1) Depuis leur création en 1944, la Banque mondiale (BM) et le FMI ont soutenu activement toutes les dictatures et tous les régimes corrompus du camp allié des États-Unis.
2) Ils piétinent la souveraineté des États en violation flagrante du droit des peuples à disposer d’eux-même du fait notamment des conditionnalités qu’ils imposent. Ces conditionnalités appauvrissent la population, accroissent les inégalités, livrent les pays aux transnationales et modifient les législations des États (réforme en profondeur du Code du travail, des Codes miniers, forestiers, abrogation des conventions collectives, etc) dans un sens favorable aux créanciers et « investisseurs » étrangers.
3) Bien qu’ils aient détecté des détournements massifs, la BM et le FMI ont maintenu, voire augmenté, les montants prêtés aux régimes corrompus et dictatoriaux alliés des puissances occidentales (voir le cas emblématique du Congo-Zaïre de Mobutu après le rapport Blumenthal en 1982).
4) Ils ont aidé par leur soutien financier la dictature d’Habyarimana au Rwanda jusqu’en 1992, ce qui a permis de quintupler les effectifs de son armée. Les réformes économiques qu’ils ont imposées en 1990 ont déstabilisé le pays et exacerbé des contradictions latentes. Le génocide préparé depuis la fin des années 1980 par le régime d’Habyarimana est perpétré à partir du 6 avril 1994, faisant près d’un million de morts chez les Tutsis (et les Hutus modérés). Par la suite, la Banque mondiale et le FMI ont exigé le remboursement de la dette contractée par le régime génocidaire.
5) Ils ont soutenu d’autres régimes dictatoriaux de l’autre camp (Roumanie de 1973 à 1982, Chine à partir de 1980) afin d’affaiblir l’URSS avant son implosion en 1991.
6) Ils ont soutenu les pires dictatures jusqu’à ce qu’elles soient renversées. Exemples : le soutien emblématique à Suharto en Indonésie de 1965 à 1998, à Marcos aux Philippines de 1972 à 1986, à Ben Ali en Tunisie et à Moubarak en Égypte jusqu’à leur renversement en 2011.
7) Ils ont activement saboté des expériences démocratiques et progressistes (de Jacobo Arbenz dans la première moitié des années 1950 au Guatemala aux sandinistes au Nicaragua dans les années 1980 en passant par Salvador Allende au Chili de 1970 à 1973).
8) La Banque et le FMI exigent des peuples, victimes des tyrans qu’ils financent, le remboursement des dettes odieuses que ces régimes autoritaires et corrompus ont contractées.
9) De même, la Banque et le FMI ont exigé de pays qui ont accédé à l’indépendance à la fin des années 1950 et au début des années 1960 qu’ils remboursent les dettes odieuses contractées par les anciennes puissances coloniales pour les coloniser. Cela a été notamment le cas en ce qui concerne la dette coloniale contractée par la Belgique auprès de la Banque mondiale pour compléter la colonisation du Congo dans les années 1950. Rappelons que ce type de transfert de dettes coloniales est interdit par le droit international.
10) Dans les années 1960, la Banque mondiale et le FMI ont soutenu financièrement des pays comme l’Afrique du Sud de l’apartheid et le Portugal qui maintenait sous son joug des colonies en Afrique et dans le Pacifique alors que ces pays faisaient l’objet d’un boycott financier international décrété par l’ONU. La Banque mondiale a soutenu un pays qui en avait annexé un autre par la force (annexion du Timor oriental par l’Indonésie en 1975).
11) En matière d’environnement, la Banque mondiale poursuit le développement d’une politique productiviste désastreuse pour les peuples et néfaste pour la nature. Elle a réussi en plus à se faire attribuer la gestion du marché des permis de polluer.
12) La Banque mondiale finance des projets qui violent de manière flagrante les droits humains. Parmi les projets directement soutenus par la Banque mondiale, on peut mettre en exergue le projet « transmigration » en Indonésie (années 1970-1980) dont plusieurs composantes sont assimilables à des crimes contre l’humanité (destruction du milieu naturel de populations indigènes, déplacement forcé de populations). Plus récemment, la Banque mondiale a financé intégralement la mal nommée opération « départs volontaires » en RDC, un plan de licenciement qui viole les droits de 10 655 agents de la Gécamines, l’entreprise publique minière située au Katanga. Ces derniers attendent toujours le paiement de leurs arriérés de salaires et les indemnités prévues par le droit congolais.
