Cancun, dictature et « écocide » ?
Déjà, avant même le début de la conférence, nombreux étaient ceux qui affirmaient que les critères identifiés et sur lesquels les participants se sont entendus lors du sommet de Cochabamba devraient constituer la base sur laquelle serait élaborée l’entente de Cancun, mais certains gros joueurs ne voient pas les choses de cette façon. D’ailleurs, selon Paul Nicholson, représentant de Via Campesina Europea (voie paysanne européenne) « ce sont des négociations sans transparence, très opaques et en rien démocratiques ; en fait, nous sommes à des kilomètres de la Conférence et ne pouvons avoir aucune relation directe avec ce qui est en voie de se décider (…) »
De son côté, Jean-Robert Sansfaçon disait dans Le Devoir du 7 décembre que c’est « chacun pour soi », « chacun reste campé sur ses positions, seulement préoccupé d’enjeux à court terme ». Une représentante de l’ALBA, dès les premiers jours, a dénoncé que certains pays avaient d’ores et déjà affirmé leur refus de toute entente prolongeant l’Entente de Kyoto au-delà de 2012. Comme nous l’avons appris plus tard, il s’agissait du Japon, du Canada et de la Russie qui exigeaient en outre que les pays dits émergents, tels la Chine, l’Inde et le Brésil, soient aussi soumis à des mesures contraignantes, alors que ceux-ci affirment que le problème existant relève historiquement de la responsabilité des pays riches, c’est-à-dire occidentaux et du Nord. Dès le départ donc, la Conférence était vouée à l’échec.
La soi-disant « entente » conclue et rendue publique à la fin du sommet, ne reflétait aucunement la suite des principes de Cochabamba mais ceux plutôt de Copenhague, déterminés l’an dernier par un petit groupe de pays sous la férule dictatoriale des États-Unis. Déjà lors du sommet de Copenhague, le président du Vanuatu affirmait, ému, qu’avec une augmentation de la température de plus de 1,5 degré C., le pays serait submergé et donc disparaîtrait de la carte. L’entente de Cancun, selon les calculs de l’ONU, propose une augmentation de température entre 2,5 et 5 degrés C. d’ici 2020 ! D’ailleurs les chiffres proposés à Cancun sont identiques à ceux de Copenhague et ceux-ci ont déjà été qualifiés de désastreux.
La Bolivie dénonce donc l’entente et refuse de la signer. Les autres pays participants, y compris les États-Unis et la Chine, principaux pays pollueurs, ratifient l’entente et s’engagent à réduire la pollution atmosphérique. Les mécanismes pour définir les quotas ne seront toutefois définis que lors du sommet du COP17 à Durban, en Afrique du Sud, en décembre 2011. C’est une déception générale chez la majorité des organismes pro-environnementaux qui espéraient davantage de mesures concrètes. Pour sa part, le représentant de la Bolivie, Pablo Solon, considère le document comme une « imposition » et réitère que le résultat sera un « écocide dont le coût va se mesurer en nombre de vies humaines perdues dans l’avenir ».
Morales réplique. Pourquoi ?
Evo Morales, président de la Bolivie, n’attendra pas l’an prochain. Son pays vit déjà de graves conséquences au réchauffement climatique. Pour les Boliviens, il ne s’agit pas d’élucubrations purement intellectuelles mais de survie au quotidien : dénudation des glaciers qui fournissent les communautés en eau, sécheresses constantes affectant les cultures et les réservoirs d’eau, pluies diluviennes et leurs glissements de terrain, froid intense hors saison et averses de neige démesurées… plus rien ne va.
