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Attaques contre les partisans de la démocratie
Il ne s’agit pas uniquement d’attaques verbales. Ces organismes avaient déjà accusé avec force le député « pan-démocrate » Dennis Kwok, d’avoir fait obstruction au dépôt du projet de loi sur l’hymne national. Dennis Kwok leur a rappelé qu’ils sont liés par l’article 22. Mais les deux bureaux ont ouvertement répondu « il n’en est pas question ».
Cerise sur le gâteau, le gouvernement de Hong Kong, dont la plupart des gens pensent qu’il agit généralement sur instruction de Pékin, a arrêté quinze des plus célèbres personnalités « pan-démocrates » pour « rassemblement illégal ».
Bien que les partis « pan-démocrates » n’aient pas dirigé la révolte de Hong Kong de 2019 - c’était le cas de l’ensemble des partis - Pékin les considère toujours comme coupables pour leur sympathie avec elle.
En général, ces représailles sont également destinées à se venger de cette révolte - la plus importante jamais menée à Hong Kong.
En outre, le pouvoir de Pékin a saisi l’occasion de la pandémie pour poursuivre son offensive de démantèlement de l’autonomie de Hong Kong. Il a poussé à cet effet à plusieurs reprises la cheffe de l’exécutif Carrie Lam à déposer un projet de loi, prévu dans l’article 23 de la « Basic Law » qui stipule que le gouvernement de Hong Kong doit faire adopter une loi pour sauvegarder la « sécurité nationale » de la Chine.
En 2003, le pouvoir de Pékin avait déjà essayé, mais il avait dû reculer. En effet, 500 000 personnes étaient descendues dans la rue. Il en avait résulté un effet domino qui avait paralysé le camp des partisans de Pékin à la recherche d’une majorité pour faire voter la loi.
Si Pékin relance son offensive, alors ce sera notre prochaine bataille.
Les autres projets de Pékin visant à supprimer l’autonomie de Hong Kong continueront de toute façon à se déployer. Face au pouvoir de Pékin, existent cependant de grands et de petits obstacles, au sein et en dehors de l’establishment.
Fonctionnaires en dissidence
Les déclarations en interne de la cheffe de l’exécutif Carrie Lam ainsi que son document confidentiel pour Pékin, ont fait l’objet de fuites répétées. Ce qui l’a mise dans l’embarras.
On peut discerner au sein de ce mouvement de révolte de nombreux sous-courants de bas en haut de la hiérarchie :
Peu après l’incident de Yuen Long du 21 juillet (où une collusion existait entre la police et la mafia qui a attaqué des passager.es du train), des fonctionnaires dissident.es des services de l’immigration, des pompiers et des professionnel.les de la santé ont ouvertement critiqué la police.
Plus d’une centaine de fonctionnaires de 23 services ont ensuite envoyé une lettre ouverte exprimant la même préoccupation.
Puis, dans la dernière semaine de juillet, quatre cents fonctionnaires de différents départements ont écrit à Carrie Lam pour condamner la police, suivi.es par plus d’une centaine d’agents administratifs.
Encouragés par la démarche de ces agents administratifs, des fonctionnaires de deux départements sensibles, le Bureau de la Sécurité et la Division des poursuites judiciaires au sein du Ministère de la Justice, ont également exprimé leur désaccord.
Aucun des fonctionnaires dissident.es n’a révélé son nom.
Leur pratique habituelle était de poster leurs lettres en ligne, avec des photos du verso de leur carte professionnelle indiquant le nom de leur service.
Même le « Bureau d’innovation et de coordination politiques », fondé par Carrie Lam en 2017 et considéré par elle comme le cerveau de l’innovation politique du gouvernement, avait un « mur John Lennon » dans son bureau avec des affiches appelant à une enquête indépendante et à « régler les controverses politiques par des moyens politiques ».
Ce conflit au sein de l’appareil d’état a fini par faire boule de neige et se traduire par un rassemblement de 40 000 fonctionnaires le 2 août.
Michael Ngan était l’un des principaux organisateurs de cette manifestation, qui a jeté les bases du syndicat « Union for New Civil Servants » (syndicat des nouveaux fonctionnaires), fondée en novembre.
Vers la fin du mois d’août, les fonctionnaires dissidents du Ministère de la justice ont de nouveau critiqué la police.
Le Civil Human Rights Front (Front civique des droits humains) avait prévu une marche le 31 août, mais la police a arrêté sept militants bien connus la veille.
