Paru sur le site de la Quatrième Internationale
Le 7 décembre 2021
Par Eduardo Lucita
La confirmation, dans une interview à CNN, par la présidente de Taïwan, Tsai Ing-wen, de la présence militaire nord-américaine sur le territoire insulaire « ... pour étendre la capacité de défense et former des troupes taïwanaises » a été reçue comme une provocation par la Chine qui a appelé les États-Unis à ne pas intervenir à Taïwan. « Ceux qui oublient leur héritage, trahissent leur patrie et divisent le pays n’obtiendront jamais un bon résultat. Chercher et soutenir l’indépendance de Taïwan est voué à une impasse » « ... vous ne pouvez pas changer le fait irréfutable que Taïwan fait partie de la Chine », a ajouté Wang Wenbin, porte-parole du ministre des Affaires étrangères de la République Populaire.
La relation entre la Chine et Taïwan traverse ainsi le pire moment des quatre dernières décennies.
De nouvelles relations
Après la fin de la guerre civile en 1949, avec le triomphe des forces communistes dirigées par Mao Tse Tung, Chiang Kai Sek, chef du secteur nationaliste vaincu, s’installe sur l’île et de là s’est construit un pouvoir autonome, avec la collaboration évidente des puissances occidentales. Dès les années 1970, avec la visite de Richard Nixon à Pékin, les relations sino-américaines entrent dans une nouvelle période. Depuis lors, la relation des États-Unis avec l’île a été couverte par le concept d’« ambiguïté stratégique » - elle ne maintient pas de représentation diplomatique formelle mais a de multiples relations officieuses - en parallèle ils se sont entendus avec Deng Xiao Ping sur le statut de « Une Chine, deux systèmes » qui, jusqu’à présent, a régi les relations avec Taïwan (ainsi qu’avec Hong Kong et Macao), ce qui a toujours été rejeté par les autorités de l’île.
Avec cet accord « deux systèmes une seule nation » a été bloquée une éventuelle déclaration d’indépendance de l’île, en même temps qu’une avancée chinoise était contenue dans ce qu’elle considére comme « une province rebelle ». Cette politique de « double dissuasion », selon le professeur de Harvard Joseph S. Nye, a commencé à être affaiblie par les actions de l’administration américaine pour arrêter les progrès chinois et les réponses de la République Populaire. Il y a quelques jours, le président Joe Biden déclarait qu’il « a l’engagement » de défendre militairement Taiwan, tandis que son homologue Xi Jinping n’était pas en reste : « la réunification peut et sera réalisée ».
Manœuvres en vrac
Cette nouvelle escalade des tensions a pour cadre la transition du pouvoir mondial - montée de la République Populaire / déclin des États-Unis - et pose de sérieux défis à l’architecture libérale qui régnait jusqu’à présent sur l’ordre international.
Le durcissement des positions internationales des États-Unis coïncide avec un affaiblissement de l’administration Biden - cette semaine même, elle a connu une dure défaite électorale (ses taux d’approbation sont déjà similaires à ceux de Donald Trump) et dans un an elle devra faire face aux élections de mi-mandat - qui met en péril son agenda gouvernemental en termes d’infrastructures (1 200 milliards de dollars), et de politique sociale et environnementale incarnée dans son programme ’Reconstruire un monde meilleur’ (1 75 000 milliards, dont 555 000 millions pour réduire les émissions de gaz à effet de serre). Quant à la Chine, la réunification avec Taïwan n’est pas seulement une revendication historique mais aussi stratégique dans sa lutte pour le pouvoir. L’île abrite la plus grande usine de fonderie de semi-conducteurs (TSMC) au monde, dont la fourniture est essentielle pour que la République Populaire obtienne la primauté technologique sur les États-Unis.
Militarisme et libre-échange
Les États-Unis sortent de la « centralité atlantique » qu’ils coordonnaient depuis la sortie de la deuxième Guerre mondiale pour la remplacer par la nouvelle centralité Asie-Pacifique. Le partenariat stratégique récemment annoncé entre les États-Unis, le Royaume-Uni et l’Australie nommé, en anglais, de l’acronyme AUKUS, présenté comme une défense des intérêts des trois pays dans la région indo-pacifique, discuté dans une note précédente de cette chronique, est essentiellement une alliance militaire. Parallèlement, il a repris le Dialogue quadripartite sur la sécurité (États-Unis, Japon, Inde et Australie).
Si le retrait d’Afghanistan était une opération défensive, celles-ci sont clairement offensives et visent à limiter les mouvements de la Chine (avancées militaires et nucléaires) et à garantir la « libre navigation » dans la zone. Autant le retrait des troupes que le partenariat stratégique ont été effectués sans en informer leurs alliés européens. Pour sa part, la Chine a répondu par une demande d’adhésion à l’Accord de partenariat transpacifique (Trans-Pacific Partnership Agreement, TPP). Si la demande se concrétise, cela renforcerait son leadership global, puisqu’il s’agit d’un accord commercial de portée mondiale, alors que les États-Unis s’en sont retirés sous l’isolationnisme de l’administration Trump. Ceci est complété par son entrée déjà établie dans le Partenariat régional économique global (Regional Comprehensive Economic Partnership, RCEP) et également avec son projet « Nouvelle route de la soie » (Belt and Road Initiative, BRI . Alors que les États-Unis faisaient la promotion au G7 du Build Back Better Word (B3W) pour concurrencer la soi-disant nouvelle route de la soie.
La transition du pouvoir mondial, encadrée par la rivalité stratégique entre les États-Unis et la Chine, conjugue alliances militaires et accords commerciaux. Les États-Unis s’accrochent au militarisme tout en abandonnant le multilatéralisme commercial, tandis que la Chine tire parti des accords de libre-échange tout en renforçant sa puissance militaire et nucléaire.
L’escalade de la tension internationale sur le cas de Taiwan révèle qu’un scénario de guerre n’est pas entièrement exclu au cours de la transition.
* Membre du collectif EDI -Economistas deIzquierda-
5/11/2021
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