Jusqu’à maintenant, la campagne pour l’élection présidentielle a été très différente des précédentes, avec l’émergence de candidats qui ne sont pas soutenus par les establishments des deux partis. Du côté des Républicains, c’est jusqu’à maintenant le milliardaire Donald Trump qui devance les autres candidats qui sont ou qui ont été gouverneurs d’Etats ou membres du Congrès.
Du côté des Démocrates, le sénateur Bernie Sanders, qui se présente comme un « socialiste démocratique », a émergé d’on ne sait trop où et devient un concurrent sérieux pour Hillary Clinton, la favorite de l’establishment du Parti démocrate.
Dans cet article je veux me concentrer sur les secteurs de la population qui ont été galvanisés par les campagnes de Trump et de Sanders. Mais d’abord, il convient d’examiner la situation réelle qui est celle du 80% de la population, la classe travailleuse et la classe moyenne. (Aux Etats-Unis les médias et les politiciens mettent les travailleurs mieux payés dans cette catégorie de la « classe moyenne » – pour ma part, j’utilise ce terme pour désigner les commerçants et les petits propriétaires qui travaillent, les indépendants, les fermiers ayant une exploitation familiale et ainsi de suite.)
Les travailleurs et travailleuses salariés ont vu leurs salaires stagner depuis 1973. Le krach financier de 2008 et la grande récession qui l’a suivi (et dont les prodromes se manifestaient dès 2007) ont frappé durement les travailleurs, surtout les Noirs et les Latinos ; la pauvreté et le nombre de sans-abri ont augmenté ; de larges secteurs de la classe moyenne ont été ruinés ; la dette des étudiants se monte à un millier de milliards de dollars.
Ce sont ces indicateurs, parmi d’autres, qui expliquent la frustration et la colère du 80% de la population qui se trouve en bas de l’échelle. C’est ce désespoir qui s’exprime dans les campagnes aussi bien de Sanders que de Trump, même si c’est de manière diamétralement opposée.
Sanders, une pointe de socialisme
La principale conclusion qui peut être tirée du soutien gagné par Sanders est qu’un secteur significatif de la classe travailleuse et des jeunes se déplace vers la gauche. Dans ce sens Sanders exprime une mutation à l’œuvre aux Etats-Unis dans certains secteurs sociaux au cours de ces dernières années.
Au début, lorsque Sanders a annoncé sa campagne, il n’était pas pris au sérieux et était considéré comme un candidat de protestation ayant de bonnes intentions mais à côté de la plaque. Mais ensuite ses meetings de campagne ont commencé à attirer des milliers de gens, rassemblant des foules plus importantes que les deux partis traditionnels.
Au début de sa campagne, Sanders était relativement inconnu en dehors de son Etat du Vermont et des Etats voisins dans le New England. Mais son message a eu un impact important et il a commencé à grimper dans les sondages, comblant l’écart qui le séparait de Hillary Clinton, la candidate choisie par l’establishment du Parti démocrate, et ce à un niveau national.
Quelques jours avant les primaires du Parti démocrate qui se sont déroulées en Iowa le 1er février 2016, les sondages montraient que Sanders, qui se situait à une distance de 40% derrière Clinton, avait diminué cet écart à environ 5 points. Mais, les « sondeurs » prévoyaient que Clinton gagnerait. Les résultats des primaires ont été une surprise : les deux candidats étaient désormais à égalité.
Clinton a gagné la majorité des électeurs âgés de plus de 45 ans, alors que Sanders a gagné ceux âgés de moins de 45 ans. Dans le groupe d’âge des 17 à 29 ans, Sanders a dépassé Clinton de 70 points. Clinton l’a emporté parmi les électeurs gagnant plus de 50’000 dollars par année, alors que Sanders a récolté les votes de ceux qui gagnaient moins.
Une semaine plus tard, Sanders a emporté une victoire écrasante aux primaires du New Hampshire (le 9 février 2016), battant Clinton par 22 points. Il a gagné 55% des votes de femmes et 70% des votes de femmes âgées de moins de 30 ans. Dans l’ensemble il a récolté 83% des votes de personnes âgées de moins de 29 ans. Clinton l’a emporté parmi ceux qui avaient plus de 65 ans et qui gagnaient plus de 200’000 dollars par année.
Ces deux premières joutes se sont déroulées dans des Etats dont la population est très majoritairement blanche. Il faudra voir comment s’en sortira Sanders dans les primaires à venir auprès des Afro-Américains et des Latinos, ainsi que d’autres personnes de couleur.
Comment s’explique l’enthousiasme des partisans de Sanders ? D’abord par le fait qu’il a dénoncé Wall Street et les sommes gigantesques, pour l’essentiel d’origine publique, reçues par les institutions (banques et assurances) pendant le krach de 2008, tout comme le rôle obscène que jouent les gigantesques sommes d’argent dans les élections et l’écart de plus en plus important entre les riches et le reste de la population.