L’Association des procureurs de Hong Kong (Hong Kong Court Prosecutors Association) a envoyé une lettre interne à son chef de département accusant la police de mentir.
La fuite de cette lettre était probablement délibérée.
La police a également été confrontée à un petit courant comparable.
Il a été rapporté plus tard que « plus de 400 policiers ont quitté la police pendant les troubles liés à la loi anti-extradition, alors que le nombre de nouvelles recrues a chuté de 40 % d’une année sur l’autre ». (1)
Un cas spectaculaire concernant les policier.es dissident.es a été révélé à postériori. Le 17 janvier 2020, un policier de 31 ans, qui n’était pas en service, a été pris en flagrant délit en compagnies de sa petite amie et de sa mère, en train de coller des affiches « illégales » sur un « mur John Lennon ». Celles-ci dénonçaient pour violences policières le nouveau chef de la police, Chris Tang.
Le mouvement de protestation ayant maintenant cessé, Pékin cherchera certainement à organiser une purge parmi les fonctionnaires s’il pense que cela lui est nécessaire pour exercer un contrôle plus ferme sur l’appareil d’état.
Mais il lui sera probablement nécessaire de le faire par étapes, ce qui nous donnera peut-être plus de temps pour y faire face.
Mais il est également possible que Pékin prépare une attaque frontale.
L’indépendance du pouvoir judiciaire
La Loi fondamentale (Basic Law) autorise Hong Kong à conserver son propre droit issu de l’époque coloniale britannique. Celui-ci confère au Tribunal de dernière instance (Court of Final Appeal) le pouvoir de rendre des décisions finales. Il autorise également cette Cour à « inviter des juges d’autres juridictions de common law à siéger à la Cour » (article 82), et à recruter des « juges d’autres juridictions de common law » pour tous les tribunaux locaux (article 92).
Les juges sont en général conservateurs. En outre, une grande partie des lois coloniales sont très dures et répressives.
Cependant, la loi et le système juridique de Hong Kong sont tout de même bien meilleurs que ceux de la Chine continentale, où ce sont quasiment les secrétaires du parti qui rendent les décisions.
Le taux de condamnation des tribunaux chinois est proche de 100 %. A Hong Kong en 2017, le taux de condamnation était au final de 53,4 % dans les Magistrates’ Courts (affaires criminelles), de 69,2 % dans les tribunaux de district et de 65,3 % dans les tribunaux de première instance.(2)
Pékin hait le système judiciaire de Hong Kong et fait pression sur lui, ouvertement et secrètement. Une lutte acharnée se poursuit en secret.
L’organisme indépendant de veille anti-corruption (ICAC)
L’institution que Pékin déteste le plus est l’ICAC (Independent Commissioner Against Corruption) qui joue le rôle de chien de garde contre la corruption.
L’ICAC a mené une enquête sur des entreprises chinoises présentes à Hong Kong, ce qui a indirectement provoqué la poursuite en justice de hauts dirigeants de banques chinoises en Chine continentale.
Ces dernières années, les rumeurs sur la manière dont Pékin a tenté d’épurer ses hauts fonctionnaires ont abondé.
Et Pékin a dénoncé une influence britannique au sein du l’ICAC.
Le témoignage d’Alex Tsui constitue un élément important. Cet ex-directeur adjoint des opérations de l’ICAC a été licencié par le gouvernement colonial en 1994. Le Conseil législatif (LecCo) a organisé une réunion sur cette affaire.
Alors que le gouvernement a affirmé avoir des raisons de soupçonner Alex Tsui d’avoir des liens avec la mafia, ce dernier a affirmé que la raison de son licenciement d’avoir émis des objections à la création par ses supérieurs d’un nouveau département secret dont la mission était de faire de l’ICAC « un service secret pour la Grande-Bretagne après 1997 tout en utilisant le prétexte de la lutte anti-corruption »(3).
Mais l’influence de la Grande-Bretagne va bien au-delà de ses espions.
Si quelques habitant.es de Hong Kong ont la nostalgie du gouvernement colonial et brandissent son drapeau, c’est uniquement parce qu’en comparaison, les mandarins de Pékin et leurs subalternes sont des zombies monstrueux.
En ce qui me concerne, je n’ai aucune nostalgie du pouvoir colonial. Mais l’anticolonialisme ne devrait pas nous empêcher de comprendre correctement la véritable force des Britanniques ou de l’Occident en général.
Leur force à Hong Kong ne vient pas du financement de manifestant.es ou du déploiement de nombreux/euses espion-nes.
