Édition du 19 novembre 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Environnement

Justice climatique dans le soi-disant Canada

Les droits et la souveraineté autochtones doivent être au centre de nos efforts collectifs pour sauver une planète habitable

Voici un extrait de The End of This World : Climate Justice in So-Called Canada d’Angele Alook, Emily Eaton, David Gray-Donald, Joël Laforest, Crystal Lameman et Bronwen Tucker, publié cette année par Between the Lines. Pour plus d’informations, visitez www.btlbooks.com.

18 janvier 2023 | tiré de Canadian dimension

En 2009, la société de sables bitumineux (ou sables bitumineux) Nexen a accordé des fonds à l’Institut canadien de la défense et des affaires étrangères (CDFAI) pour préparer une étude aujourd’hui oubliée intitulée Resource Industries and Security Issues in Northern Alberta. L’institut a embauché Tom Flanagan, un universitaire conservateur souvent appelé « l’homme derrière Stephen Harper », pour l’écrire.Flanagan a mis en garde contre un possible « scénario apocalyptique » s’il y avait une collaboration prolongée et profonde entre les environnementalistes, les Premières Nations et les Métis, entre autres groupes. Par « apocalyptique », il voulait dire que des industries comme le pétrole et le gaz auraient de la difficulté à continuer d’extraire des ressources et des profits dans le nord de l’Alberta et ne seraient plus en mesure de faire fi de manière flagrante des droits des Autochtones. Si ces groupes devaient « faire cause commune et coopérer les uns avec les autres », écrit Flanagan, ils pourraient former « un mouvement coordonné avec la capacité de bloquer le développement des ressources à grande échelle ».

Beaucoup de choses ont changé depuis – le groupe de réflexion CDFAI a été rebaptisé Institut canadien des affaires mondiales, plus bénin, Nexen n’existe plus après avoir été racheté par CNOOC Ltd., et Flanagan a largement disparu des yeux du public – mais nous pensons que son point central est plus pertinent que jamais. En fait, c’est une grande partie de la raison pour laquelle nous voulions écrire ce livre. Sauf, de notre point de vue, « un mouvement coordonné » entre les peuples autochtones, les environnementalistes colonisateurs, les syndicats et bien d’autres est exactement le contraire d’un scénario apocalyptique. Nous pensons que c’est la seule chose qui pourrait nous ramener de notre glissement actuel vers l’effondrement climatique, le génocide colonial et les inégalités extrêmes, et vers un monde meilleur où nous vivons en équilibre avec la terre et la vie.

Mais c’est, bien sûr, beaucoup plus facile à dire qu’à faire. Flanagan a prédit qu’une collaboration profonde et soutenue entre les groupes était peu probable parce qu’ils ne seraient pas en mesure de surmonter leurs intérêts différents et de lancer un défi à suffisamment grande échelle aux combustibles fossiles et aux structures de pouvoir coloniales dans le soi-disant Canada. Malgré les récents moments de solidarité inspirants – de Idle No More, aux coalitions du Québec et de la côte Est pour arrêter Énergie Est et Alton Gas, aux barrages de solidarité Wet’suwet’en à travers le pays pour arrêter le pipeline Coastal GasLink – Flanagan a, malheureusement, eu largement raison sur ce point. Et depuis qu’il a écrit le rapport en 2009, les enjeux sont devenus beaucoup plus élevés. Au moment où nous écrivons ces lignes, au début des années 2020, la pandémie de COVID-19 a facilité une croissance de la richesse estimée à 78 milliards de dollars pour les 47 milliardaires au Canada Alors que 5,5 millions de travailleurs canadiens ont été licenciés, l’industrie pétrolière et gazière prévoit d’accroître sa production au cours de cette décennie plus que tout autre pays autre que les États-Unis. et le sous-financement chronique et l’exploitation des ressources sans consentement continuent de miner la souveraineté autochtone.

