L’accord sur le protocole de Nagoya a été précipité dans le but de respecter l’échéance fixée à la COP-9, 2 ans plus tôt. Cependant, il néglige de prendre en compte les autres objectifs de la Convention sur la diversité biologique (CDB), principalement à protéger la biodiversité et à assurer son utilisation durable. Le protocole de Nagoya, récemment adopté, a ses faiblesses. Il ne parvient pas à répondre aux exigences minimales requises pour prévenir le biopiraterie et il ne soutient pas, également, les droits collectifs des peuples autochtones. Le protocole manque de répondre aux demandes des peuples autochtones pour la pleine reconnaissance et l’application de leurs droits, qui, après 30 ans de négociation au sein de l’ONU, sont maintenant reconnus dans la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones (DNUDPA).
Ce qui suit représente certaines de nos préoccupations concernant le processus et le résultat final du protocole ABS Nagoya.
Abus du processus de consensus
Tout au long des négociations du protocole de Nagoya, les peuples autochtones et les communautés locales ont été extrêmement vulnérables aux utilisations abusives du processus de consensus par les parties contractantes. Puisque le texte final reflète un consensus entre les parties, c’est souvent le plus petit dénominateur commun parmi leurs choix de positions qui s’est trouvé reflété dans le protocole.
Une telle dynamique ne sert pas à atteindre les objectifs clés de la CDB. Dans le contexte autochtone, le consensus a grandement contribué à des résultats injustes. En effet, les négociations trop souvent n’ont pas inclus la participation pleine et effective des peuples autochtones qui étaient pour la plupart du temps, exclus lors des processus décisionnels, lorsque les compromis et les décisions finales ont été faits.
De plus, les normes internationales relatives aux droits de l’homme ont été trop souvent mises de côté, dans l’intérêt de l’obtention d’un consensus. Ces actions ne sont pas compatibles avec les obligations de l’État dans la Charte des Nations Unies et, plus généralement, dans le droit international. Il y a une tendance à trop renforcer la souveraineté de l’État, tout en circonscrivant injustement les droits des peuples autochtones. Des actions injustes par divers États peuvent gravement nuire à l’universalité des droits des peuples autochtones et minent le système international.
Droits de peuples autochtones sur leurs ressources génétiques et les savoirs traditionnels associés
Dans les dernières heures des négociations du protocole, une réunion close a été convoquée par les États. Tout cela en l’absence des peuples autochtones concernés, sur le sujet de leurs connaissances traditionnelles. Les phrases ambigües et limitatives qui en ont résulté donneront probablement lieu à une série de problèmes affectant les générations présentes et futures.
Par exemple, les sections sur l’accès ou le partage des avantages des connaissances traditionnelles dans le protocole de Nagoya utilisent des termes moindres au niveau juridique, tel qu’« avec l’objectif d’assurer », « le cas échéant » et « selon les cas », créant un double standard entre les droits des peuples autochtones et les droits des communautés locales et ceux des États, dans un souci de flexibilité pour l’implantation au niveau national.
Assujettissement au droit interne et aux « droits existants »
Lors de ces mêmes réunions fermées, les États se sont entendus pour diminuer les droits des peuples autochtones aux ressources génétiques, pourtant confirmés à l’article 31 de la Déclaration des Nations Unies, en utilisant les termes « conformément au droit interne » tout au long du protocole. Cela pose un autre problème là où le droit inhérent des peuples autochtones aux ressources génétiques peut être jugé dépendant de la reconnaissance par la législation nationale de chaque État.
En outre, les droits des peuples autochtones et des communautés locales ont été limités aux droits « existants » ou « établis » sur leurs savoirs traditionnels et ressources génétiques associées, ce qui risque d’être interprété comme se référant uniquement aux droits qui sont définis par des lois nationales, des accords ou des décisions de justice. Si une telle interprétation s’avère correcte, la porte est ouverte à plus de dépossession et d’appauvrissement des peuples autochtones, tandis que les États bénéficieront des avantages de l’utilisation des ressources génétiques sur les terres autochtones et les territoires.