Elle réside dans son hégémonie culturelle appelée également « soft power » : une approche moderne en matière de persuasion politique ainsi que de relatives « bonnes pratiques » en matière de gouvernance, etc.
Si une partie importante des fonctionnaires de l’ICAC ou d’autres organismes étatiques continuent à considérer le Royaume-Uni comme un modèle de bonnes pratiques, cela ne doit pas nous surprendre.
A propos des « forces étrangères »
Ce qui précède nous amène à une brève discussion sur les « forces étrangères ».
La Loi fondamentale de 1990 (Basic Law), était davantage une concession de Pékin au Royaume-Uni et aux États-Unis, qu’à la population de Hong Kong.
Le pouvoir de Pékin a toujours traité celle-ci avec mépris.
Mais il a dû faire une concession au Royaume-Uni et aux États-Unis, en contrepartie de l’obtention de son ticket d’entrée au sein du capitalisme mondialisé en général, et de l’OMC en particulier.
Cette politique a été couronnée de succès et la Chine a pris son essor. Elle se sent maintenant assez forte pour déchiqueter ce qu’elle avait promis à l’Occident.
Elle a décidé de se confronter à l’Occident, d’où d’une part la guerre commerciale, et d’autre part le projet de loi sur l’extradition.
Les États-Unis ont riposté avec leur loi Hong Kong Human Rights and Democracy Act (HKHRD). Celle-ci constitue un des obstacles supplémentaires auquel Pékin doit faire face s’il veut lancer une attaque frontale contre Hong Kong.
La stratégie pan-démocrate
Quant à l’opposition, les pan-démocrates ont maintenant pour objectif d’être majoritaires en sièges lors des prochaines élections législatives de septembre.
Leur plan est de mettre leur veto lors du vote du budget afin de créer une crise constitutionnelle afin d’obliger Pékin à céder sur les cinq revendications du mouvement de 2019 [dont celle de l’élection au suffrage universel de l’ensemble des député.es et du /de la cheff.fe de l’Exécutif].
Ils/elles continuent également à s’allier à l’establishment étatsunien dans le but de renforcer leur pouvoir de négociation. J’avais exprimé en septembre ma critique de la loi HKHRD et je ne la répète pas ici. (4)
Je suis d’avis que si nous devons participer à l’élection, nous ne devons pas placer tous nos espoirs en celle-ci.
La première raison est l’existence d’une barrière institutionnelle destinée à empêcher l’obtention d’une telle majorité par l’opposition (le système politique est principalement conçu pour bloquer cette possibilité, et c’est pourquoi il faut continuer à nous battre pour obtenir le suffrage universel).
La seconde raison est que Pékin ne se contentera pas de baisser les bras en voyant les pan-démocrates s’approcher de la majorité.
Les événements de ces six dernières années suffisent à démontrer que le régime de Pékin pourrait recourir aux mesures les plus drastiques, incluant des extraditions extrajudiciaires vers le continent. Il a également réinterprété la loi fondamentale (Basic Law), disqualifié des député.es, etc.
Cerise sur le gâteau, il peut aussi tout simplement promulguer la Loi sur la sécurité nationale en lieu et place de Hong Kong, et ensuite l’utiliser pour poursuivre les candidat.es pan-démocrates aux prochaines élections. En fait, de nombreuses lois draconiennes de la période coloniale sont toujours en vigueur, de sorte que même sans une nouvelle loi sur la sécurité nationale, la Chef de l’Exécutif Carrie Lam peut toujours facilement poursuivre les personnalités et député.es pan-démocrates.
Consolider le mouvement d’opposition par en bas
En ce moment, il n’est pas facile de relancer des protestations sociales massives. Ne devrions-nous pas profiter de cette opportunité pour réfléchir aux leçons à tirer de la révolte de 2019 ?
Aussi grand le mouvement a-t-il été, il comportait également de multiples faiblesses.
Le culte juvénile de la spontanéité est parfois allé trop loin, au point de devenir hostile à toute organisation et forme de représentation. Par voie de conséquence, comme ce fut le cas pour le Mouvement des parapluies de 2014, les millions de protestataires énergiques issu.es des suites de la révolte de 2019 sont aussi atomisé.es qu’auparavant : aucune organisation, aucun débat public et délibération appropriés, et en final aucun canal approprié pour l’auto-éducation politique des masses.
