Durant les années 1960 et 1970, ce sont des centaines d’ouvrages qui sont publiés par les éditions Maspero, contribuant à actualiser et renouveler la pensée critique, notamment marxiste. Guerre d’Algérie [1], colonialisme, stalinisme, mutations du capitalisme et des classes sociales, « nouveaux intellectuels », etc. Autant de thématiques explorées par les nombreux auteurs édités chez Maspero, de Frantz Fanon à Louis Althusser en passant par Nikos Poulantzas, Samir Amin, Andreas Gunder Frank, Malcolm X, le Che, Jean-Pierre Vernant ou Pierre Vidal-Naquet. Sa librairie et sa maison d’édition constituèrent ainsi un indispensable point de rencontre et de référence pour tous ceux et toutes celles qui travaillaient à changer radicalement la société [2].
En 1969, une réédition des Chiens de Garde de Paul Nizan (1932), paraît chez Maspero. Les chiens de garde, un ouvrage essentiel pour toutes celles et tous ceux qui refusent de se soumettre à la domination idéologique des philosophes de salon au service des classes dominantes, dans lequel Paul Nizan écrit notamment ces lignes, toujours brûlantes d’actualité : « Nous n’accepterons pas éternellement que le respect accordé au masque des philosophes ne soit finalement profitable qu’au pouvoir des banquiers ».
À l’heure où l’édition se trouve de plus en plus gouvernée par les seules logiques marchandes, par son intégration à de grands groupes multimédias, et où seuls quelques éditeurs indépendants tentent de faire vivre une autre idée de l’édition ; à l’heure où les « grands » médias célèbrent des « philosophes » nommés Bernard Henri-Lévy et Alain Finkielkraut ; à l’heure où les « intellectuels » que les grandes maisons d’édition s’arrachent se nomment Éric Zemmour et Caroline Fourest ; à l’heure, enfin, où Philippe Val se pose en pourfendeur du « prêt-à-s’indigner médiatique » et du « sociologisme », Acrimed s’associe aux hommages sincères rendus à un éditeur pour qui, comme il le rappelait récemment dans une interview accordée à la revue Période, l’engagement n’était pas qu’une posture :
J’ai toujours eu pour principe, à partir du moment où je publiais un auteur, de le soutenir en cas de nécessité : c’est ainsi que, par exemple, je me suis fait expulser de Bolivie, puis d’Espagne pour être allé témoigner en faveur de l’auteur d’une biographie de Franco, et que je suis allé manifester en Israël, en 1971, ma solidarité avec un auteur palestinien interné dans un camp. Du moment qu’on publie, on est responsable jusqu’au bout.
Le meilleur hommage que l’on puisse rendre à François Maspero, le seul à même de marquer une véritable fidélité à l’héritage intellectuel qu’il nous lègue, c’est de prolonger le combat, inséparablement éditorial et politique, qu’il mena pour l’émancipation.
Au revoir monsieur Maspero, et merci.
Notes
[1] François Maspero fut l’un des signataires du « Manifeste des 121 ».
[2] Voir notamment le portrait que lui avait consacré Chris Marker.