On sait que ce retrait avait entraîné de lourdes pertes économiques pour Téhéran. En riposte, Téhéran s’était progressivement affranchi des limites imposées par l’accord de 2015 sur son programme nucléaire.
Les négociations entre l’Iran, l’Union européenne et les États-Unis sont tendues ; Téhéran jure ne viser que le retrait des sanctions et ne pas projeter de se doter de l’ombrelle nucléaire. Mais la situation est ambiguë, les résultats incertains. Selon qu’on est européen ou américain, les évaluations varient ; l’Union européenne juge que bien des espoirs sont permis alors que la Maison-Blanche est nettement moins optimiste, sans être ouvertement pessimiste. Il semble qu’on va être bientôt fixés sur l’état des choses.
Il faut espérer un aboutissement positif à ces pourparlers et que l’Iran s’engage formellement à ne pas se doter de l’arme nucléaire en échange bien sûr d’importantes concessions économiques et commerciales de la part des pays signataires de l’accord de 2015. La prolifération des armes nucléaires n’est pas désirable.
Toutefois, il faut apporter des bémols majeurs à cette position de principe.
À part la Chine et l’Inde, tous les pays qui forment le "club nucléaire" sont occidentaux. Au Proche-Orient, la seule puissance nucléaire est Israël, ce qui est accepté comme allant de soi par ses alliés et protecteurs occidentaux. L’État hébreu détient, semble-t-il, 90 ogives nucléaires.
L’Iran pour sa part assure n’avoir pas l’intention de produire des armes nucléaires, ce qui suscite le scepticisme des États-Unis et d’Israël. Mais si les pourparlers échouent entre les parties en présence, les risques que Téhéran oriente son programme nucléaire dans le sens d’une production d’armes atomiques augmentent singulièrement.
Mais même si cette hypothèse était la bonne, y aurait-il lieu pour autant de s’affoler ?
Toutes les puissances nucléaires ne peuvent l’utiliser qu’en tout dernier recours, la destruction totale de l’agresseur et de l’agressé étant assurée en cas d’affrontement. Même les ennemis les plus jurés en sont conscients. Depuis 1945, l’arme nucléaire n’a jamais été utilisée, que ce soit pendant la guerre froide entre les États-Unis et la défunte URSS ou (jusqu’à présent du moins) entre Washington et Beijing. En fait, les puissances hégémoniques ne s’en sont jamais servie, même lorsqu’elles affrontaient des ennemis dénués de cette arme (comme durant la guerre du Vietnam).
En pratique, l’arme nucléaire est presque inutilisable, sauf en cas de danger immédiat et suprême menaçant les intérêts vitaux d’un pays équipé de ce dispositif militaire.
Le gouvernement américain n’a consenti à ce qu’Israël ne s’en équipe qu’à la condition expresse qu’il ne serve qu’à de strictes fins défensives. Jusqu’à présent, Tel-Aviv n’a jamais donné signe de vouloir l’utiliser, ce qui constitue peut-être une condition au maintien du soutien occidental.
Or, si les classes politiques occidentales s’alarment tant devant la perspective même très incertaine que Téhéran accède un jour au rang de puissance nucléaire, c’est par la crainte inavouée de voir émerger une seconde puissance nucléaire au Proche-Orient, susceptible ainsi de faire contrepoids à l’État hébreu.
Pour résumer, la plupart des gouvernements occidentaux tiennent peut-être moins à contrecarrer la "contagion nucléaire" qu’à protéger leur relatif monopole nucléaire et la très relative suprématie militaire israélienne dans la région.
Un Iran nucléaire pourrait se montrer encore plus intraitable que maintenant et donner le "mauvais exemple" à d’autres puissances montantes du Tiers-Monde. Cela ne pourrait se réaliser évidemment qu’au prix de compressions budgétaires supplémentaires imposées à une population iranienne déjà dans l’ensemble très pauvre. Mais cette politique, si elle réussissait, prouverait qu’un pays assez démuni est en mesure de défier les interdits et les injustices de l’Occident.
Si Téhéran décidait de suivre cette voie, il serait en droit de le faire. Elle ne représente pas l’option idéale, mais elle serait légitime. Téhéran pourrait tout aussi bien choisir plutôt d’y renoncer pour s’orienter vers une profitable reprise du commerce avec l’Union européenne et les États-Unis.
Un choix que la classe politique israélienne, elle, n’a pas à faire...
Jean-François Delisle
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