Tous les autres candidats (à l’exception de Donald Trump) sont financés par des firmes et des super-riches, soit directement, soit par l’intermédiaire des Political Action Committees (PAC) qui peuvent récolter des sommes sans limites. Sanders n’accepte aucun financement de la part des PAC ou des firmes. Il a récolté des sommes substantielles de la part de 3,5 millions de donateurs qui ont versé en moyenne 27 dollars par personne. [Voir, sur les sommes récoltées par tous les candidats, ce tableau très complet – pour les candidats démocrates et républicains – publié dans le New York Times, en date du 1er février 2016 – http://www.nytimes.com/interactive/2016/us/elections/election-2016-campaign-money-race.html?_r=0 – Réd A l’Encontre]
Les positions qu’il défend sont aussi populaires. Il veut augmenter le salaire minimum à 15 dollars par heure, à l’échelle nationale, une revendication que des travailleurs mal payés comme ceux des fast-foods ont défendue lors de grèves et de manifestations depuis plus d’une année.
Une des principales revendications mises en avant par Sanders est celle d’instituer un programme national de soins pour tous (Medicare for all). Il dénonce le rôle joué par les grandes entreprises pétrolières et minières sur le terrain du changement climatique. Il demande que les frais de scolarité soient supprimés dans les collèges d’Etat.
Ces revendications, parmi d’autres favorables à la classe travailleuse, sont populaires, ce qui explique le soutien de plus en plus important dont jouit Sanders dans un secteur de la classe travailleuse et auprès des jeunes. Ses partisans disent aussi que, contrairement à tous les autres candidats, Sanders dit ce qu’il pense et pense ce qu’il dit.
Il faut noter que les partisans de Sanders ne se laissent pas décourager par son affirmation selon laquelle il est un « socialiste démocratique ». Même si ses partisans ne savent peut-être pas grand-chose concernant le socialisme, il y a une compréhension croissante du fait que le système capitaliste actuel est en train de décevoir la majorité des gens.
Il faut bien comprendre que le « socialisme démocratique » de Sanders ne signifie en aucune mesure une rupture avec le capitalisme ou avec le Parti démocrate, également capitaliste. Il déclare clairement qu’il est contre l’expropriation des moyens de production de la classe capitaliste en tant que mesure pour initier une transition vers une propriété sociale et le socialisme. Le modèle qu’il met en avant est celui des pays scandinaves.
Il déclare fermement que s’il perd la nomination de candidat démocrate à la présidence, il ne se présentera pas en tant que candidat indépendant. Il fera alors campagne pour Clinton.
Sanders n’est pas un socialiste, mais plutôt un social-démocrate. Il explique qu’il est favorable à la réforme de certains des pires aspects du capitalisme états-unien et dit que les mesures qu’il propose ne sont pas radicales. De nombreux pays capitalistes disposent d’une assurance maladie au niveau national. Les collèges et les universités d’Etat étaient autrefois gratuits aux Etats-Unis. Si ses propositions apparaissent comme radicales, c’est parce que les deux partis du capitalisme ont tellement poussé le pays vers la droite.
Il s’agit donc d’une pointe de socialisme, mais pas de socialisme tel que l’on pourrait en dégager des grandes lignes, aujourd’hui.
Une pointe de fascisme
L’actuel favori parmi les candidats républicains est le milliardaire Donald Trump. Il est le seul candidat républicain à affirmer qu’il ne reçoit pas d’argent des grandes firmes, etc. parce que sa campagne est autofinancée. Et qu’il ne peut donc pas, comme les autres candidats républicains, être acheté par d’autres milliardaires ou millionnaires.
Toute l’équipe de candidats républicains est raciste contre les Afro-Américains, les Latinos, les Arabes, les musulmans et ainsi de suite. La plupart d’entre eux expriment cela dans un langage codé ; les déclarations ne sont pas explicites, mais sont comprises par tout le monde.
Trump a fait un pas de plus avec son racisme ouvert. Il appelle les Mexicains qui cherchent à pénétrer aux Etats-Unis des « violeurs et des narcotrafiquants ». Il dit qu’il va déporter les 11 millions d’immigré·e·s sans papiers, qui sont surexploités dans divers secteurs. Lorsque des Noirs ont protesté lors de ses rassemblements et ont été rudoyés par ses partisans, il applaudit ces derniers et les encourage depuis le podium. Il appelle à refouler tous les musulmans qui veulent entrer aux Etats-Unis et à enregistrer tous les musulmans qui vivent aux Etats-Unis sur une liste de personnes à surveiller.
Et pourtant on l’envisage comme un prochain président acceptable. Il a légitimé le racisme ouvert en tant que discours politique acceptable. Tous les candidats républicains s’adressent aux travailleurs blancs et aux gens de la classe moyenne. (Traduction par A l’Encontre, article écrit le 10 février 2016)
[1[ Pour une explication plus formelle de la procédure particulière des élections primaires aux Etats-Unis afin de sélectionner les deux candidats des deux Partis (démocrate et républicain), il est possible de consulter cette page : http://aceproject.org/ace-fr/topics/pc/pcy/pcy_us, depuis « Introduction : « Procédure de mise en candidatures aux Etats-Unis… » (Réd. A l’Encontre)
Barry Sheppard, un ex-militant et dirigeant de l’historique SWP des Etats-Unis, réduit actuellement à l’état d’une secte pro-cubaine, a écrit deux volumes de biographie politique. L’historien du mouvement ouvrier, Paul Le Blanc a consacré un commentaire intéressant à cette biographie. Voici la référence : http://www.laborstandard.org/Sheppard_Memoirs_Review_by_Le_Blanc.html (Réd.A l’Encontre)