De plus, ces phénomènes n’affectent pas seulement la Bolivie, mais aussi l’Amérique centrale et du Sud : rappelons-nous les désastres actuels au Vénézuéla et en Colombie, ceux du Brésil, ceux qui ont eu lieu au Guatemala, pour ne citer que ceux-là. Il faut penser aussi aux autres continents, dont la pauvre Afrique qui n’arrive pas à nourrir ses populations, l’Asie qui vit des moussons et des marées assassines ! Morales en tient compte lorsqu’il dit : « La Bolivie va poursuivre sa bataille pour les peuples du monde. (…) Si nous souhaitons défendre les Droits de la personne, la meilleure façon c’est de défendre les droits de la Mère Terre. Ce sera une autre bataille internationale et nous demandons aux peuples du monde qu’ils nous accompagnent dans cette lutte contre le changement climatique. »
C’est donc dans cette perspective, que le président Morales a annoncé lundi dernier (13 décembre) que son pays fera appel à la Cour internationale de justice (CIJ) de La Haye, pour demander l’annulation de « l’entente » du Sommet de Cancun, du fait que ces conclusions ont été « imposées sans consensus et menacent la vie humaine de la planète ». Cité sur TeleSur, il dit « J’ai entre les mains le document de la Convention cadre (de lutte) contre le changement climatique des Nations Unies (qui établit) que toutes les décisions doivent être approuvées par tous les pays ; du moment qu’un, deux ou dix pays n’approuvent pas le document, celui-ci n’est pas valide ».
Ses doléances ?
Il signale tout d’abord que les conclusions du COP16 ne sont pas spécifiques et réduisent les engagements des pays développés et, dit-il, de continuer dans la ligne établie au Sommet de Copenhague en 2009, on pourrait augmenter la température de la planète de quelque 4 degrés C. « Nous ne l’acceptons pas… et ne l’accepterons jamais ! ».
Il s’objecte également au « Fonds vert » de 100 millions de dollars pour venir en aide aux pays en voie de développement pour financer leurs programmes écologiques parce qu’à Cancun, il n’a pas été convenu qui contribuerait à ce fonds d’ici 2020, d’où viendrait cet argent ; les pays développés industrialisés ont une dette climatique et écologique et dans la même mesure, ils doivent rembourser leur dette. Morales s’objecte aussi à ce que le Fonds soit administré par la Banque mondiale qui conjointement avec le FMI a historiquement soumis les pays en développement : « On a vu récemment leur comportement (…), ils imposent toujours depuis l’étranger des politiques d’ajustements structurels pour accorder des crédits, (exigent) la privatisation des ressources naturelles et des services de base et pour cette raison on ne leur fait pas confiance ».
Morales regrette aussi que certains pays aient accepté de ratifier les conclusions du Sommet afin de toucher les sommes offertes. « Avec cela, on ne réduit pas la température, ça peut aider à réduire la déforestation, mais jamais allons-nous, avec de l’argent, réduire la température. Le coût du document de Cancun sera mesurable en vies humaines » souligne-t-il.
Pour ces raisons, dans l’intérêt non seulement des citoyens dont il a la responsabilité en tant que président de la Bolivie, mais aussi des êtres humains à travers la planète, la Bolivie soumettra sous peu sa demande à la CIJ. « Nous allons avoir recours aux instances juridiques qui conviennent au cadre de la Convention (sur le changement climatique) qui établit clairement que dans de tels cas la Cour internationale de justice est l’instance qui se prononce » déclare Pablo Solon, ambassadeur de la Bolivie auprès de l’ONU. Le chef de la délégation bolivienne ajoute que la présidente du Sommet, Patricia Espinosa, a violé le règlement de la Convention qui établit que les accords doivent être adoptés avec le consentement des 194 pays membres alors que les conclusions présentées comme ayant été adoptées par tous les pays, les 194, n’étaient pas appuyées unanimement, la Bolivie ayant refusé de parapher ces conclusions : « Aujourd’hui on a violé une règle établie dans le cadre des Nations Unies, et ceci génère un précédent malheureux. Ceux qui sont ici savent ce qu’ils ont fait, (c’est-à-dire) tout pour imposer leur position ».
Est-ce donc que la Bolivie a été isolée ou que, plutôt, elle s’est distinguée ? Evo Morales démontre qu’il a le courage et les convictions du chevalier solitaire… en attendant que nous le rejoignions. « Ce sera une autre bataille internationale et nous demandons aux peuples du monde qu’ils nous accompagnent dans cette lutte contre le changement climatique » a-t-il dit.
Diane Dicaire
18 décembre 2010
Sources : TeleSur (Vénézuéla) ; Prensa-Latina et CubaDebate (Cuba) ; La Jornada (Mexique) Le Devoir (Québec)