En tenant compte de l’ensemble des dispositions du protocole de Nagoya et du fait que la participation pleine et effective des peuples autochtones n’a pas été mise de l’avant, l’objectif central de la CDB de « partage juste et équitable des avantages » ne sera pas respecté par le présent protocole en relation avec les peuples autochtones à l’échelle mondiale. L’objectif exige de « prendre en compte tous les droits » sur les ressources génétiques et pas uniquement les droits « établis ». En outre, l’article 10 (c) de la CDB ne fait aucune mention de l’assujettissement de ces droits au droit interne [1]. Plutôt, il prévoit la « protection » de l’usage coutumier des ressources biologiques et savoirs traditionnels associés.
DNUDPA (Déclaration des Nations Unies sur les droits des Peuples autochtones)
Ces négociations ont vu un manque de volonté politique de la part des Parties étatiques à protéger les droits des peuples autochtones à leurs ressources génétiques et connaissances traditionnelles associées. Le Canada était le principal parti réticent à voir ces droits protégés de manière ferme dans le protocole de Nagoya, en étant le seul pays à bloquer la référence à la Déclaration des Nations Unies. Après la critique internationale généralisée, le Canada a seulement accepté d’inclure dans le préambule : « Notant la Déclaration des Nations Unies sur droits des peuples autochtones ». Ceci a été convenu lors d’une réunion qui a été fermée aux représentants autochtones, même si les États se penchaient sur des questions en lien avec les peuples autochtones. Le mot clé « la signification » a été omis.
Conformément à la Charte des Nations Unies, les Nations Unies et ses États membres ont le devoir de promouvoir « conformément aux principes de la justice et du droit international… le respect universel des droits de l’homme et des libertés fondamentales pour tous sans distinction... ». Ceci comprend les droits des peuples autochtones relatifs aux savoirs traditionnels, au patrimoine culturel et aux ressources génétiques. En outre, l’expression « les principes du droit international » comprend ceux contenus dans la Déclaration des Nations Unies.
Droits de propriété intellectuelle
Au cours des négociations, les États ont refusé de traiter la question des droits de propriété intellectuelle des connaissances traditionnelles des peuples autochtones. Au lieu de cela, ils ont reporté la question à l’OMPI. Étant donné que l’issue des négociations à l’OMPI est inconnue, il serait plus responsable d’inclure une mention de la protection des droits de propriété intellectuelle des peuples autochtones dans le cadre de nos propres lois coutumières. Sinon, cela menace davantage la capacité des peuples autochtones de bénéficier de l’utilisation de leurs savoirs traditionnels et des ressources génétiques qui seront soumises à la législation nationale en vertu du protocole de Nagoya. Un système sui generis qui reconnaîtrait les peuples autochtones en tant que propriétaires légitimes de leurs savoirs traditionnels, serait plus en accord avec les lois autochtones centenaires. Rien de moins que cela n’est acceptable.
Conclusion
Les préoccupations présentées ici ne sont qu’une courte analyse de certaines des zones problématiques du protocole de Nagoya. Une analyse plus profonde paraîtra sous peu. Nous réaffirmons notre position selon laquelle le protocole de Nagoya ne protégera pas la biodiversité ; qu’il fait peu afin de prévenir la biopiraterie ; qu’il est en contradiction avec la CDB qui reconnaît les droits des peuples autochtones sur leurs propres connaissances traditionnelles et ressources génétiques associées et atteste de l’utilisation durable et responsable de ces ressources par les communautés autochtones. Nous recommandons que lors desdiscussions de la CDB sur la mise en oeuvre du protocole de Nagoya, la participation pleine et effectivedes peuples autochtones soit assurée.
Ellen Gabriel
Femmes Autochtones du Québec
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