Par : Catherine Caron
Une question nous taraude depuis l’arrivée au pouvoir de la Coalition Avenir Québec (CAQ) : y aura-t-il réellement « plus d’argent dans nos poches », plus de richesse créée, plus de laïcité ouverte ou fermée, sur une planète agonisante ? La question peut sembler exagérée, certainement provocatrice, mais d’aucuns commencent pourtant à penser que c’est peut-être la seule qui vaille, à l’heure où la Terre est en surchauffe.
Les experts du GIEC l’ont confirmé en octobre, mais c’était connu avant même l’Accord de Paris sur le climat : les contributions volontaires des États signataires en matière de réduction des gaz à effet de serre (GES) conduisent à une hausse moyenne des températures supérieure à 3°C, soit loin de la limite visée de 1,5°C, déjà problématique. Cette surchauffe ne doit pas advenir. Ses conséquences seront gravissimes pour les écosystèmes, les conditions de subsistance et de vie de la population mondiale, en particulier la plus démunie. Or, non contents de ne pas avoir respecté leurs engagements insuffisants, la majorité des États occidentaux, principaux responsables des émissions historiques de GES, n’ont pas non plus accordé l’aide promise aux pays pauvres les plus touchés par le réchauffement climatique. De ce fait, l’échec guette la prochaine conférence des Nations unies sur les changements climatiques, qui se tiendra à Katowice en Pologne au début décembre, sauf à se contenter une fois de plus de mesures non contraignantes, au final climaticides.
Dans ce contexte inquiétant, élire majoritairement la CAQ – cancre en matière environnementale – participe du même aveuglement collectif au Québec. La 5e grande marche « La planète s’invite au Parlement », le 10 novembre, aura-t-elle réussi à percer le silence médiatique pour rappeler ce parti et le nouveau gouvernement à l’ordre concernant cet enjeu crucial ? Nous l’espérons au moment d’écrire ces lignes, sans perdre de vue que la 3e marche du genre avait été ignorée par les médias, quelques jours avant la récente élection. Cette mobilisation avait pourtant rassemblé 7000 personnes à Montréal, incluant des artistes connus comme Dominic Champagne, Pascale Bussières et d’autres qui pressaient les partis politiques en campagne de faire de l’enjeu climatique LA priorité du prochain gouvernement.
La CAQ à peine élue, une manifestation à Montréal contre le racisme attirait, elle, sans surprise, l’attention médiatique, galvanisée par la volonté du nouveau gouvernement d’interdire le port de signes religieux aux enseignantes et aux enseignants[1].
Il ne s’agit pas ici d’opposer une cause importante à une autre, mais bien de questionner cet enlisement continu du Québec dans la politique de la polarisation identitaire dont les médias s’abreuvent. C’est un piège dangereux. Il nous faudra « être immenses », pour reprendre les mots puissants de l’artiste Catherine Dorion, nouvelle députée de Québec solidaire élue dans la capitale nationale, pour en sortir et infléchir différemment les luttes progressistes afin qu’elles convergent davantage contre leur adversaire commun – le capitalisme globalisé – en n’opposant pas l’écologie et le social, qui sont interreliés.
Il nous faut être à la hauteur des défis du XXIe siècle face à des forces rétrogrades, accros au pétrole, au productivisme et à l’enrichissement privé individuel (à cet égard, avoir élu un premier ministre multimillionnaire n’a rien d’anodin). Ces forces divisent pour mieux régner, faussant les priorités à l’heure où l’état d’urgence doit être déclaré, comme le réclament les initiateurs et signataires de la Déclaration d’urgence climatique[2]. Un abîme est à combler entre les besoins urgents identifiés au Québec – que ce soit en matière de logement social, de transition écologique, de lutte contre le racisme systémique, etc. – et les propositions de la CAQ. Celles-ci, comme on le sait, relèvent pour la plupart d’un bricolage électoraliste bancal, bourré de contradictions et d’un « gros bon sens » souvent insensé.
Notre avantage : les caquistes sont arrivés au pouvoir sous l’effet d’une vague de mécontentement envers les vieux partis, mais ils font du surf, à plusieurs égards, et de surcroît dans un brouillard assez considérable. Ils ne sont pas très solides sur leur planche et sont sujets aux influences – et pas seulement celles des lobbies d’affaires. Majoritaires, ils sont néanmoins fragiles, un quart des électeurs seulement leur ayant accordé leur appui, les abstentionnistes ayant été plus nombreux que jamais.
C’est à la construction d’un mouvement fort, pluriel et inspirant que nous sommes appelés face à la montée de la droite au Québec, sans parler de l’État pétrolier canadien. Québec solidaire en est un des moteurs, mais à nous, mouvements citoyens, sociaux, syndicaux et écologistes de faire souffler puissamment le vent sur la mer du « changement » caquiste. À nous de persister à montrer que ceux et celles qu’on accuse d’irréalisme fou parce qu’ils défendent des objectifs concrets de justice sociale et climatique sont, en réalité, les porteurs d’avenir.
[1] Voir Jean-Claude Ravet, « Laïcité : la dérive caquiste », blogue de Relations, 5 octobre 2018.
[2] Voir <groupmobilisation.com>
.
Un message, un commentaire ?