Édition du 19 novembre 2024

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Hongrie. Que signifie la réélection d'Orban ?

EUROPE DE L’EST
Hongrie. Que signifie la réélection d’Orban ?
La Hongrie de Viktor Orban continuera de représenter un point d’appui pour les forces les plus réactionnaires d’Europe mais cette situation n’est pas exempte de contradictions pour le régime hongrois… et pour l’UE.

jeudi 7 avril
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Viktor Orban a réussi à se faire réélire pour la troisième fois consécutive et à s’assurer une majorité absolue au parlement hongrois. Ainsi le Fidesz, son parti, s’assure un quatrième mandat depuis qu’il est arrivé au pouvoir en 2010. Il a obtenu en effet 53,7% des voix et 135 sièges sur 199 que compte le parlement contre 34,4% et 56 sièges pour la coalition d’opposition, « Unis pour la Hongrie » rassemblant six partis. De son côté le parti d’extrême-droite « Notre Patrie » réussit à obtenir 7 sièges. Ce dernier est une rupture de la droite du Jobbik, parti d’extrême-droite xénophobe qui a entamé un virage au centre depuis quelques années.

Pour certains analystes il s’agit de la victoire électorale la plus importante de Viktor Orban depuis qu’il est au pouvoir étant donné le contexte politique dans lequel elle a lieu. Tout d’abord il faisait face à une coalition de six partis, allant de la droite dure du Jobbik jusqu’aux écologistes en passant par les sociaux-libéraux et des dissidents du parti d’Orban ; ensuite la guerre en Ukraine a compliqué la position d’Orban, qui entretient de bonnes relations avec Poutine ; enfin il y avait les pressions de l’UE sur le « respect de l’Etat de droit », une UE qui se sent renforcée par la nouvelle unité retrouvée face à l’invasion russe en Ukraine. Dans ce cadre, il n’était nullement sûr qu’Orban réussisse à conquérir de nouveau une super-majorité au parlement. Maintenant c’est chose faite. Cependant, beaucoup de questions persistent pour le futur du gouvernement.

Bonapartisme et corruption

Dans la presse européenne les discours sur le « danger autocratique » en Hongrie se multiplient. Ce sont des discours hypocrites, comme nous le verrons plus tard. Cependant, on constate un véritable contrôle de la part du Fidesz et de ses capitalistes amis sur pratiquement l’ensemble des institutions étatiques ainsi que des médias. Les réformes constitutionnelles et institutionnelles successives que le Fidesz a menées depuis 2010 ont permis à Orban de mettre en place un système électoral et politique taillé sur mesure, laissant très peu de chances à ses rivaux, y compris des partis bourgeois. Mais au-delà de la question électorale, le régime politique hongrois est devenu l’un des exemples modernes d’un certain type de bonapartisme, où le gouvernement, et plus particulièrement la figure de Viktor Orban, adoptent une position « d’arbitre » au-dessus des classes sociales pour mieux garantir les intérêts de la classe capitaliste dans son ensemble.

Par ailleurs, le contrôle serré par le parti d’Orban des institutions et de l’arène médiatique se combine avec une politique clientéliste qui lui assure un soutien important de certaines couches des classes populaires. Comme l’explique Zsuzsanna Szelényi : « le Fidesz a été exceptionnellement bon pour mobiliser son électorat dans les zones rurales. Dans les régions orientales les plus pauvres, le Fidesz a obtenu 93 % des voix. En général, ces personnes ont tendance à s’informer sur la politique dans les médias publics dominés par le gouvernement. Dans ces villages pauvres, qui comptent de nombreux électeurs roms, une grande partie de la population travaillent dans le cadre des programmes d’aide sociale de l’État et dépendent fortement, pour leurs revenus, des maires locaux qui se sont ralliés au Fidesz ».

Mais nous ne pouvons pas dire que ce contrôle du Fidesz sur la vie politique et institutionnelle du pays puisse tout expliquer. L’opposition bourgeoise et libérale n’a sans doute pas réussi à répondre aux inquiétudes d’une très large partie de l’électorat, à commencer par les plus pauvres et les travailleurs. En effet, une large partie de la population hongroise identifie Orban à une forme de stabilité, de prospérité économique et de fierté nationale. L’opposition libérale n’offre pas une politique économique très différente de celle d’Orban et prône en outre un alignement plus marqué derrière la politique des principales puissances de l’UE, ce que beaucoup peuvent voir avec méfiance.

Cependant, tout le régime sur lequel s’assoit Orban pourrait être bouleversé si la situation économique internationale venait à changer drastiquement, affectant directement les pays de la périphérie capitaliste comme la Hongrie. Dans ce cas, le mécontentement social et économique pourrait se combiner avec certaines expressions de la lutte de classe (que le pays a connues de façon sporadique ces dernières années). Étant donné le contrôle serré des voies institutionnelles du Fidesz, cela pourrait favoriser des formes de contestation extra-parlementaires. Et Orban et son gouvernement en sont conscients, notamment en ce moment où la guerre en Ukraine et les sanctions économiques à l’égard de la Russie sont en train de bouleverser l’économie internationale.

