Édition du 29 octobre 2024

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Le Monde

Géopolitique 101 : le « conflit » au Moyen-Orient

Israël est un proxy des États-Unis. Les distances prises par les dirigeants américains à l’égard de l’État hébreu sont factices et futiles.

Michel Seymour
Professeur honoraire
Université de Montréal
Auteur de Nation et autodétermination au XXIe siècle, PUM, 2024

Ils veulent nous faire croire qu’ils sont pour un cessez le feu, qu’ils y travaillent jour et nuit, qu’ils sont pour l’acheminement de nourriture par la construction d’une zone portuaire à Gaza et qu’ils sont contre la régionalisation du « conflit », mais ils financent maximalement l’État sioniste pour qu’il accomplisse la basse besogne espérée par Washington : s’attaquer à l’Iran. On se rappellera à ce propos que dans un memo confidentiel dévoilé par le général Wesley Clark, les USA ont décidé après 2001 d’intervenir dans sept pays : Irak, Liban, Soudan, Syrie, Libye, Somalie et Iran. Seul l’Iran avait jusqu’à présent été épargné. C’est à cela qu’Israël veut maintenant s’employer.

Se servir d’un proxy, ce n’est pas nouveau. Les USA se sont servis des Moudjahidines contre l’URSS en Afghanistan. Ils se sont servis des Contras contre les Sandinistes au Nicaragua. Ils se sont servis des Kurdes pour combattre DAESH et de DAESH et d’Al Qaeda pour combattre Bachar Al Assad. Ils se servent maintenant de l’Ukraine pour affaiblir la Russie et bientôt, de Taiwan, de la Corée du Sud, des Philippines, du Japon et de l’Australie pour combattre la Chine. C’est dans ce contexte qu’ils veulent se servir d’Israël pour combattre l’Iran.

Un choc des civilisations

Pour que les peuples occidentaux soient mobilisés dans cette entreprise mortifère, l’État américain s’arrange pour entretenir les sentiments de russophobie, de sinophobie et d’islamophobie. Le choc des civilisations envisagé par Samuel Huntington est une théorie fausse, mais elle peut être rendue vraie dès lors que tout le monde y croit.

Mais pourquoi vouloir dominer le Moyen-Orient ? Pour le pétrole ? Pourquoi voudraient-ils s’emparer des ressources pétrolières et gazières qui s’y trouvent alors qu’ils sont maintenant autosuffisants ? Il s’agit en fait de s’assurer que le pétrole soit vendu en dollars US. Si les USA épargnent l’Arabie saoudite, c’est parce que celle-ci a jusqu’à récemment fait honneur aux pétrodollars. Ce n’est pas pour rien qu’ils veulent étendre les accords d’Abraham pour inclure les Saoudiens.

Les Américains et l’Arabie saoudite se sont impliqués dans la tentative de renverser Bachar Al Assad quand ce dernier a approuvé le projet de pipeline iranien au lieu du projet de pipeline saoudien. Il faut donc en finir avec les ressources pétrolières de l’Iran car celles-ci pourraient être vendues éventuellement sans faire usage du dollar US.

Les Américains ont réussi à mettre un terme à la vente du pétrole et du gaz russe en Europe, et là, ils occupent le tiers de la Syrie ainsi qu’une partie de l’Irak. Il ne manque plus que la destruction des installations pétrolières de l’Iran. Les États-Unis seraient contents de voir Israël se charger de les bombarder.

Le dollar US

Mais pourquoi vouloir à tout prix maintenir la ressource pétrolière vendue en dollars américains ? C’est pour s’assurer que le dollar demeure la devise de réserve mondiale. Sinon, leur monnaie va perdre de sa valeur. L’inflation sera galopante. Il faudra hausser les taux d’intérêt pour attirer les investisseurs vers les bons du trésor américains. Cela va ralentir l’économie et accroître le pourcentage de la dette par rapport au PIB. On prévoit pour 2050 une dette atteignant 200% du PIB et le tiers des revenus servant à payer le service de la dette. Cela va inquiéter les investisseurs et le dollar US va poursuivre sa chute, ce qui va accroître l’inflation, au point où les investisseurs voudront se départir de leurs bons du trésor, ce qui va affaiblir encore plus le dollar et engager les USA dans l’hyperinflation. La crainte de la dédollarisation hante les États-Unis et c’est la raison pour laquelle ils cherchent à maintenir leur hégémonie économique par la force, contre la Russie, la Chine et l’Iran.

La réflexion ne va pas loin dans l’explication des « conflits » au Moyen-Orient. On parle d’une « catastrophe humanitaire » causée par une guerre opposant Israël et le Hamas. L’emploi du mot ’génocide’ est rendu difficile. La direction du New York Times interdit même à ses journalistes d’employer le mot. Chez nous, la vaste majorité des personnalités publiques n’osent pas s’aventurer sur ce terrain. Serions-nous sous l’emprise d’un interdit provenant de lobbys appuyant la propagande américaine ?

Conclusion

Sauf pour quelques députés du NPD, la Chambre des communes est demeurée réservée et ce, bien que le tandem Biden/Harris finance le génocide, fournit les bombes meurtrières et laisse aller la famine imposée par l’État d’Israël sur toute la bande de Gaza. Alors qu’ils appuient et encadrent volontairement le génocide de Netanyahou (ce serait sans doute pire avec Trump), nos propres dirigeants se réfugient dans un mutisme complet. C’est pourtant le premier génocide à être diffusé en direct partout dans le monde. Comment la chambre des communes parvient-elle à rester silencieuse face à cette entreprise criminelle ?

Si on veut cependant y mettre fin, il faut plus que l’indignation et la condamnation morale. Il faut comprendre ce qui est en jeu. Nous sommes en face d’une puissance impérialiste paniquée à l’idée de perdre son hégémonie. Expliquer le génocide présentement en cours à Gaza en se contentant d’invoquer l’existence d’un lobby pro-Israël risque de nous faire perdre de vue une appréciation géopolitique instruite qui va au cœur du sujet. 

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