Maud Vergnol : Vous êtes à l’origine du texte collectif publié aujourd’hui dans les colonnes du Monde, qui appelle la gauche à un « big bang ». Quel en est l’objectif et à qui s’adresse-t-il ?
Clémentine Autain : Les élections européennes doivent constituer un choc. Pour l’instant, ce n’est pas tout à fait le cas. Ce qui rassemble les signataires de l’appel, c’est l’idée qu’on ne peut pas se résigner au couple infernal néofascisme versus néolibéralisme. Les résultats des européennes sont alarmants de ce point de vue car on ne voit pas se dessiner une alternative sociale et écologiste qui pourrait damer le pion à ce scénario désastreux. Si nous avons pris cette initiative, notamment avec Elsa Faucillon, il appartient à toutes celles et ceux qui l’ont signé, dans leur diversité. Tout le monde n’y a pas mis les mêmes enjeux mais nous nourrissons une aspiration commune à construire et à bâtir des passerelles. Pour cela, il faut se parler, s’écouter, se respecter, créer des ponts entre différents secteurs. Car la solution ne réside pas uniquement dans le champ politique tel qu’il est constitué aujourd’hui. Syndicalistes, militants associatifs, intellectuels, artistes... doivent se mettre en mouvement pour bousculer la situation. Un simple cartel électoral ne répondra pas au défi qui est devant nous. Même en additionnant les partis, le compte n’y serait pas. Il faut donc ouvrir les portes et les fenêtres sur la société, sur le monde de celles et ceux qui luttent et qui créent.
Comment analysez-vous ce décalage entre ce qui se passe dans la société, les mobilisations sociales, l’urgence climatique... et leur traduction dans les urnes ? Est-ce juste un problème de « structures », d’incarnation, ou s’agit-il d’un problème politique plus grave encore, celui de la crédibilité des projets alternatifs au capitalisme ?
Clémentine Autain Ce qui rend crédible un projet politique, c’est le nombre de personnes qui le portent. Ce fut le cas en 1936, par exemple, avec les congés payés. Mais nous avons en effet à travailler plus sérieusement sur le projet. Notre façon de penser et d’énoncer notre visée émancipatrice n’est pas suffisamment aiguisée pour répondre aux défis de notre temps. La lutte contre le productivisme impose, par exemple, de renouveler le logiciel du mouvement ouvrier. Avant, on s’attachait à savoir comment partager ce que l’on produit. Il nous faut maintenant répondre à une nouvelle question : qui décide de ce que l’on produit ? Laisse-t-on le consumérisme gangréner nos imaginaires, en détruisant l’écosystème et en abîmant nos réalités quotidiennes comme nos désirs ? On s’intéresse aussi beaucoup aux questions de statuts et de droits, il faut aussi parler du contenu du travail, son sens et ses conditions d’exercice. De la même façon, l’égalité était autrefois pensée essentiellement comme une question sociale, elle s’impose désormais comme un enjeu également territorial. Au fond, les gilets jaunes ont mis la question du droit à la ville sur le devant de la scène. Autre terrain, la révolution numérique, qui invite à repenser les conditions de la liberté. Dans le cadre du capitalisme mondialisé, les réponses doivent être suffisamment fortes pour apparaître tangibles. Nous avons aussi besoin de victoires, c’est pourquoi la bataille contre la privatisation d’ADP peut constituer un premier levier. Et ce dont nous avons peut-être plus fondamentalement besoin, c’est d’un nouvel imaginaire. En un mot : une espérance.
Vous avez été l’une des premières à vous inquiéter de la stratégie dite « populiste » de la France insoumise (FI), qui explique, selon vous, son échec aux européennes. Êtes-vous la seule à dresser ce constat au sein de la FI ?
Clémentine Autain Non, je ne le crois pas. Je ne suis pas la seule à penser que ce qui a fait la force de ce mouvement en 2017, c’est un profil rassembleur sur un contenu de gauche radical et cohérent. Jean-Luc Mélenchon, comme Emmanuel Macron d’ailleurs, a eu alors la juste intuition que le monde politique était à bout de souffle. Il a su articuler cette aspiration au renouvellement à un profil fédérateur pour un peuple de gauche en déshérence après l’ère Hollande. Ce qui a conduit à la déroute actuelle, c’est une succession de partis pris qui se sont appuyés davantage sur le ressentiment que sur l’espérance, qui ont installé un « eux » et un « nous », avec une logique de clash permanent et cette idée que, par une somme de colères captée par un leader, on peut gagner. Et la séquence des perquisitions a évidemment pesé. En deux ans, le capital politique né de la présidentielle s’est ainsi érodé.
Ces désaccords sur la stratégie politique de la FI sont-ils réconciliables ? En clair, la FI est-elle au bord de l’implosion ?
Clémentine Autain Je pense plutôt à un risque de repli qu’à une implosion. Je partage la grande tristesse des militants face au résultat des européennes. Maintenant, la question est de savoir comment et où vont avoir lieu les débats qui permettront à l’ensemble des militants de rebondir et de retrouver le chemin de la réussite.
Ce débat est-il engagé aujourd’hui au sein de la FI ?
Clémentine Autain Je ne sais pas où il peut se mener et comment il peut se trancher au vu du fonctionnement actuel de la France insoumise, mouvement gazeux qui revendique de ne pas avoir de direction. Le lieu auquel je participe est le groupe parlementaire. Mais les militants, comment vont-ils pouvoir s’approprier ce débat et peser sur la stratégie politique ? Je plaide pour une avancée démocratique dans la FI.
L’efficience du clivage gauche-droite est également au cœur des désaccords. êtes-vous pour l’abandonner ?
Clémentine Autain Non. Je ne crois pas à un revival de l’Union de la gauche, et je suis convaincue qu’agiter le mot gauche comme un étendard ne sert à rien. En revanche, je crois qu’il faut fédérer sur la base d’un projet qui remplisse le mot gauche, sacrément abîmé par l’ère Hollande, et vise la transformation sociale et écologiste. Prendre trop de distances avec la gauche amène parfois à un discours qui ressemble surtout à celui de la droite qui, elle, sait bien où elle habite.
Quelques jours avant les élections, Jean-Luc Mélenchon avait appelé à la formation d’une « fédération populaire ». Au vu de l’échec des européennes, la FI peut-elle encore se prévaloir d’être le pilier autour duquel peut se reconstruire quelque chose ?
Clémentine Autain Je n’aime pas les attitudes hégémoniques en règle générale. Nous ne pouvons reprendre la main qu’à la condition, précisément, d’accepter la diversité, le pluralisme. C’est le sens de cette « fédération », ce nouveau « front » que j’appelle de mes vœux.
« Le pire serait de continuer comme avant », expliquez-vous. Que proposez-vous concrètement de nouveau pour rassembler autour d’« une dynamique propulsive » ?
Clémentine Autain La réponse, il faut la construire collectivement. Ce qui se cherche, c’est un lieu de débats, d’élaboration et d’action qui permette de fédérer des citoyen.ne.s et des courants politiques, syndicaux, associatifs, culturels. C’est d’un bouillonnement de ce type que nous avons vraiment besoin. Cette coopération sera décisive. Trop souvent, ces derniers temps, j’ai vu des murs s’ériger. Je sais les rancœurs et les difficultés, tout ce qu’il faut soulever pour panser les fractures. J’espère que, après la déroute des européennes et au regard de l’urgence politique, nous serons mûrs pour inventer de nouvelles façons de faire cause commune. C’est le sens de notre appel et de notre rendez-vous le 30 juin au cirque Romanès, à Paris.
Entretien réalisé par Maud Vergnol
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