Alencontre
18 février 2021
Par Malik Miah et Barry Sheppard
Trump a échappé à la condamnation et surtout à l’impossibilité de se représenter comme candidat lors de l’élection présidentielle de 2024. Dans une déclaration faite après le verdict, Trump a déclaré que son « magnifique mouvement » serait plus fort que jamais.
La présentation convaincante de la mise en accusation par les membres de la Chambre choisis pour la procédure de destitution (impeachment) a prouvé que Trump était coupable de l’organisation durant des mois de ce qui a culminé le 6 janvier. Cinq personnes sont mortes, dont un policier chargé de la défense du Capitole. De nombreux membres du Congrès ont échappé de justesse à des blessures physiques ou à la mort.
C’était le deuxième « acquittement » de Trump en un an. Il est le seul président à avoir perdu le vote populaire à deux reprises [en 2016, le nombre de suffrages réunis était inférieur à celui d’Hillary Clinton et aussi en 2020 face à Joe Biden]. Il est le seul président à avoir connu à deux reprises une procédure d’impeachment par la Chambre des représentants et à avoir survécu à deux procès au Sénat.
L’argument principal des avocats de Trump était que les démocrates avaient une profonde « haine » de Trump, et que ce dernier avait un droit à la « liberté d’expression » lorsqu’il a présidé la marche et l’attaque sur le bâtiment du Capitole.
Mais les preuves vidéo montrent que Trump a encouragé la foule pendant la violente émeute à l’intérieur du bâtiment, et qu’il n’a pas simplement exercé son droit à la « liberté d’expression ».
Par la suite, le cynisme des républicains s’est manifesté. Mitch McConnell, le leader minoritaire du Sénat, qui a voté « l’acquittement », a déclaré que Trump était « pratiquement et moralement » coupable de l’insurrection du 6 janvier, mais que parce qu’il est dorénavant un citoyen privé, il ne doit pas être condamné. Or, McConnell lui-même, en tant que leader de la majorité au Sénat, a empêché le Sénat de commencer le procès au moment où Trump était encore président. [Le mardi 16 février, Trump a attaqué frontalement Mitch McConnell et a souligné que le Parti républicain perdait de sa crédibilité en continuant à avoir à sa tête un sénateur comme McConnell. Cette déclaration de Trump a été faite via son comité d’action politique Save America.]
Finalement, les dirigeants républicains et démocrates ont décidé conjointement d’en finir rapidement avec le procès, pour chacun leurs propres raisons. Les démocrates de l’establishment voulaient que le 6 janvier soit oublié, afin de « continuer » à faire des compromis avec les républicains au Congrès, afin de « faire avancer les choses ». Les avocats de Trump, eux, voulaient en finir avec le processus concret ayant conduit au 6 janvier. Les responsables démocrates de la Chambre au procès ont mis moins d’une semaine pour présenter leur dossier. Ils n’ont pas appelé un seul témoin à la barre du Sénat.
Une alternative
Ralph Nader, défenseur des consommateurs et ancien candidat présidentiel du Parti Vert à deux reprises [en 1996 et 2000], a observé, dans une interview sur Democracy Now, pendant le procès :
« Ce n’est pas une procédure pénale, c’est une procédure civile entièrement contrôlée par le Sénat américain. La Cour suprême a statué dans l’affaire Nixon contre les États-Unis il y a des années [en juillet 1974] que le pouvoir judiciaire n’a aucun rôle à jouer, qu’il n’y a pas d’appel. Il n’y a pas de longs délais. Tout dépend du Sénat et des règles du Sénat, en premier lieu.
»Deuxièmement, l’objectif de cette mise en accusation est prophylactique. Il est conçu non seulement pour tenir Trump responsable en vertu de la Constitution, mais aussi pour empêcher les futurs Trump de se comporter de la même manière. Par conséquent, le seul résultat réel d’un verdict de culpabilité serait de disqualifier Trump de toute candidature à une fonction fédérale à l’avenir…
»[Sans témoins], les républicains se contenteront de dire : “C’est un procès avec spectacle vidéo [les « accusateurs » démocrates ont ponctué leurs plaidoyers avec de nombreux extraits de vidéos]. Une grande partie du matériel a été sorti de son contexte. Et les protagonistes étaient tous des partisans démocrates, des membres du Parti démocrate de la Chambre.” Si vous avez des témoins, vous avez le potentiel d’un témoignage décisif. Mike Pence, par exemple. Jay Rosen [journaliste, spécialiste des médias ayant suivi de manière factuelle détaillée la campagne de Trump], par exemple. Brad Raffensperger [du Parti républicain, secrétaire d’Etat de Géorgie, qui a subi des pressions de Trump pour changer les résultats des élections en Géorgie ; la conversation téléphonique entre Trump et lui a été diffusée]. Ils pourraient être amenés à témoigner sur des crimes bien plus graves qu’un simple appel téléphonique au ministère de la Justice par Trump ou au secrétaire d’État de Géorgie pour, en leur tordant le poignet, essayer de changer le cours ou le décompte des élections… »
La présentation des avocats de la défense de Trump a duré un peu plus de trois heures, soit moins d’un quart du temps qui leur était imparti. Ils n’ont même pas repris les allégations concrètes de mise en accusation. Ils ont plutôt essayé de dire que les antiracistes et les démocrates ont utilisé le même langage que celui utilisé par Trump le 6 janvier. Ils ont diffusé tellement de clips de la représentante Maxine Waters, une éminente démocrate noire de Californie, prononçant des discours enflammés, qu’on aurait pu croire qu’elle était, elle, l’objet du procès. Rien d’étonnant à ce que les républicains attisent le racisme anti-noir en alimentant les craintes des Blancs de voir les Noirs « arrogants ». L’argumentation juridique de Trump était teintée de racisme et de mensonges. Ses avocats ont blâmé les démocrates « radicaux », les activistes noirs et les antifa (antifascistes) pour ce qui s’est passé [les avocats de Trump citaient des élus démocrates qui avaient utilisé le verbe « combattre », pour valider l’utilisation de ce verbe par Trump lors de meeting le 6 janvier].