L’une des raisons pour lesquelles un mouvement suffisamment puissant et coordonné n’a pas émergé pour contrer ces menaces est les efforts ciblés des politiciens et de l’industrie pétrolière et gazière pour en empêcher l’émergence. Flanagan lui-même travaillait activement à prévenir les mouvements de solidarité autochtone, bien qu’il les ait rejetés comme peu susceptibles d’émerger dans le rapport du CDFAI ; Pendant qu’il l’écrivait, il travaillait également à la rédaction d’un livre sur « Comment introduire volontairement des droits de propriété privée sur les terres des Premières Nations au Canada ». La proposition de Flanagan, qui éteindrait les droits fonciers collectifs des Autochtones, a trouvé les bailleurs de fonds de l’industrie désireux d’empêcher les droits autochtones d’entraver le développement des ressources. Pendant ce temps, le gouvernement fédéral conservateur de Harper a introduit d’autres mesures pour empêcher la résistance des Autochtones et des mouvements à l’extraction des ressources, avec une loi qui criminalise la défense terrestre et permet la surveillance des mouvements par la Gendarmerie royale du Canada (GRC) et le Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS). Et en 2012, Harper a présenté un projet de loi omnibus qui minait les droits fonciers des Autochtones et supprimait les protections pour l’environnement. Selon Pamela Palmater, avocate mi’kmaq, la résistance a été minée par le fait que le gouvernement a rendu « les conditions si insupportables dans les réserves que les Premières Nations sont forcées de quitter leurs communautés et d’abandonner leurs terres pour l’extraction des ressources ».

Bien que les gouvernements libéraux fédéraux et provinciaux du Nouveau Parti démocratique aient utilisé un langage beaucoup plus doux, leurs stratégies ont été en grande partie les mêmes. Les gouvernements successifs aux deux niveaux parlent de « réconciliation », de « consultation » et de « partenariat » avec les peuples autochtones de ces terres, mais les Premières Nations continuent de faire l’objet d’avis d’ébullition de l’eau, les programmes de santé et d’éducation des enfants autochtones continuent d’être sous-financés par rapport à ceux des enfants des colons, les entreprises continuent d’extraire sur des terres sur lesquelles elles n’ont pas obtenu de consentement et l’État canadien continue de miner la souveraineté autochtone presque à chaque tournant.

Mais au-delà des efforts des gouvernements pour maintenir le statu quo, l’une des principales raisons pour lesquelles la collaboration entre les mouvements a été limitée est que les alliés potentiels n’ont pas réussi à aller beaucoup au-delà d’une cause commune étroite : dire non au développement nuisible des ressources. Pour nous détourner des économies fondées sur la destruction et la mort, nous devons dire oui à beaucoup plus ensemble. Nous avons besoin d’une vision commune pour un avenir juste : où les droits autochtones et autres sont respectés, où les besoins fondamentaux de chacun sont satisfaits et où nos économies fonctionnent dans une relation respectueuse avec la nature. Dans ce livre, nous appelons cela une transition juste.

Nous sommes un groupe de six auteurs qui ont travaillé à construire cet avenir. Chacun d’entre nous dans l’équipe d’auteurs est venu à ce travail d’une manière différente, et nous pensons qu’ensemble, nos expériences et les leçons que nous avons apprises de nos aînés et d’autres, nous ont appris à quoi pourrait ressembler un avenir juste, ce qui lui fait obstacle et quelques voies pour y arriver ensemble. C’est la vision que nous espérons partager.

Grâce à notre travail et à nos expériences diversifiés à l’intersection des droits autochtones et de la justice climatique, nous avons remarqué que, bien que ces mouvements se rapprochent, nous ne montrons pas encore la menace critique pour "les affaires comme d’habitude" que Flanagan a identifiée. Ce qui nous a freinés, c’est que les discussions sur le climat menées par les colons au Canada – y compris dans les rapports, les livres, les médias grand public et les ONG environnementales – ont traité les droits des Autochtones comme une réflexion après coup. Lorsque les droits autochtones sont mentionnés, ils apparaissent en tant que complément, dans un chapitre distinct, sous leur propre sous-titre, ou dans des rapports spéciaux portant spécifiquement sur la façon dont la justice climatique est liée aux peuples autochtones. Dans ce livre, nous voulons remettre en question cette pratique en plaçant les droits et la souveraineté autochtones au centre de ce qui doit être fait pour sauver une planète habitable. Nous ne pouvons pas réparer notre relation à l’environnement sans également reconnaître et restaurer nos relations les uns avec les autres.

