dans l’ensemble des communes, à faire signer massivement la pétition "Gaz de schiste ? Non merci", et en même temps, à faire circuler les délibérations des communes qui demandent l’annulation des permis.
A l’heure qu’il est, nous avons déjà plusieurs dizaines de communes qui ont pris de tels arrêtés. Le conseil général de l’Ardèche va en faire de même, et le conseil régional de Rhône-Alpes a été le premier à prendre une telle délibération. Les conseils régionaux de Midi-Pyrénées et de Languedoc-Roussillon vont suivre très certainement au mois de février.
En lançant la mobilisation très en amont des risques de forage, nous pouvons obtenir l’annulation de ces permis et la mise en place d’un débat public. En tout état de cause, il faut alerter au maximum et interpeller tous les responsables politiques pour qu’ils se situent par rapport à ces projets.
Casimir : Qu’en pensent vos collègues d’Europe Ecologie ?
L’ensemble des élus d’Europe-Ecologie, que ce soit au Parlement européen ou au niveau national, ont compris l’enjeu de cette mobilisation et sont prêts à la porter dans toutes les instances politiques dans lesquelles ils siègent.
Le rôle des conseillers régionaux Europe-Ecologie est à ce niveau-là très important, puisqu’ils participent à la mobilisation sur le terrain avec l’ensemble des acteurs locaux de toutes composantes politiques, syndicales ou environnementales.
Cela ne doit pas être uniquement le combat de ceux qui se reconnaissent dans Europe-Ecologie, mais bien de tous les citoyens qui se sentent concernés.
Régine Peyrat : La pénurie d’énergie est là et le pétrole augmente de 9,49% par an depuis 1974, sachant qu’en l’an 2100 toutes les énergies fossiles seront épuisées sur la planète selon l’Agence internationale de l’énergie (AIE), comment préparons-nous nos petits-petits enfants à faire face ? Pour faire cuire le mouton et chauffer nos maisons par exemple ?
C’est pour cela que je reviens sur ce que je disais précédemment : la nécessité d’un débat au niveau européen et national sur à la fois les besoins en énergies, les réserves de différentes sortes, et la façon d’aborder la raréfaction des énergies fossiles.
Aujourd’hui, par exemple, on parle de bâtiments à énergie positive, et c’est une très bonne chose, mais un des plus grands gouffres énergétiques est représenté par l’habitat ancien, non isolé ou mal isolé. Traiter cette question, c’est aussi orienter l’économie vers le local, et donc créer des emplois en grande quantité pour faire face à ce gaspillage énergétique qui est l’un des plus problématiques aujourd’hui.
Thomas : M. Bové, serez-vous candidat aux primaires des écologistes pour la présidentielle de 2012 ?
Ma réponse est non. Aujourd’hui, deux candidats ont déjà fait acte de candidature à l’intérieur d’Europe-Ecologie, Mme Eva Joly, que je soutiens, et M. Yves Cochet. Y aura-t-il d’autres candidats qui se feront connaître ? L’avenir nous le dira, mais en tout état de cause, nous ouvrirons le débat à tous ceux qui se sentent proches de l’écologie pour choisir en définitive notre candidat à la présidentielle.