Francesca Borri
traduction Jacques Brisson
NDT : Francesca Borri est une journaliste indépendante d’origine italienne qui a vécu plusieurs années à Alep et à Gaza. Elle témoigne du quotidien des hommes et des femmes qui tentent de survivre dans ces zones dévastées. Une voix essentielle.
Nous nous sommes habitués à ces chiffres froids et brutaux à propos de Gaza. Près de 2 millions de palestiniens vivent ici, 80% vivent de l’aide humanitaire, 50% vivent « l’insécurité alimentaire », selon le jargon consacré de l’ONU. 50% ont faim. Et 45% ont moins de 15 ans. A Gaza, vous n’avez l’électricité que 4 heures par jour. Ce qui veut dire que, 20 heures par jour, les hôpitaux n’ont ni ventilateur, ni incubateur. Ni de lumière au-dessus des tables d’opérations. Et pourtant, à Gaza, il y a un mot qui en dit davantage que toutes ces statistiques : Tramadol. C’est un anti-douleur. Et le médicament le plus populaire ici. Tant de jeunes, partout dans le monde, consomment de l’ecstasy, de la cocaïne, du cristal meth pour se sentir planer jusqu’à l’aube. Mais à Gaza, si vous êtes dans la vingtaine, tout ce que vous voulez, c’est vous endormir et tout oublier.
Chaque deux ou trois jours, une tentative de suicide
Au cours des 10 dernières années, Israël a banni l’entrée de crayons, de jouets, d’instruments de musique, de biscuits et de chips. Il a été estimé que pour rester en vie, un palestinien a besoin quotidiennement de 2279 calories : alors, ils ont prohibés tout le reste. Mais ce siège n’est pas seulement maintenu par Israël. Les frontières palestiniennes avec l’Égypte y concourent aussi : depuis 2014, l’Égypte a fermé ses frontières. Et les quelques fois que celles-ci s’ouvrent, le seul moyen de les traverser, de monter sur les listes d’attente, c’est de payer. Payer un policier. Parce que le siège, qui dure depuis plus de 10 ans, n’est pas qu’un crime, c’est un business aussi. Pour ces bénéficiaires de « l’économie du tunnel », tous affiliés au Hamas, et pour le Hamas lui-même, toutes ces taxes appliquées sur les produits de contrebande, ce qui ailleurs serait appelé de la corruption.
Si à Gaza, 80% de la population dépend de l’aide humanitaire, c’est aussi parce que le Fatah, afin de punir le Hamas, a cessé de payer le salaire des employés de l’Autorité palestinienne. Il a aussi cessé de payer pour l’électricité. A Gaza, 45% des médicaments essentiels sont en rupture de stock. Pas parce qu’ils sont bloqués par Israël, mais parce qu’ils le sont dans des entrepôts en Cisjordanie.
Selon l’ONU, dans 10 ans, la vie à Gaza sera tout simplement impossible
Vivre à Gaza, c’est vivre en cage. Pour une journée typique, on permet à seulement 240 palestiniens de traverser la frontière à Eretz – c’était 26000 avant la seconde Intifada. Et peu importe ce qui arrive, tout cela survient dans un climat de totale indifférence de l’opinion internationale, d’une impunité absolue.
Au cours des dernières attaques de 2014, Israël a bombardé Gaza avec la même charge explosive que ce qui fut largué sur Hiroshima. Mais après 2168 morts, 77% de civils, 30% d’enfants, seulement 5 soldats furent poursuivis pour crimes de guerre. La sentence la plus sévère fut une condamnation à 7 mois de prison. Pour vol de carte de crédit.
Vous rencontrez ces enfants qui vous disent : j’ai 12 ans, dont 3 ans de guerre.
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