La Hongrie et la guerre en Ukraine

Comme dans beaucoup de pays de l’Europe, la guerre en Ukraine est devenue un sujet agissant sur la politique nationale. Elle s’est en effet invitée à la campagne électorale hongroise. Et elle a mis Orban dans une situation difficile. En effet le premier ministre hongrois a depuis longtemps entretenu de très bons rapports avec le président russe, Vladimir Poutine, ainsi qu’avec la Chine. Une façon pour lui de multiplier les partenaires internationaux et en même temps d’améliorer son rapport de forces face à Bruxelles.

Cependant, le large front antirusse des principales puissances impérialistes de l’UE et de l’OTAN mis en place après l’invasion russe de l’Ukraine contribue à faire augmenter la pression sur des dirigeants comme Orban. Celui-ci a soutenu la politique de sanctions de l’UE depuis 2014 mais par exemple a bloqué le transit par le territoire hongrois d’armes à destination du régime de Kiev. Orban entend défendre une certaine « neutralité » de son pays dans le conflit. The New Stateman l’explique de la façon suivante : « alors que sa position pro-Poutine a fait de lui un paria au sein de l’UE, où même ses partenaires polonais illibéraux du parti Droit et Justice (PiS) l’ont dénoncé, la plupart des électeurs hongrois ont reçu un régime constant de propagande pro-russe de la part des médias hongrois, qui affirment qu’Orbán protège les Hongrois en maintenant le pays à l’écart d’une guerre soutenue par l’opposition ».

Evidemment, cette position d’Orban ne s’explique pas seulement d’un point de vue politique mais aussi d’intérêts économiques. La Russie fournit en effet 90% du gaz et 65% du pétrole consommé en Hongrie. Cependant, cette situation pointe également les limites de la politique « rebelle » du gouvernement d’Orban face à Bruxelles. Comme on peut le lire dans le Financial Times : « pendant des années, M. Orban a souvent eu recours à ce que l’on a appelé sa "danse du paon" pour pousser les différends avec ses alliés avant de faire des reculs tactiques. Bien qu’il ait réprimandé Kiev - avec qui Budapest a un différend de longue date au sujet des minorités hongroises en Ukraine - et qu’il n’attaque pas la Russie aussi durement que ses collègues occidentaux, il a toujours voté avec l’UE en matière de sanctions. Mais l’invasion de l’Ukraine par Poutine a rendu moins tenable la rhétorique amicale d’Orban à l’égard de la Russie et sa défiance envers l’Occident. En particulier, la guerre creuse un fossé entre la Hongrie et la Pologne, qui a été un proche allié dans les affaires européennes mais qui est profondément hostile à Moscou (...) Les analystes s’attendent à ce que l’UE traite Orban différemment de la Pologne, qui s’est rapprochée de Bruxelles grâce à sa détermination pendant l’invasion [russe] et à l’accueil de plus de 2 millions de réfugiés ».

Autrement dit, l’unité européenne retrouvée suite à la guerre en Ukraine est en train d’être utilisée par Bruxelles (à savoir, les principales puissances impérialistes européennes) pour discipliner les « enfants terribles » de l’UE. Le gouvernement polonais n’est pas devenu « démocratique », il est juste plus clairement aligné derrière la politique de l’UE et de l’OTAN. Cependant, plus la guerre durera et la situation en Ukraine se dégradera, plus la pression sera forte sur Orban pour qu’il s’aligne derrière l’UE contre la Russie. Mais cette politique de pression peut aussi jouer contre l’unité de l’UE, notamment si la Russie réussit à obtenir quelques gains sur le terrain, ce qui donnerait au gouvernement hongrois confiance pour menacer de bloquer des décisions européennes.

Cependant, malgré les discours sur « l’autocratie » hongroise, il faut rappeler que le gouvernement hongrois est un fidèle collaborateur avec les grands capitalistes européens et les gouvernements impérialistes. Il l’a déjà démontré au moment le plus critique de la vague de réfugiés arrivés qu’a connu l’Europe en 2015. A ce moment-là la Hongrie a joué un rôle central dans le contrôle des flux migratoires en fermant ses frontières au passage des réfugiés venus depuis le Moyen-Orient vers l’Allemagne et les autres pays centraux de l’UE. La Hongrie est aussi un pays où les grandes multinationales allemandes, notamment du secteur automobile, font d’énormes profits grâce aux bas salaires et à la surexploitation de la classe ouvrière hongroise. C’est-à-dire le gouvernement d’Orban tente d’avoir certaines marges de manœuvre face aux impérialistes européens et il reste un fidèle défenseur des intérêts de la classe capitaliste nationale mais aussi des « impérialistes amis ».

Ainsi, la réélection de Viktor Orban représente un point d’appui pour les courants politiques les plus réactionnaires d’Europe, comme on peut le voir avec les visites que des dirigeants d’extrême-droite française font régulièrement dans le pays, mais en même temps le nouveau mandat du Fidesz aura lieu dans un monde bouleversé. Les conditions politiques et économiques internationales sont en train de changer rapidement et pourraient représenter des menaces pour la stabilité politique, économique et sociale du pays. Il reste à savoir si la classe ouvrière et les secteurs populaires de la société pourront jouer un rôle central dans la contestation de ce gouvernement réactionnaire ou si ce seront d’autres forces réactionnaires qui le feront.

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