Heureusement, depuis la fin de l’année dernière, une nouvelle couche de jeunes salarié.es a émergé et a appelé à l’organisation de nouveaux syndicats afin de préparer de futures grèves.
La plupart ont entre 25 et 35 ans, travaillent comme cols blancs ou à leur compte, et ne sont pas membres des syndicats traditionnels.
Le 7 octobre 2019, ces jeunes syndicalistes ont fondé un groupe de discussion en ligne sur l’application Telegram appelée « front uni pour une grève générale forte de deux millions de personnes ». Son objectif était de fonder de nouveaux syndicats capables d’impulser des grèves contre le pouvoir.
Très vite, le nombre d’abonné.es à ce groupe Telegram a atteint 80 000, et 42 nouveaux syndicats ont vu le jour. L’un d’entre eux est l’Alliance des employé.es de l’hospitalisation publique (HAEA) qui a revendiqué 40 000 membres.
Lors du Nouvel An chinois de 2020, en pleine pandémie de coronavirus, la HAEA a appelé à une grève de cinq jours pour exiger notamment la fermeture de la frontière avec la Chine.
Des milliers de salarié.es ont participé à cette grève. Même si certains.es ont jugé cette revendication discutable, l’ampleur de cette grève a démontré que le jeune syndicat HAEA avait une réelle base de masse.
Mais ce mouvement comporte aussi des faiblesses
De nombreux/euses militant.es considèrent que le but de la syndicalisation est de faire une grève générale politique contre le gouvernement dans un avenir proche,
D’autres pensent que la création d’un nouveau syndicat devait permettre à l’opposition d’avoir davantage de voix au sein du Comité électoral élisant le/la chef.fe de l’Exécutif : selon la loi fondamentale (Basic Law), les syndicats ont en effet quelques sièges dans ce comité qui « élit » le/la chef.fe de l’Exécutif de Hong Kong.
Cette dernière opinion pourrait avoir un tout autre objectif que la première, surtout lorsqu’elle souligne à plusieurs reprises que son ennemi est le gouvernement de Carrie Lam et non le patronat.
Ces deux projets sont en fait exclusifs l’un de l’autre :
– Construire un syndicat capable de faire la grève, nécessite un nombre important de membres et un militantisme de base, et en particulier un niveau de cotisations syndicales suffisamment élevé pour soutenir le syndicat lorsqu’il part en grève ;
Alors que créer un syndicat dans le seul but de disposer de davantage de voix lors de l’« élection » du /de la chef.fe de l’Exécutif ne nécessite que le respect des exigences légales de base en matière d’adhésion (sept syndiqué.es minimum) et d’enregistrement, ce qui est le contraire de la création de syndicats forts.
Néanmoins, au sein du nouveau mouvement syndical, il y a eu peu de discussions sérieuses concernant les divergences sur l’objectif de celui-ci.
Selon la deuxième position, la création de syndicats pourrait également devenir une bataille de chiffres.
Il est étonnant de constater qu’au cours des trois premiers mois de 2020, il y a eu 1 578 nouvelles demandes d’enregistrement de syndicats, soit une multiplication par cent par rapport à 2019.
Il est raisonnable de penser qu’une part importante de ces demandes provient également de partisans de Pékin, qui sont également impatients de participer à cette inflation dans la création de nouveaux syndicats sans réelle base.
Certains des nouveaux syndicats ont bien entendu une base réelle, comme celui de la santé publique (HAEA). En général, ce nouveau mouvement syndical est animé par des milliers de militant.es sans grande expérience, mais très motivé.es. Parvenir à consolider ce nouveau mouvement syndical est d’une importance primordiale pour que le mouvement démocratique puisse reprendre son essor dans un avenir proche.
26 avril 2020.
(Traduction de l’anglais, Dominique Lerouge).
Notes
1. Unrest takes toll on police recruitment,
https://www.thestandard.com.hk/section-news/section/4/218047/Unrest-takes-toll-on-police-recruitment
2. Prosecutions Hong Kong 2017,
https://www.doj.gov.hk/eng/public/pdf/pd2017/statistics.pdf
3. ICAC ’a secret service’,
https://www.scmp.com/article/71813/icac-secret-service
4. Au Loong-yu (12 septembre 2019) : Finding the right match : HKHRDA and its contradictions -
Is Hong Kong’s fight for freedom seeking the wrong allies ?
https://lausan.hk/2019/hong-kong-human-rights-and-democracy-act-contradictions/
NB : une version anglaise abrégée de cet article est disponibles sur le site ESSF
http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article53117
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