Depuis les années 1920, partout en Occident, nous célébrons le courage des hommes morts au combat, sur le champ de bataille. Ces commémorations militaires font très peu référence aux victimes civiles, majoritairement des femmes et des enfants qui pourtant sont dénombrées à plus de 230 millions au cours du XXe siècle. En fait, ce devoir de mémoire occulte l’envers troublant de la médaille.
En ce jour du Souvenir, nous sommes des milliers à porter le coquelicot blanc et à se souvenir des civils victimes des guerres passées et actuelles, principalement des femmes et des enfants. La première campagne du coquelicot blanc a été lancée en Grande-Bretagne par la Women’s Cooperative Guild. Ayant perdu un être cher durant la Première Guerre mondiale, ces femmes s’opposaient fermement à la guerre et au militarisme. Le coquelicot, symbole de la paix, a pour but de commémorer les victimes des conflits armés, mais aussi de marquer une ferme opposition à la guerre et à toutes entreprises guerrières.
Derrière les statistiques
En ce jour particulièrement sombre, il est important de réfléchir sur l’idée même de « champs de bataille ». Amnistie internationale estimait à 5 % le nombre de femmes victimes durant la Première Guerre mondiale. Durant la décennie 1990, l’organisme estimait à 80 % le nombre de femmes et d’enfants victimes d’une guerre. L’on constate une forte augmentation des « dommages collatéraux », et ce, peu importe la nature des conflits et les États concernés.
Évidemment, ces statistiques ne révèlent aucunement les blessures psychologiques, physiques engendrées par les conflits armés et les faiseurs de guerres. Bien que les femmes aient été exclues de la vie militaire jusqu’à tout récemment, elles connaissent les dures réalités de la guerre, elles sont un champ de bataille. La guerre, fondamentalement coloniale, impérialiste et patriarcale exacerbe les rapports sociaux entre les États et entre les groupes ethniques, les genres. La chasse aux femmes est une véritable guerre dans la guerre. Le viol fait la guerre et la guerre fait le viol. Les crimes sexuels — crime contre l’humanité — sont systématiques, généralisés et planifiés.
Prenant en considération la complexité des conflits et la pluralité des femmes, il existe néanmoins des constantes en temps de guerre : l’augmentation de la violence, particulièrement à l’égard des femmes et des groupes vulnérables. Les statistiques sont difficiles à compiler considérant qu’environ 60 % des victimes ne porteront jamais plainte. Les guerres et les conflits armés sont des moments historiques dans lesquels s’orchestrent toutes sortes d’atrocités commises à l’encontre des femmes et des enfants.
Parce qu’elles sont des femmes
De façon générale, la guerre permet les bombardements, les famines, les exécutions de masse, la torture, l’emprisonnement arbitraire, la migration forcée, l’épuration ethnique, les menaces et l’intimidation. Outre ces violences, on retrouve également les violences psychologiques et sexuelles. Celles-ci se traduisent par le viol, la mutilation sexuelle, le harcèlement sexuel, la prostitution forcée, la violence domestique, le mariage forcé, la contraction du VIH/SIDA, les grossesses forcées, l’avortement forcé, et j’en passe.
Ces crimes sont commis à l’égard des femmes parce qu’elles sont des femmes. La problématique du viol en temps de guerre s’inscrit dans un contexte de domination masculine. D’ailleurs, 10 % des marines américains interrogés lors d’une enquête indiquaient avoir commis un viol, que ce soit ou non en contexte de guerre (Koss et Oros, 1982 ; Merrill et col., 2001). Les cibles des agresseurs ne sont pas uniquement des femmes du camp ennemi. Dernièrement, en 2007, une bombe est tombée dans l’actualité en révélant des pratiques sexuelles des soldats américains. En fait, les femmes soldates postées en Irak (une soldate sur sept soldats) se battent sur deux fronts simultanément : celui de la guerre à proprement dit et celui des agressions sexuelles commises par leurs frères d’armes.
En dépit des structures, elles ne bénéficient d’aucune protection, et elles sont donc toujours perçues comme des êtres de plaisir. Alors, l’idée que les hommes mènent la guerre pour protéger les femmes est d’autant plus curieuse que des soldats profitent toujours de la guerre pour s’approprier le corps des femmes.
Valeurs militaires
Cette année, les célébrations militaires entourant l’Armistice seront largement célébrées par le gouvernement conservateur. Dorénavant majoritaire, il met de l’avant des valeurs militaires dans la société, notamment en faisant la promotion d’une hiérarchie sociale sexuée, de l’idéologie du dominant et de la résolution de conflits par la violence. De plus, en augmentant le budget des dépenses militaires, notre gouvernement participe à l’insécurité des femmes d’ici et d’ailleurs.
Également, dans un contexte de conflit armé, le militarisme a comme objectif de prendre la possession des ressources de l’ennemi, y compris ses femmes. Donc, le militarisme ne libère certainement pas les femmes, tant dans les pays en guerre que dans les pays affectés par la guerre (et même dans ceux qui ne le sont pas). De plus, le militarisme fait la promotion d’une certaine masculinité fondamentalement violente. Le cas du colonel Russell Williams parle de lui-même...
Le mouvement des femmes a toujours eu des revendications pacifistes dans une perspective de démilitarisation des sociétés. D’ailleurs, en dépit de la diversité du mouvement des femmes, la Charte mondiale des femmes est explicite à ce sujet et démontre l’unanimité quant à ce désir de vivre dans un monde de paix libre de toutes agressions. La Charte appelle à « la tolérance, au dialogue, au respect de la diversité ».
Au nom de toutes ces femmes et ces enfants victimes de la guerre, appelons à la solidarité et au retrait immédiat et complet des troupes canadiennes en Afghanistan et en Libye.
Article tiré du site web du Comité de solidarité de Trois-Rivières. L’auteure est candidate à la maîtrise en science politique et en études féministes à l’UQAM.