Il décrit le virage idéologique du parti, qui abandonne dans ses discours électoraux certaines propositions jugées trop radicales pour mater l’inflation (celles au profit des "pauvres", c’est-à-dire des travailleurs et des non-syndiqués) en faveur de mesures qui ciblent ce que Lisée appelle "la haute classe moyenne". En passant, il pique Québec solidaire pour avoir éconduit un candidat qui avait exprimé son accord avec Richard Martineau, du Journal de Montréal.
"Comme quoi, conclut-il, chez les solidaires l’autocensure fait bon ménage avec l’autodérision."
À bien des égards, les critiques de Lisée, lui-même ancien ministre péquiste (sous Pauline Marois de 2012 à 2014) et chef démissionnaire du Parti québécois de 2016 à 2018 font mouche. La direction de Québec solidaire, dominée par l’ex-leader étudiant de 2012 Gabriel Nadeau-Dubois, essaie de rejoindre une fraction considérable de que ce qu’on appelle en termes vagues, "la classe moyenne". Pour y arriver, il laisse tomber en effet la prose "révolutionnaire" qui constituait sa marque de commerce (excusez l’expression) à l’époque de Françoise David et d’Amir Khadir. Il refoule ans l’ombre certains éléments plus radicaux de son programme et renonce, à des fins électorales, des expressions comme "travailleurs", "exploités" et "capitalistes". Il serait par ailleurs intéressant et révélateur de savoir ce que ces deux pionniers du parti pensent de cette évolution.
Québec solidaire affronte le problème classique de tout parti de gauche : pour éviter de s’enfermer dans un ghetto électoral et se couper ainsi de toute possibilité d’accéder un jour au pouvoir, il doit s’efforcer d’élargir sa base électorale ; bref, il lui faut bâtir une coalition de groupes sociaux aussi vaste que possible mais dont les intérêts ne se recoupent pas toujours. Leur compatibilité sociale n’est pas évidente dans tous les cas. Une telle coalition ne peut être qu’hétéroclite.
Tout défi consiste à accorder l’esprit redistributif du programme à l’adaptation de ce dernier aux réalités électorales. Dans les circonstances, la direction solidaire préfère jouer la carte "classe moyenne" depuis quelques années afin de conquérir le plus de circonscriptions possible. On peut discuter et même contester certains éléments de cette stratégie.
Mais s’il y en a un qui est mal placé pour faire de l’esprit sur le dos des solidaires, c’est bien Jean-François Lisée.
En effet, il fut conseiller des premiers ministres Jacques Parizeau (1994-1996) et Lucien Bouchard (1996-2001), à une époque où ce dernier, ancien ministre conservateur à Ottawa infligeait aux Québécois et Québécoises de douloureuses compressions budgétaires. À ce que je me souvienne, Jean-François Lisée n’a jamais protesté en public contre cette orientation très rétrolibérale. De même, en tant que membre du cabinet de Pauline Marois, il a été solidaire (sans ironie) avec la politique budgétaire restrictive et les hausses de tarifs que le gouvernement péquiste a imposé aux Québécois et Québécoises à partir de juillet 2013. La "rétrolibéralisation" du gouvernement péquiste avait débuté en 1981 et elle s’est poursuivie pratiquement sans discontinuer lorsque le PQ se retrouvait au pouvoir. Celui-ci a suivi en gros la stratégie de la plupart des partis officiellement sociaux-démocrates en Occident : tenir un discours "de gauche" dans l’opposition, et une fois au pouvoir, découvrir des empêchements budgétaires pour tenir ses promesses. Allez vous étonner après cela du cynisme et de la désillusion actuelles des citoyens et citoyennes...
On pourrait affirmer que Québec solidaire se libéralise moins qu’il ne se "péquise". Il en suit la voie : mettre discrètement au rancart les propositions les plus radicales au profit d’un programme électoral qui se veut plus rassembleur. Il faut admettre qu’entre compromis et compromission, la ligne est mince parfois.
Dans la foulée, Québec solidaire a balayé sous le tapis la question nationale. Si le co-porte-parole Gabriel Nadeau-Dubois est ouvertement indépendantiste, une bonne proportion des membres du parti est fédéraliste (plus ou moins autonomistes) ; ils ont remplacé en effet l’axe fédéralisme-indépendance par l’axe gauche-droite. D’ailleurs, le parti fut mis sur pied essentiellement dans cet esprit.
À l’époque du Parti québécois, c’était l’inverse : le ciment qui unissait les différentes factions du parti était l’idéologie souverainiste. Son virage brutal vers le rétrolibéralisme à partir de 1981 a miné sa cohésion à la longue.
Alors, en dépit de la pertinence de certaines de ses critiques, Jean-François Lisée manque de crédibilité lorsqu’il pointe Québec solidaire pour ses louvoiements électoraux.
Jean-François Delisle
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