Les politiques et la rhétorique anti-Noirs ont été la base du gouvernement Trump et des médias de droite. Le mouvement Black Lives Matter (BLM) a été vilipendé, tandis que les groupes suprémacistes blancs ont reçu un laissez-passer dans ces médias et ont été carrément adoptés par Trump.
Les actions de masse du BLM contre la violence policière de l’année dernière, qui étaient animées par des Noirs mais auxquelles se sont joints de nombreux jeunes Blancs, ont été attaquées par des policiers armés et militarisés et par des troupes fédérales, comme la patrouille des frontières, qui ne répondent qu’aux ordres du président.
Les dirigeants du BLM ont souligné à plusieurs reprises l’hypocrisie de la « démocratie » étatsunienne et du double système juridique – un pour les blancs, un pour les noirs et d’autres opprimés.
Lorsque les émeutiers du 6 janvier ont finalement été escortés hors du Capitole, ils ont été traités avec des gants de velours et aucune arrestation n’a été faite, et même leurs noms n’ont pas été enregistrés. Les arrestations ultérieures de certains des insurgés sont basées sur des accusations mineures.
La réponse des démocrates aux calomnies et aux mensonges concernant BLM lors du procès au Sénat a été de les qualifier de diversion et de détournement par rapport à la véritable question, celle des actions de Trump.
Les démocrates n’ont pas mis la suprématie blanche en procès au Sénat, même si de violents suprémacistes blancs étaient ceux qui ont attaqué le Capitole, et étaient organisés et dirigés par le président Trump, ouvertement suprémaciste blanc. Ils n’ont pas pu le faire car ils ont eux-mêmes alimenté la suprématie blanche, bien que de manière moins flagrante que pendant huit décennies de leur soutien au système Jim Crow [de 1877 à 1964] dans le Sud, et moins flagrante comparé au discours et à la pratique de Trump. Ils utilisent des « sifflets pour chiens » [1] et des mots codés, et ont mené une politique de criminalisation des Noirs dans les années 1980 et 1990 [notamment Bill Clinton, président de 1993 à 2001], ce qui a conduit, eux et les Latinos, à être la cible du système d’incarcération de masse qui sous-tend le « New Jim Crow » [référence au titre de l’ouvrage best-seller de Michelle Alexander, qualifié d’un des livres les plus influents des vingt dernières années]. La suprématie blanche est l’idéologie que toute la classe dirigeante et ses politiciens ont utilisée pour justifier l’oppression des Noirs au cours des quatre derniers siècles. Les démocrates n’ont pas pu faire de procès à ce sujet.
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Pourquoi l’establishment républicain est-il resté fidèle à Trump ? Ils reconnaissent que Trump compte dans sa base 70 à 80% des républicains qui votent. Nombreux sont ceux qui, dans sa base, ont même menacé de violence les élus républicains qui ont voté contre Trump à la Chambre des représentants et au Sénat, ainsi que dans les administrations des Etats. Depuis le procès, les républicains qui ont voté pour mettre Trump en accusation à la Chambre ou pour le condamner au Sénat, ont été censurés par les appareils républicains dans les États qu’ils représentent.
Les chefs de file des groupes fascistes nationalistes ultra-blancs – comme les Proud Boys, Three Percenters [mouvement patriote d’extrême droite organisé en milices et groupes paramilitaires], Boogaloo Bois [groupe d’extrême droite se préparant à une guerre civile] et les Oath Keepers [milice d’extrême droite opposée au gouvernement fédéral] – qui ne sont pas d’accord sur de nombreux sujets sont tous des adeptes de Trump. Ils admettent qu’ils sont allés à Washington D.C. avec des armes pour soutenir Trump et attaquer la capitale fédérale sous ses ordres.