13) La Banque mondiale et le FMI ont favorisé l’émergence des facteurs ayant provoqué la crise de la dette qui a éclaté en 1982. En résumé : a) la Banque mondiale et le FMI ont poussé les pays à s’endetter dans des conditions menant au surendettement ; b) ils ont poussé, voire forcé, les pays à lever les contrôles sur les mouvements de capitaux et sur le change, accentuant la volatilité des capitaux et facilitant ainsi fortement leur fuite ; c) ils ont poussé les pays à abandonner l’industrialisation par substitution d’importation au profit d’un modèle basé sur la promotion des exportations.
14) Ils ont dissimulé les dangers qu’ils avaient pourtant eux-mêmes détectés (surendettement, crise de paiements, transferts nets négatifs…).
15) Dès que la crise a éclaté en 1982, la Banque mondiale et le FMI ont systématiquement favorisé les créanciers et affaibli les débiteurs.
16) La BM et le FMI ont recommandé, voire imposé, des politiques qui ont fait payer la facture de la crise de la dette par les peuples, tout en favorisant les plus puissants.
17) La BM et le FMI ont poursuivi la « généralisation » d’un modèle économique qui augmente systématiquement les inégalités entre les pays, et à l’intérieur de ceux-ci.
18) Dans les années 1990, la BM et le FMI, avec la complicité des gouvernants, ont étendu les politiques d’ajustement structurel à la majorité des pays d’Amérique latine, d’Afrique, d’Asie, d’Europe centrale et orientale (y compris la Russie).
19) Dans ces derniers pays, les privatisations massives ont été réalisées au détriment du bien commun et ont enrichi de manière colossale une poignée d’oligarques.
20) Ils ont renforcé les grandes entreprises privées et affaibli à la fois les pouvoirs publics et les petits producteurs. Ils ont aggravé l’exploitation des salariés et les ont précarisés davantage. Ils ont fait de même avec les petits producteurs.
21) Leur rhétorique de lutte pour la réduction de la pauvreté cache mal une politique concrète qui reproduit et renforce les causes même de la pauvreté.
22) La libéralisation des flux de capitaux qu’ils ont systématiquement favorisée a renforcé l’évasion fiscale, la fuite des capitaux, la corruption.
23) La libéralisation des échanges commerciaux a renforcé les forts et écarté les faibles. La plupart des petits et moyens producteurs des pays en développement ne sont pas en mesure de résister à la concurrence des grandes entreprises, qu’elles soient du Nord ou du Sud.
24) La Banque mondiale et le FMI agissent avec l’OMC, la Commission européenne et les gouvernements complices pour imposer un agenda radicalement opposé à la satisfaction des droits humains fondamentaux.
25) Depuis que la crise frappe l’Union européenne, le FMI est en première ligne pour imposer aux peuples grec, portugais, irlandais, chypriote… les politiques qui ont été imposées préalablement aux peuples des pays en développement, à ceux d’Europe centrale et orientale dans les années 1990.
26) La Banque mondiale et le FMI, qui prêchent la bonne gouvernance à longueur de rapports, couvrent en leur sein des agissements douteux.
27) Ils maintiennent la plupart des pays dans la marginalité bien qu’ils constituent la majorité de ses membres, privilégiant une poignée de gouvernements des pays riches.
28) En résumé, la Banque mondiale et le FMI constituent des instruments despotiques aux mains d’une oligarchie internationale (une poignée de grandes puissances et leurs sociétés transnationales) qui renforce le système capitaliste international destructeur de l’humanité et de l’environnement.
29) Il est nécessaire de dénoncer les agissements néfastes de la Banque mondiale et du FMI afin d’y mettre fin. Les dettes dont ces institutions réclament le remboursement doivent être annulées et ces institutions doivent être traduites devant la justice.
30) Il est urgent de construire une nouvelle architecture démocratique internationale qui favorise une redistribution des richesses et soutienne les efforts des peuples pour la réalisation d’un développement socialement juste et respectueux de la nature.
Bâtir une nouvelle architecture internationale
Il faut opter pour des propositions qui redéfinissent radicalement le fondement de l’architecture internationale (missions, fonctionnement…). Prenons le cas de l’OMC, du FMI et de la Banque mondiale.
La nouvelle OMC devrait viser, dans le domaine du commerce, à garantir la réalisation d’une série de pactes internationaux fondamentaux, à commencer par la Déclaration universelle des droits humains et tous les traités fondamentaux en matière de droits humains (individuels ou collectifs) et environnementaux. Sa fonction serait de superviser et de réglementer le commerce de manière à ce qu’il soit rigoureusement conforme aux normes sociales (conventions de l’Organisation internationale du travail – OIT) et environnementales. Cette définition s’oppose de manière frontale aux objectifs actuels de l’OMC. Ceci implique bien évidemment une stricte séparation des pouvoirs : il est hors de question que l’OMC, comme d’ailleurs toute autre organisation, possède en son sein son propre tribunal. Il faut donc supprimer l’Organe de règlement des différends.