L’industrie canadienne des combustibles fossiles est puissante et organisée. Elle exerce une influence considérable sur nos institutions politiques, sociales et culturelles, un thème exploré en profondeur dans le livre de William Carroll Regime of Obstruction : How Corporate Power Blocks Energy Democracy. Mais le fait est que l’économie extractive du Canada n’existe que sur ces terres en raison d’une longue histoire de fausses promesses dans lesquelles la Couronne (représentants de la monarchie britannique, chef d’État officiel du Canada) a juré que les peuples autochtones maintiendraient leurs droits inhérents et ne bénéficieraient que des sociétés de colonisation entrantes. Depuis le début, et jusqu’à aujourd’hui, au lieu de travailler dans ce cadre d’avantages et de respect mutuels, le soi-disant Canada a volé des terres et des ressources autochtones et les a cédées à des sociétés de combustibles fossiles pour rendre relativement peu de gens très riches.

De plus en plus de colons se rendent compte qu’un vol et un déni continus des droits des Autochtones se produisent ici. Et cela suscite de grands sentiments. Les peuples autochtones, qui connaissent et vivent cette réalité depuis longtemps, continuent de faire face à des systèmes de contrôle colonial aujourd’hui, malgré les commissions royales, les excuses et les nouvelles séries de promesses des gouvernements successifs pour bien faire les choses. Et pour les colons relativement nouvellement confrontés à cette réalité, la réalisation peut apporter un sentiment de malaise et d’incertitude. Pour certains, cela a provoqué une réaction violente et une affirmation encore plus fervente de la suprématie et du contrôle du Canada sur les nations, les peuples et les terres autochtones. Mais il n’est pas nécessaire qu’il en soit ainsi. Dans ce livre, nous reconnaissons la réalité actuelle du vol de terres et de l’oppression et offrons une vision de la façon dont nous pourrions commencer à la défaire. Nous vous encourageons à travailler avec nous pour bâtir un monde nouveau, un monde où la souveraineté autochtone est pleinement reconnue et où nous vivons dans de bonnes relations les uns avec les autres et avec la terre.

En bref, nous appelons à des mouvements de masse, fondés sur des revendications communes de souveraineté autochtone, qui peuvent apporter de grands changements positifs. L’action climatique dans le soi-disant Canada ne peut pas être considérée séparément des droits autochtones. En fait, pour affirmer la souveraineté autochtone, il faudra imposer des limites à l’économie capitaliste du Canada qui a fait tant de ravages. Tenter une transition énergétique sans faire valoir les droits des Autochtones ne fait que verdir le vol, et c’est aussi voué à l’échec. Les connaissances et les cultures autochtones ont des leçons inestimables sur la façon de vivre sur ces terres, des connaissances dont nous avons besoin pour passer d’économies de destruction à des économies qui réparent les terres et la vie. Nous pouvons diminuer le pouvoir de l’industrie des combustibles fossiles et passer aux énergies renouvelables, tout en réduisant les utilisations inefficaces et inutiles de l’énergie.

Nous pouvons profiter d’un transport en commun et de bâtiments confortables, sécuritaires et fiables à faibles émissions dans les zones rurales et urbaines. Les villes et villages peuvent fournir d’excellents services sociaux comme les soins de santé et l’éducation, et peuvent être beaucoup moins dépendants de la voiture. Les écarts entre riches et pauvres peuvent être rapidement comblés afin que nous puissions tous vivre mieux et avec un sentiment accru d’appartenance et de confiance. Loin d’être inaccessibles, ces changements se produisent déjà, mais pas assez rapidement. Et se joindre aux mouvements sociaux qui poussent à ces changements a l’avantage supplémentaire que, au lieu d’être coincés dans des sentiments de désespoir et d’isolement, vous pouvez participer à des communautés pleines d’espoir, créatives et engageantes.

Nous croyons qu’il est important que les discussions sur la transition juste soient accessibles à tous les publics parce que, fondamentalement, ce dont nous parlons dans ce livre, c’est de réparer les relations. Réparer les relations entre eux et avec la terre. Et la clé de toute relation est de s’écouter profondément. Dans cet esprit, nous vous invitons à lire ce livre avec un cœur et un esprit ouverts.

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