Ces groupes fascistes représentent des dizaines de milliers de personnes, tandis que les partisans de Trump se comptent par dizaines de millions. Mais ils sont tolérés par la plupart de ses partisans dans le cadre de leur mouvement. Trump a ouvertement soutenu ces groupes et, comme le 6 janvier l’a démontré, il peut les mobiliser pour commettre des violences quand et s’il le juge nécessaire.
Le dilemme auquel seront confrontés à l’avenir les élus républicains et démocrates est que le nuage de Trump plane au-dessus de leurs têtes. Les deux partis de la classe dirigeante cherchent à protéger l’idée de la « présidence » tout en n’admettant pas le poids du pouvoir que la présidence a acquis au fil du temps. Trump a établi en pratique que le pouvoir exécutif dispose de tout le pouvoir, et qu’il peut faire ce qu’il veut dans les affaires étrangères et intérieures sans conséquences personnelles.
La suite
Donald Trump pourrait être poursuivi au pénal à New York, en Géorgie et à Washington, D.C. Il est accusé de viol dans une affaire civile à New York.
Trump n’est pas intéressé par la démocratie. C’est un autoritaire avec un profil bonapartiste. Il veut être président à vie. C’est pourquoi, à ce jour, il refuse de reconnaître la victoire de Joe Biden et sa présidence. Il se présente toujours comme le président.
Qui peut prétendre qu’il ne sera plus candidat ? Et qu’il puisse prendre son acquittement comme preuve qu’il devrait agir avant qu’ait lieu une élection afin d’« arrêter le vol » ?
Ou alors, il pense peut-être à une dynastie de trumpistes. Un des principaux dirigeants républicains, le sénateur Lindsey Graham [sénateur de Caroline du Sud depuis dix-huit ans], a approuvé l’annonce faite par Lara Trump [ancienne animatrice de télévision, épouse d’Eric Trump, fils de Donald] qui envisage de se porter candidate au poste de sénateur de Caroline du Nord en 2022. Le siège pour lequel elle se présenterait est celui du sénateur Richard Burr [en fonction depuis seize ans], qui ne se représentera pas. Burr est l’un des sénateurs qui ont voté pour la condamnation de Trump, ce qui a agacé la base de Trump dans cet État.
Le Parti républicain reste désormais le parti de Trump. Il y a certes de nouvelles fissures en son sein, comme le montrent les votes des républicains à la Chambre des représentants pour la mise en accusation et des sénateurs lors de la procédure de condamnation. Les commentaires de McConnell selon lesquels Trump était coupable d’avoir organisé et incité l’insurrection en sont une autre indication. Mais les républicains savent qu’ils ne peuvent pas gagner les élections sans la base de Trump. Il reste à voir comment ce conflit va se dérouler.
Les démocrates de l’establishment ne sont pas prêts à combattre Trump ou sa base d’extrême droite. Ils cherchent à gagner des républicains « modérés », et non des partisans démocrates plus progressistes. Joe Biden cherche à se mettre d’accord avec des conservateurs et à revenir aux débats « normaux » bipartisans.
Alors que les militants afro-américains, immigrés et indigènes savent, par l’histoire, que l’argumentation trompeuse de l’équivalence entre les idées et les méthodes des tenants de la suprématie blanche et celles des combattants pour l’égalité des droits sera utilisée pour attaquer les mobilisations des Noirs, des Bruns et des Amérindiens.
Le mouvement progressiste et la gauche socialiste doivent se mobiliser contre le racisme blanc, défendre les communautés noires et brunes et s’opposer activement à la politique étrangère impérialiste des républicains et des démocrates. Une réponse de masse est le seul moyen d’arrêter les forces ultra-nationalistes néofascistes. Cela ne se fera jamais par des simples élections. (Article reçu le 16 février 2021, traduction rédaction A l’Encontre)
[1] « L’expression “sifflet raciste pour chien” n’est pas nouvelle. Mais le président Trump peut représenter la perfection de la “politique du sifflet pour chien”, en utilisant des phrases, des symboles et des tweets pour créer un démenti plausible chaque fois que ses politiques semblent trop ouvertement racistes.
L’expression est devenue tellement cliché que nous pouvons oublier que le sifflet pour chien est plus qu’un style de discours. Il s’agit d’une technologie spécifique : un objet manufacturé construit pour utiliser à la fois des lois physiques (l’acoustique) et biologiques (les capacités auditives des animaux). Les sifflets pour chiens fonctionnent en produisant des sons à des fréquences que les chiens peuvent entendre, mais pas les humains. Au fil du temps, cette technologie est devenue une alternative à quelque chose qui est dit en public mais entendu en privé – un signal secret. Et pourtant, le fait que cette expression soit si souvent utilisée est la preuve que la métaphore échoue. Chaque fois que quelqu’un crie des actes de racisme codé comme un « sifflet pour chien », c’est la preuve que le « mauvais » public l’a entendu. (Adam R. Shapiro, historien des sciences, The Washington Post, 21 août 2020) (Réd.)
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