Les universités sont le théâtre de violences depuis l’annonce faite par le ministre de l’enseignement supérieur d’autoriser l’augmentation des frais universitaires dans la limite de 8% et d‘exonérer de cette augmentation les étudiants boursiers et les « missing middle », c’est à dire les étudiants dont les revenus familiaux sont en dessous de 600 000 rands annuels (environ 38 000 euros). Ce qui désigne les enfants d’enseignants, d’infirmières, de fonctionnaires, la nouvelle classe moyenne noire qui a connu son heure de gloire depuis 1994, mais qui voit aussi son horizon se ternir dans le marasme économique ambiant. Selon un économiste, seulement 20% des étudiants verraient leur frais augmenter pour l’année universitaire 2017/18.
La campagne #Fees must fall fait rage surtout dans deux universités emblématiques, celles de Witwatersrand à Johannesburg et celle de la ville du Cap, Cape Town University, connues pour leur esprit rebelle et revendicatif et aussi celles qui forment la crème de la crème des élites sud-africaines. Les autres universités sont plus ou moins touchées par cette vague de violence et de contestation.
La presse regorge d’articles, points de vue, opinions sur le bien fondé d’une gratuité totale de l’enseignement supérieur.
Pour le responsable de l’ONG Equal Education, la véritable question est de savoir qui peut payer des frais universitaires et qui est pauvre et ne peut pas. Aujourd’hui sur les 27 universités du pays, quatre peuvent rivaliser avec les meilleurs universités étrangères, et ce sont les universités qui étaient réservés aux étudiants blancs, les autres étant mal en point, tant au point de vue matériel que de la qualité de l’enseignement donné. Pour obtenir une bourse, le revenu familial retenu peut varier d’une université à l’autre, ainsi le revenu est de 250000 rands pour l’université du Cap (CTU) mais seulement de 122 000 rands pour l’université du Limpopo.
La notion de gratuité n’est pas clairement définie : s’agit-il des frais universitaires seulement ou de l’ensemble du coût d’une formation supérieure ? Beaucoup de pédagogues avancent l’idée que ce n’est pas l’université qui doit être gratuite, mais l’enseignement primaire et secondaire. Autrement dit la crise de l’université n’est que la suite logique de la crise de l’éducation dans son ensemble. Le fils d’un ouvrier agricole ou la fille d’une domestique ont peu de chance de se retrouver sur le même banc d’université que le fils du patron ou la fille de la Madame, ce qui confirme que les choses n’ont pas beaucoup bougé depuis plus de 20 ans pour la population la plus pauvre du pays.
Après rencontres et discussions infructueuses avec les directions universitaires, le gouvernement a nommé une commission pour tenter de trouver des solutions pour répondre à une exigence populaire forte : un enseignement gratuit et de qualité. Mais l’absence de celui qui tient les cordons de la bourse du pays, le ministre des Finances, n’est pas un signe très encouragement, d’autant plus que les ministres chargés de la sécurité y ont une place de choix. On peut toujours envoyer plus de police dans les universités, mais l’expérience faite ailleurs n’a jamais prouvé son efficacité. Les responsables étudiants ont déjà qualifié la commission de farce.
Mais la révolte étudiante exprime plus que l’impatience devant la lenteur des changements. Elle incarne le sentiment partagé d’un mal être devant la gabegie gouvernemental. L’impuissance de ceux qui gouvernent à proposer des solutions pour résoudre les inégalités, le chômage, la crise économique alors que la corruption enrichit une élite prédatrice vient à bout de la patience des citoyens, comme des syndicats. Après la publication des derniers chiffres de la santé économique du pays toujours aussi consternants, le Cosatu a publié le 7 octobre une déclaration au vitriol. « Les grandes entreprises et le gouvernement, ne disent rien de cohérent en réponse au chômage structurel et l’accroissement de la pauvreté dans notre pays. La politique progressiste de l’Anc a été abandonnée et remplacée par des politiques qui cherchent à séduire le patronat et les agences de notation. La décision prise par l’Alliance (Anc, Cosatu, Sacp) pour une révision du chapitre du Plan de développement national sur le marché du travail et l’économie a été ignorée. Tout cela contribue à la mise en place d’une armée de citoyens en colère, désespérés et au chômage, n’ayant plus aucun espoir et aucune confiance dans ce gouvernement ».
Le gouvernement semble sourd à toutes ces manifestations et continue comme par le passé de jouer avec le feu des cabales et des embrouilles en tous genres. La dernier scandale sera t-il celui de trop ? La décision du parquet général, le NPA, de faire comparaître devant la justice pour fraude le ministre des Finances, Pravin Gordhan, a fait l’effet d’une douche froide sur un chat échaudé.
Pravin Gordhan est l’homme qui gêne le projet le plus fou du gouvernement : la construction de plusieurs centrales nucléaires dans l’opacité la plus totale. Ces prédécesseurs avaient été limogés pour la même raison : refus de signer un chèque en blanc à la clique qui mange dans la main du président tout en plongeant les leurs dans le trésor public. Si l’achat de ces centrales, où Rosatom, la compagnie russe semble la mieux placée pour gagner le marché, se fait, l’inquiétude est grande de voir les finances du pays ruinées par ce projet et les entreprises amies du président gagner le jack pot.
Devant l’acharnement du procureur général à reprendre un dossier mal ficelé qui remonte à 2005 et réapparait au gré des vicissitudes du pouvoir beaucoup y voient une tentative pour écarter une fois pour toutes les gêneurs. Le parti communiste sud-africain dénonce dans tout cette affaire « …un prétexte pour écarter le ministre Pravin Gordhan de son poste et affaiblir la lutte des services fiscaux qu’il dirige contre la corruption et la main mise des grandes entreprises sur l’Etat » et le Sacp de voir dans toutes ces embrouilles une répétition de ce qui s’est passé entre 2003 et 2007 pour évincer Thabo Mbeki, une magouille politique qui n’a rien à voir avec la justice.
Il est assez cocasse d’entendre dire à un Président qui totalisent 783 chefs d’accusation pour fraudes et autres entourloupes que la justice doive suivre son cours pour le cas de Pravin Gordhan. La société civile qui regroupe plusieurs associations, des personnalités diverses, des anciens ministres comme Trevor Manuel ou l’ancien prisonnier de Robben Island, Ahmed Kathrada, ont écrit une lettre commune à Jacob Zuma pour exprimer leur profonde inquiétude sur l’avenir de la nation. « Monsieur le Président vous avez mis vos intérêts personnels avant les intérêts nationaux, mettant en danger l’indépendance des institutions fondamentales et vous avez ainsi perdu la confiance du peuple sud-africain.Dans ces circonstances, nous pensons que la seule issue honorable qui vous reste est de démissionner maintenant et de permettre à l’Assemblée nationale d’élire un Président qui prendra au sérieux le serment solennel prononcé pour son investiture ».
Il n’est pas évident que la Président et son entourage entendent ces conseils de bon sens et qu’un remaniement ministériel vienne complètement verrouiller tout espoir. Des noms proches du cercle restreint du Président circulent, mais l’enjeu est risqué dans un contexte politique, économique et social explosifs et cette ultime tentative pourrait bien sonner la fin d’un mandat présidentiel sans gloire, ni honneur.