Métro s’est assis une heure avec la co-porte-parole de Québec solidaire. « À Montréal, il y a un certain discours qui dit que tout va mal. Ce n’est pas vrai ! Ce n’est pas parfait, mais il y a une vie de quartier telle que je ne l’avais pas vu avant. Apaisement de la circulation, embellissement des trottoirs, ruelles vertes, Montréal est une ville vibrante. Est-ce qu’on peut regarder ce qui va bien et sur quoi on pourrait miser ? » se demande Françoise David.
« Ce livre, c’est mon livre. Ce n’est pas une commande politique. Je n’ai rien écrit de spectaculairement différent de ce que dirait mon parti, mais je l’ai dit à ma façon. » Françoise David sait bien qu’elle militera toute sa vie. Entre deux élections, elle s’est permis une pause pour rédiger De colère et d’espoir. Métro s’est entretenu avec elle pour comprendre pourquoi elle était plus en colère qu’avant et pourquoi elle ne cessera jamais d’espérer. Même si De colère et d’espoir est un livre « personnel », il sert un peu à se préparer aux prochaines élections, qui devraient avoir lieu en 2012. « C’est une façon de dire aux gens de ma circonscription : voilà ce que j’ai à dire et vous décidez si vous aimez ça. » Mme David en sera à sa troisième tentative pour se faire élire dans Gouin, dans Rosemont–La Petite-Patrie. « J’ai bien l’intention d’aller à l’Assemblée nationale chaque semaine avec mon ami Amir. »
Êtes-vous heureuse d’être de retour dans la vie publique ?
Oui. J’ai été très contente de prendre ce temps d’arrêt. J’avais une sorte de fatigue, physique un peu, mais surtout mentale. J’ai adoré écrire. En juin, je me suis dit : « J’aime tellement ça. Est-ce que je vais avoir le goût de revenir ? » Finalement, au mois d’aout, je me suis dit oui. Je peux être solitaire et de silence, mais depuis 40 ans, je suis une femme de réseau, d’équipe. Je m’ennuyais.
Vous êtes en colère. Vous en parlez comme quelque chose d’essentiel…
C’est vrai. J’ai toujours carburé à l’indignation et à la volonté de changer, mais je ne me suis jamais convenue dans l’indignation stérile. Pour moi, c’est le contraire de la santé. Si je suis fâchée, à mon avis, la meilleure façon de réagir, c’est d’agir. Tout le monde est fâché en ce moment, ce n’est pas très original ! Grâce à leur colère, des gens sont en train de construire un autre Québec. Des gens du milieu économique, des syndicats, des écologistes, des parents impliqués dans les écoles, des voisins qui veulent protéger un boisé... il y a plein de gens qui réfléchissent et s’engagent.
Vous n’avez pas nommé les politiciens… Vous êtes fâchée contre la classe politique, non ?
Je suis fâchée contre une bonne partie de la classe politique. Il y a des députés honnêtes, désireux
de travailler pour le bien collectif. Mais il y a deux problèmes. D’abord, le parti au pouvoir s’est placé dans un engrenage impitoyable de collusion avec des milieux parfois un peu douteux. J’en veux énormément au gouvernement Charest et au Parti libéral du Québec de rendre nos institutions démocratiques moins attrayantes aux yeux des Québécois. Ça crée une sorte de haut-le-cœur dans la population et du découragement. L’autre problème de la classe politique, c’est de fonctionner dans un tel esprit de partisanerie que le spectacle offert à la population est souvent désolant. Il faut dire que le mode de scrutin que nous avons induit ça. Avec la proportionnelle, les gens n’auraient pas le choix de se parler.
Qu’est-ce qu’on peut espérer ?
Beaucoup. Depuis plusieurs années, des centaines de milliers de personnes ont mené des batailles et ont gagné (Suroît, Orford, port méthanier). Sur les gaz de schiste, on n’a pas encore gagné, mais on a gagné la manche de l’opinion publique, et le gouverne-ment Charest a dû reculer. Il couve au Québec une révolte collective impor-tante. Encore morcellée et pas encore tout à fait canalisée, mais ça s’en vient.
On a souvent dit, pourtant, que les Québécois n’aiment pas la chicane…
C’est vrai, mais là, c’est trop. Je l’ai vu à Saint-Hyacinthe [sur les gaz de schiste]. Et ce n’était pas les militants qu’on voit tout le temps. Les gens n’acceptaient pas le fait qu’il y avait absence de démocratie. On n’est plus un peuple d’ignorants. M. Charest ne peut plus nous prendre pour des valises. On est capables de s’informer. Voilà pour-quoi, aussi, il faut tenir aussi fort à un système d’éducation accessible à tous. C’est le meilleur outil que nous avons pour nous assurer que nos droits sont respectés.
Que pensez-vous du mouvement Occupons Montréal ?
Certains disent qu’ils ne savent pas exactement ce qu’ils veulent. Mais c’est déjà beaucoup de savoir ce qu’on ne veut pas. C’est déjà beaucoup d’aller dormir sous une tente. Au fond, ils savent bien ce qu’ils veulent : de la justice et de la démocratie. Je suis très sympathique à leur cause.
Pensez-vous que vous allez vivre de colère et d’espoir toute votre vie ?
Oui. Je pense que c’est dans mes gènes. J’ai hérité de ma mère sa colère et son engagement, ce sur-saut d’indignation. J’ai hérité de mon père la persévérance et la patience. Les vrais changements ne se font pas du jour au lendemain. Il faut avoir une ardente patience, comme disait le poète chilien Pablo Neruda. Pas une patience passive, mais active. Je ne vois pas comment je pourrais changer, à 63 ans. Tant que je serai en bonne santé, je n’ai pas l’intention de me taire.
Trois choses qui mettent Françoise David en colère en ce moment :
le Plan Nord ; le saccage des services publics, particulièrement dans le domaine de la santé ; la pseudo-commission d’enquête sur la construction. Trois choses qui lui donnent espoir : la mobilisation citoyenne autour des ressources énergétiques au Québec ; les indignés, qui sont bien plus nombreux que ceux au square Victoria ; le fait de savoir qu’il y a des dizaines de milliers de personnes engagés dans la construction d’un Québec meilleur ; « Je devrais en ajouter une quatrième : mes petits-enfants. »
De colère et d’espoir
Éditions Écosociété
En librairie dès mercredi