Publié le 29 juillet 2017
Bien que j’ai été en Israël/Palestine près d’une douzaine de fois auparavant – j’ai grandi en me rendant en Israël avec ma famille, j’ai passé un été en Israël lors de mon camp d’été juif, j’ai fait des études universitaires à l’Université Hébraïque à Jérusalem-Est Occupée, et j’ai passé trois étés en Cisjordanie en vivant et en travaillant dans des villages palestiniens – je suis devenue beaucoup plus mal à l’aise à propos de ces voyages. Depuis l’université, époque à laquelle j’ai découvert le déplacement forcé des Palestiniens qui a commencé en 1948 et qui se poursuit à ce jour, j’ai été profondément perturbée à l’idée que j’ai le « droit » de me rendre dans la terre ancestrale de chers amis et collègues palestiniens qui eux-mêmes ne peuvent pas se rendre dans ce qu’ils estiment être leur patrie.
Malgré ce malaise, je suis devenue rabbin pour une raison fondamentale : construire les bases de la justice et de la libération pour tout le monde en structurant les Juifs dans un partenariat approfondi avec des villages directement affectés, par delà les frontières et les religions. Notre délégation projetait de passer 12 jours en Israël et dans les Territoires Palestiniens Occupés, en rencontrant des militants de terrain palestiniens et israéliens et des dirigeants religieux, et en visitant nos lieux saints respectifs.
Au lieu de cela, cinq d’entre nous ont été empêchés même d’embarquer sur le vol prévu. Quand je suis arrivé au comptoir d’enregistrement à l’aéroport, à mon grand scandale, un employé de la compagnie aérienne Lufthansa a informé cinq d’entre nous – trois Juifs, un Chrétien et un Musulman – que le gouvernement israélien avait dit à la compagnie aérienne de ne pas nous embarquer.
Il ne s’agit pas seulement de moi, ou de dirigeants juifs ou d’autres religions ne pouvant pas aller en Israël. L’interdiction, l’établissement de profils, la détention et l’expulsion de Palestiniens et de Musulmans dans des aéroports israéliens font partie depuis longtemps des pratiques israéliennes. Des renseignements ont été recueillis sur ces dispositions non seulement par les organisations de défense des droits de l’homme mais aussi par le gouvernement fédéral des USA, et ont été explicitement reconnus – et excusés – par la Haute Cour d’Israël. En fait, le même jour où nous avons été retenus à Dulles, un militant palestino-américain s’est vu interdire au Poste-frontière d’Allenby le passage de Jordanie.
Mais ce qui nous est arrivé dimanche était quelque chose de nouveau. On était en train de nous bloquer en raison de nos convictions, nous allions l’apprendre. Dans une déclaration, des fonctionnaires israéliens ont confirmé que l’entrée nous était interdite en raison de notre soutien au boycott, au désinvestissement et aux sanctions à l’encontre d’Israël, connus aussi sous le nom de BDS. Ils ont aussi donné une liste de critères de blocage futur de militants appartenant à des « organisations ciblées », lesquels critères font partie de la mise en oeuvre de « l’interdiction du BDS » que la Knesset israélienne a adopté en mars. Le Ministère des Affaires Stratégiques, Gilad Erdan, a déclaré à Haaretz, « Nous ne laisserons pas des militants emblématiques du boycott venir ici pour nous nuire ».
En même temps que l’interdiction du BDS, Israël a promis l’interdiction des ressortissants étrangers qui demandent publiquement des sanctions contre lui. Mes compagnons de voyage et moi sommes les premières victimes de celle-ci, largement critiquée en tant qu’énorme violation des libertés civiques fondamentales, telles que la liberté d’expression et de résistance non-violente. En criminalisant par cette interdiction de voyage le militantisme en faveur des droits des Palestiniens, Israël est en train de briser le mythe le présentant comme une démocratie juive. Un pays qui interdit ceux qui critiquent ses violations des droits de l’homme est fondamentalement anti-démocratique. Me refuser l’entrée parce que je m’oppose publiquement et sans remords à l’oppression des Palestiniens est un geste de désespoir de la part d’un gouvernement qui sait que sa domination par la force est insoutenable.
Mais l’interdiction révèle aussi qu’Israël a très peur de la puissance des mouvements populaires, de la résistance non-violente et des liens humains d’un côté à l’autre des frontières. Historiquement, les mouvements ayant recours aux boycotts et aux campagnes de désinvestissement ont bâti la pression essentielle à la base, en exigeant des changements de la part des gouvernements et des institutions renforçant des politiques d’oppression. Je pense que ces tactiques sont les plus morales et la voie la plus prometteuse à terme pour assurer, que, un jour, les familles palestiniennes puissent prier, vivre et se déplacer librement dans leur patrie.
J’ai finalement décidé de me joindre à cette délégation, parce que s’associer à des militants pacifistes israéliens et palestiniens sur le terrain dans le cadre d’un groupe multiracial et multi-religieux allait me donner une occasion de construire les sortes de résistance fiables dont nous avons besoin sur le chemin de la justice pour tous.
Israël sait que ces relations entres les gens et les mouvements sont assez puissantes pour mettre en cause ses presque 70 années de dépossession et ses 50 années d’occupation. C’est pourquoi le BDS fait tant peur à Israël. La bonne nouvelle c’est que les stratégies répressives d’Israël ne sont pas assez fortes pour empêcher les gens d’établir des relations entre leurs luttes pour la justice.
Nous continuerons à les établir jusqu’à ce que les Palestiniens puissent embarquer sur le prochain vol de la Lufthansa pour rentrer chez eux.
Alissa Wise, 26 juillet 2017
Jewish Voice For Peace/ Voix Juive pour la Paix
(traduit de l’anglais par Yves Jardin, membre du GT de l’AFPS sur les prisonniers)
Le Rabbin Alissa Wise est la directrice adjointe de la Voix Juive pour la Paix.
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