Tiré du blogue de l’auteur.
26 mai, en soirée. Je suis chez moi, à Mosset. Avec un ami, nous regardons les résultats de l’élection du Parlement européen à la télé. Cet ami, vieux communiste parisien, a voté évidemment pour Ian Brossat, se félicitant de soutenir un gars jeune, dynamique, homosexuel, Juif et, paraît-il, excellent adjoint à la Mairie de Paris en charge du logement. J’ai voté comme lui. Pour la première fois de ma vie, j’ai donné ma voix à une liste animée par le PCF. Parce que j’estimais indispensable que soient réélus les deux députés européens sortants, Patrick Le Hyaric et Marie-Pierre Vieu, qui avaient fait un excellent travail sur tous les dossiers qui me tiennent à cœur. Mais il fallait pour cela que la liste Brossat atteigne les 5%. Comme je trouvais ridicule la compétition entre EELV et LFI pour être les premiers à gauche, j’ai préféré que ma voix aide la liste Brossat à obtenir les 5%. D’autant que je savais qu’élus PCF et élus LFI se retrouveraient dans le même groupe parlementaire, la Gauche Unitaire Européenne – GUE (je ne peux m’empêcher de me souvenir qu’ayant indiqué cette commune appartenance au même groupe parlementaire, je me suis fait rabrouer sur Facebook par un militant LFI m’annonçant avec arrogance avant le 26 mai que les élus LFI ne rejoindraient pas la GUE – ce qu’ils ont fait bien évidemment après le 26 mai, au point aujourd’hui de se vanter de leur apport à ce groupe ! Les mesquineries politiciennes n’ont jamais épargné ceux qui prétendent faire de la politique autrement).
Evidemment, plus la soirée avance, plus la consternation est grande. Nous sommes sidérés. Et partagés. Voir Macron qui s’est investi totalement dans cette campagne, renonçant à son rôle prédominant de président de tous les Français, être battu sur l’enjeu qu’il a lui même fixé, cela fait plaisir. Mais voir l’extrême-droite héritière de Vichy arriver de nouveau en première place ne peut réjouir personne. Comme je l’écrivais déjà ici même en 2017, « ni la peste, ni le choléra ». Mais à l’époque, nombreux étaient ceux qui ne redoutaient que la peste (brune).
Les résultats médiocres du PCF et de LFI sont sidérants. Le succès relatif d’EELV n’apporte qu’une satisfaction mineure, car elle est mitigée suite aux ambiguïtés entretenues pendant la campagne par la tête de liste. Plus que jamais, la gauche est un champ de ruines.
Les logiques d’appareil, la volonté de rassembler réduite à l’exigence de ralliement, l’orgueil surdimensionné de certains dirigeants, la gangrène populiste, la méfiance voire l’agressivité partout, la solidarité de classe nulle part, tout cela nous a conduits là où nous sommes.
Et pour encore aggraver la situation, le PS sauve la mise, ce parti qui, au Parlement européen (comme en France, d’ailleurs) a été avec la droite conservatrice et la droite libérale à la pointe de toutes les avancées du néo-libéralisme le plus agressif. Sans le PS de Jospin, pas de libéralisation des secteurs de l’énergie et des transports, sans le PS complice de Sarkozy en 2007-2008, pas de traité de Lisbonne, copié-collé du projet de Constitution européenne rejeté par les peuples de France et des Pays Bas en 2005. Sans le PS de Hollande, pas de Pacte budgétaire, ni de politiques austéritaires. Au regard de l’Histoire, le PS porte la responsabilité historique d’avoir trahi ceux qu’il était censé protéger, de s’être rallié dès 1983 avec le « tournant de la rigueur » et le soutien aux accords de l’OMC , au néo-libéralisme le plus aveugle et même d’en avoir été un fer de lance avec des individus comme Delors, Strauss-Kahn, Fabius, Lamy, Moscovici, Hollande et…Macron, avant qu’il ne devienne l’homme de la banque Rothschild chargé de prendre le contrôle de la France.
Ayant écrit cela, je suis peut-être soulagé de ne pas le garder pour moi, mais cela n’enlève rien au constat douloureux : il n’y a pour l’heure aucune force politique de gauche - au sens où ce mot signifie aujourd’hui exigence démocratique, justice sociale et, vu l’urgence, extrême sensibilité écologique - qui soit en capacité de transformer le système qui exploite les humains et la planète. Pas même EELV dont on est, de surcroît, en droit de douter désormais de sa volonté transformatrice.
J’ai signé l’appel à un « Big Bang » lancé par Clémentine Autain et quelques autres. Faute de mieux.
