Tout laisse croire que le gouvernement de Jean Charest a provoqué délibérément une confrontation avec le mouvement étudiant, en partie pour des motifs idéologiques, mais surtout en fonction d’un calcul politique électoraliste. Ce faisant, il a créé, puis amplifié, une crise sociale pleine de dangers et dont l’issue pourrait être dramatique.
En effet, pourquoi se donner tant de mal avec une hausse de 75% des droits de scolarité dont la majeure partie ne s’appliquera qu’après les prochaines élections ? Il aurait été bien plus simple pour le gouvernement de prolonger de deux ans la hausse de 100$ par année déjà en cours depuis 2007, laquelle n’avait pas généré un mouvement de protestation massif.
C’était sans compter avec les calculs politiques électoraux. En effet, l’entourage de Jean Charest savait probablement que l’idée d’une hausse des droits de scolarité serait beaucoup plus populaire que le gouvernement. Ils s’attendaient aussi à ce que l’annonce d’une hausse de 1625$ sur cinq ans provoque une grève étudiante, comme l’avait fait le transfert massif des bourses vers les prêts en 2005.
Il suffirait alors d’ajouter l’insulte à l’injure ignorant totalement la protestation pour générer un long conflit et une polarisation de toute la société : pour ou contre la hausse, pour ou contre la grève étudiante. Dans ce contexte, le régime Charest, miné par les affaires de corruption, allait pouvoir se présenter en défenseur de l’ordre établi et de l’austérité budgétaire, grugeant ainsi la base de la CAQ. Plus le conflit s’envenime, plus celle-ci disparaît dans l’ombre, n’ayant rien à dire de différent du gouvernement.
Le gouvernement pouvait aussi s’attendre à ce que Parti québécois soit pris entre deux feux, incapable de s’opposer carrément à la hausse ou de l’appuyer. C’est que son programme promet une énième consultation sur la question, à laquelle chaque organisation pourra défendre des positions que tout le monde connaît déjà…. Marois, désire à la fois apparaître comme une alternative « responsable » au gouvernement actuel et capitaliser sur le conflit pour se faire un peu de capital politique (d’où son carré rouge…). Mais plus le conflit se prolonge et dégénère, plus cette position devient intenable.
Mais la force et la sérénité du mouvement dans sa première phase, jusqu’à la manifestation historique du 22 mars, ont presque fait dérailler ce plan bien ficelé. Il a fallu lancer une attaque frontale et sans précédent contre le principe même du syndicalisme étudiant pour que le grabuge tant attendu commence à se manifester.
Depuis au moins 40 ans, un pacte social implicite existe entre le mouvement étudiant, les administrations des cégeps et universités et le gouvernement du Québec. Il ne s’agit pas d’un « droit de grève » au sens du code du travail mais d’une entente informelle pour que tous et toutes respectent les votes de grève pris dans les assemblées générales étudiantes. Toutes les grèves générales étudiantes depuis la première, en 1968, se sont terminées lorsque les assemblées générales ont décidé démocratiquement d’y mettre fin. Parfois, ce fut à la suite de concessions faites par le gouvernement aux demandes du mouvement. Parfois, le mouvement s’était essoufflé et découragé devant l’intransigeance gouvernementale. Jusqu’à la fin mars, on pouvait présumer que la présente grève allait se terminer de la même façon.
Mais, pour atteindre ses objectifs politiques et rallier une partie importante de la population derrière lui, le régime Charest avait besoin de provoquer des confrontations pour ensuite condamner la « violence » qui se développerait à la marge du mouvement. Peu importe que les actes de vandalisme n’aient pas été organisés par les associations étudiantes, on peut toujours les accuser indirectement. Rien de tel, pour arriver à cette ultime provocation, que d’encourager les administrations d’établissements à briser ce pacte historique et à donner les cours à tout prix, y compris celui de la violence policière.
On multiplie les confrontations, les injonctions, les arrestations etc. Pour pousser la provocation, de petits groupes d’étudiantes et d’étudiants opposés à la grève ont été encouragés à réclamer leur « droit » d’assister à des cours même après avoir perdu le vote dans leur assemblée générale. Le mouvement syndical réalise d’ailleurs très bien que derrière la négation du droit à la grève étudiante se cache un courant d’opinion populiste de droite de plus en plus confiant qui rêve de s’attaquer au droit de grève tout court.
Jusqu’où ira cette escalade absurde ? Le gouvernement attend-il que quelqu’un meurt ou qu’on remplisse les prisons avec des étudiants et leurs profs ? La solidarité avec la lutte étudiante n’est plus simplement une question de justice sociale et d’équité dans l’accès à l’éducation. C’est un enjeu démocratique fondamental qui traduit bien le rejet du cynisme d’un régime corrompu qui ne mérite certainement pas de passer une journée de plus au pouvoir.
Benoit Renaud
Enseignant
Candidat de Québec solidaire dans Chapleau