L’organisation qui remplacera la Banque mondiale devrait être largement régionalisée (des banques du Sud pourraient y être reliées), elle aurait pour fonction de fournir des prêts à taux d’intérêt très bas ou nuls et des dons qui ne pourraient être octroyés qu’à condition d’être utilisés dans le respect rigoureux des normes sociales et environnementales et, plus généralement, des droits humains fondamentaux. Contrairement à la Banque mondiale actuelle, la nouvelle banque dont le monde a besoin ne chercherait pas à représenter les intérêts des créanciers et à imposer aux débiteurs un comportement de soumission au marché-roi, elle aurait pour mission prioritaire de défendre les intérêts des peuples qui reçoivent les prêts et les dons.
Le nouveau FMI, quant à lui, devrait retrouver une part de son mandat originel pour garantir la stabilité des monnaies, lutter contre la spéculation, contrôler les mouvements de capitaux, agir pour interdire les paradis fiscaux et la fraude fiscale. Pour atteindre cet objectif, il pourrait contribuer avec les autorités nationales et les fonds monétaires régionaux à la collecte de différentes taxes internationales.
Toutes ces pistes requièrent l’élaboration d’une architecture mondiale cohérente, hiérarchisée et dotée d’une division des pouvoirs. La clef de voûte pourrait en être l’ONU, pour autant que son Assemblée générale en devienne la véritable instance de décision - ce qui implique de supprimer le statut de membre permanent du Conseil de Sécurité (et le droit de veto qui lui est lié). L’Assemblée générale pourrait déléguer des missions spécifiques à des organismes ad hoc.
Une autre question qui n’a pas encore fait suffisamment de chemin est celle d’un dispositif international de droit, d’un pouvoir judiciaire international (indépendant des autres instances de pouvoir international), qui complète le dispositif actuel comportant principalement la Cour internationale de La Haye et la Cour pénale internationale. Avec l’offensive néolibérale des trente dernières années, la loi du commerce a progressivement dominé le droit public. Des institutions internationales comme l’OMC et la Banque mondiale fonctionnent avec leur propre organe de justice : l’Organe de règlement des différends au sein de l’OMC et le CIRDI au sein de la Banque mondiale dont le rôle a démesurément augmenté. La charte de l’ONU est régulièrement violée par des membres permanents de son Conseil de Sécurité. Des nouveaux espaces de non droit sont créés (les prisonniers sans droit embastillés à Guantanamo par les États-Unis). Les États-Unis, après avoir récusé la Cour internationale de La Haye (où ils ont été condamnés en 1985 pour avoir agressé le Nicaragua), refusent la Cour pénale internationale. Tout cela est extrêmement préoccupant et requiert d’urgence des initiatives pour compléter un dispositif international de droit.
En attendant il faut amener des institutions comme la Banque mondiale et le FMI à rendre des comptes à la justice devant des juridictions nationales |2|, exiger l’annulation des dettes qu’elles réclament et agir pour empêcher l’application des politiques néfastes qu’elles recommandent ou imposent.
Notes
|1| Voir : http://cadtm.org/Semaine-globale-d-action-contre-la,9433
|2| À ce jour, il n’existe toujours pas de juridiction internationale compétente pour juger des crimes de la Banque mondiale et du FMI.
Éric Toussaint, docteur en sciences politiques des universités de Liège et de Paris VIII, est président du CADTM Belgique (Comité pour l’annulation de la dette du tiers-monde, www.cadtm.org). Il est l’auteur de Banque mondiale : le coup d’État permanent, Édition Syllepse, Paris, 2006, téléchargeable : http://cadtm.org/Banque-mondiale-le-coup-d-Etat Son dernier ouvrage : Procès d’un homme exemplaire, Édition Al Dante, Marseille, septembre 2013. Il est coauteur avec Damien Millet de 65 Questions, 65 Réponses sur la dette, le FMI et la Banque mondiale, Liège, 2012 (version en téléchargement libre sur internet : http://cadtm.org/65-questions-65-reponses-sur-la,8331) ; La dette ou la vie coédition CADTM-Aden, Liège-Bruxelles, 2011. Prix du livre politique octroyé par la Foire du livre politique de Liège http://cadtm.org/Le-CADTM-recoit-le-prix-du-livre