Je ne crois pas à cette idée complaisamment entretenue par les médias et les populistes selon laquelle les regroupements de citoyens en partis politiques, c’est fini. Le « dégagisme » bien réel s’applique davantage à des personnes qu’à des structures. Il s’applique à des générations de politiciens et de politiciennes de tous bords qui ont dévoyé la notion de mandat, qui ont discrédité la démocratie représentative, qui ont fait du mandat un métier, ce qui a conduit au carriérisme, à la corruption des valeurs et des individus et à l’abandon des engagements.
Un projet politique qui refonderait la démocratie représentative en supprimant toutes les formes de cumuls et de conflits d’intérêts, en réduisant le nombre de mandats qu’une même personne peut exercer, en soumettant l’élu à la transparence, à des contrôles populaires et en instaurant sa révocabilité, en introduisant des formes de démocratie directe, un tel projet redonnerait confiance. Un projet politique qui mettrait fin à la toute puissance d’un seul homme que ce soit au niveau de l’Etat, de la Région, du Département ou de la Commune et l’intégrerait dans un exécutif collégial rendrait confiance dans les institutions. Un projet politique qui instaurerait un système électoral proportionnel encadré par des mécanismes garantissant la stabilité de l’exécutif (comme ils existent en Allemagne) rendrait confiance dans l’élection. La gauche à refonder doit devenir le fer de lance d’une nouvelle démocratie représentative et participative.
Mais cela ne suffit pas. Deux chantiers importants doivent être ouverts pour que la démocratie politique à réinventer s’accompagne d’une authentique démocratie sociale. Ces chantiers concernent le système fiscal et les services publics. Il faut une fiscalité effectivement redistributrice qui n’épargne aucun acteur de la société. Il faut des services publics qui garantissent le plein exercice des droits fondamentaux à l’eau potable, à une alimentation de qualité, à des services de santé accessibles à tous, à un système éducatif qui efface les inégalités de départ, à un logement décent, au transport, à un travail valorisant, à la culture, aux loisirs. Pour tous, y compris ceux qui ont donné l’essentiel de leur vie au travail. Sans doute, certains verront ici la formulation de vieux rêves. Mais ces rêves ont-ils perdu de leur pertinence parce qu’un courant politique dont il était initialement le porteur y a renoncés ?
Mais avant tout cela ou en même temps, il y a l’urgence écologique. C’est une véritable révolution qui s’impose si nous voulons sauver la planète telle qu’elle nous fut prêtée par les générations d’avant le XXe siècle. Nous devons modifier radicalement nos modes de vie, nos exigences en matière de production, de consommation, de déplacement. Nous devons maintenant mettre en place des politiques qui tendent à supprimer tout ce qui détruit les espèces vivantes. Nous devons maintenant mettre en place des politiques qui tendent supprimer tout ce qui contribue au réchauffement climatique. Nos besoins en énergie doivent être satisfaits par des moyens qui n’affectent ni les personnes, ni les territoires, ni la planète ; ils doivent être limités par des politiques d’économie d’énergie dans le bâtiment, dans les transports individuels, dans les espaces publics.
J’ai la faiblesse de penser qu’il y a une attente pour un rassemblement, au-delà des formations existantes et de préférence en les intégrant, qui se donnerait pour projet politique les trois objectifs que je viens d’indiquer – urgence écologique, démocratie représentative et participative, démocratie sociale - avec les engagements précis et concrets que requiert la crédibilité.
Je continue à croire à la dynamique de la démarche unitaire sur un tel projet, à sa capacité à mobiliser les abstentionnistes et même ceux qui, par colère, votent populiste. Mitterrand en 1981, Jospin en 1997, Hollande en 2012 avaient réussi à mobiliser sur des promesses auxquelles le premier a renoncé dès 1983, le deuxième dès son arrivée à Matignon et le troisième dès son arrivée à l’Elysée. Ils ont déçu en mettant en œuvre des politiques à l’opposé de ce pour quoi ils avaient été élus. Mais ils ont été élus par une démarche unitaire. Une nouvelle démocratie représentative telle que je l’ai esquissée rendrait infiniment plus difficiles de telles trahisons.
Je livre ces idées au débat.
Le hasard d’un rangement m’a amené à regarder la vidéo d’une conférence que j’avais donnée en 2007 dans le cadre de la campagne présidentielle de José Bové. Comme mon candidat avait réduit son programme à sa propre personne, je m’étais senti libre de formuler quelques développements correspondant aux attentes que je ressentais dans notre public. Ces attentes étaient déjà, pour l’essentiel, ce que je viens de proposer, l’urgence écologique sans doute un peu moins fortement perçue qu’aujourd’hui.
Mais quand donc allons-nous triompher des particularismes des individus et des structures qui ruinent nos espérances ?
Raoul
9 juin 2019
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