Le nouveau livre de Frédéric Lordon, Figures du communisme, est directement tourné vers l’action, ici et maintenant. Face à l’inhumanité du néolibéralisme, face aux désastres engendrés par un capitalisme dont plus personne ne peut douter qu’il est en train de rendre la planète inhabitable, que faire ? Telle est la question à laquelle F. Lordon s’efforce de répondre. Par un exercice de méthode et de conséquence – à rebours du règne du déni et de l’inconséquence.
Dans cette discussion avec Julien Théry, F. Lordon revient sur « les impératifs directeurs d’une autre organisation sociale » qu’il s’est efforcé de définir. Il s’agit de relever chacun de la précarité, de l’inquiétude de la subsistance, en créant une « garantie économique générale », selon l’idée de « salaire à vie » proposée par Bernard Friot. Il s’agit aussi d’abolir la subordination au travail. Il s’agit enfin de déterminer collectivement et se tenir à des limites quantitatives et qualitatives de la production à même de permettre la préservation de l’environnement tout en maintenant une qualité de vie acceptable pour tous.
Mais pour faire advenir ce régime politico-économique tout autre que celui du capitalisme, auquel il n’y a pas d’autre nom à donner que celui de communisme, encore faut-il que la nouvelle organisation soit vue comme « collectivement désirable » – sans quoi elle n’a aucune chance d’être « politiquement viable ». Les « figures du communisme » que Frédéric Lordon présente dans son livre et dans cet entretien, parce qu’elle renouent avec l’objectif de la politique, qui est de vivre bien, sont propres à « défaire l’imaginaire négatif dont l’idée de sortir du capitalisme, pour ne rien dire du mot communisme lui-même, a été surchargée ».
Certes, il faudra déterminer ensemble ce qui est réellement nécessaire, de façon à ne plus abandonner la production « à la croissance spontanée et anarchique de la division du travail sous la conduite aveugle et folle de la valeur d’échange ». Mais en perdant les « colifichets » par lesquels le fétichisme de la consommation fait un peu oublier la pauvreté de l’existence en régime néolibéral, (« Iphone 15, etc. »), on peut gagner « la tranquillité matérielle pour tous, de vastes services collectifs gratuits, une nature restaurée, et, peut-être par-dessus tout, le temps ». Soustraire la production à la dictature de la croissance, du taux de profit et des dividendes, cela n’implique en rien d’empêcher les libres propositions privées, bien au contraire. Le vrai luxe, celui que seul un virage communiste peut offrir à tous, c’est celui d’être en mesure de faire les choses que l’on désire faire – tout en faisant bien, et pour le bien commun, celles que les nécessités de l’économie (de la reproduction matérielle) continueront de contraindre à faire.
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Le capitalisme détruit les existences. Il les détruit même deux fois. D’abord d’angoisse et de précarité en remettant la survie matérielle des individus aux mains de deux maîtres fous : le « marché » et l’« emploi ». Ensuite en rendant la planète inhabitable : surchauffée, asphyxiante, et désormais pandémique. Il faut regarder ces faits bien en face et s’astreindre maintenant à un exercice de conséquence. 1/ Le capitalisme met en péril l’espèce humaine. 2/ En 40 ans de néolibéralisme, l’espace social-démocrate où se négociaient des « aménagements » dans le capitalisme a été fermé : ne reste plus que l’alternative de l’aggravation ou du renversement. 3/ Il ne faut pas douter que la minorité qui en tire avantage soit prête à tout pour se maintenir. 4/ Sortir du capitalisme a un nom : communisme.
Mais sortir du capitalisme demeure un impensable tant que le communisme demeure un infigurable. Car le communisme ne peut pas être désirable seulement de ce que le capitalisme devient odieux. Il doit l’être pour lui-même. Or, pour l’être, il doit se donner à voir, à imaginer : bref se donner des figures.
La fatalité historique du communisme est de n’avoir jamais eu lieu et pourtant d’avoir été grevé d’images désastreuses. À la place desquelles il faut mettre enfin des images de ce qu’il pourrait être lui, réellement.
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