Des critères arbitraires
Pour établir que deux personnes sont en couple, le ministère se base sur trois critères. D’abord, le fait de cohabiter depuis plus d’un an est souvent le point de départ d’une accusation de « vie martiale ». Peu importe que les colocataires soient dans une relation amoureuse, amicale, ou partagent simplement un logement commun afin de réduire les coûts. Ces accusations sont portées sans égard au sexe des personnes concernées, et vont même jusqu’à s’abattre sur des gens d’une même famille ! Le ministère s’enquiert ensuite de la pratique du « secours mutuel » entre les deux suspects. Concrètement, les agents veulent savoir si les personnes s’entraident, notamment pour la préparation des repas, le partage des factures et le soutien affectif. Le dernier critère du ministère pour déclarer deux personnes en couple est la « commune renommée ». Autrement dit, les agents sont autorisés à interroger les voisins et les proches afin de déceler des indices d’une relation amoureuse. Par exemple, ceux-ci peuvent vérifier si l’entourage considère que les personnes passent beaucoup de temps ensemble, ou bien si elles manifestent des marques d’affection en public.
Des conséquences dramatiques
Alors que pour la majorité des gens, faire vie commune est synonyme d’amélioration des conditions de vie, il en est tout autrement pour les personnes assistées sociales. Dans le cas où les deux personnes qui sont accusées de « vie martiale » sont prestataires d’aide sociale, elles recevront maintenant un seul chèque. Le montant en sera passablement réduit comparativement aux deux prestations antérieures additionnées, les faisant ainsi basculer dans un état de pauvreté encore plus critique. Sinon, lorsque l’un des conjoints présumés est sur le marché du travail, le montant de la prestation octroyée à la personne prestataire sera coupé. Dès que les revenus de travail du conjoint dépassent les 965 $ par mois, la personne prestataire (pour l’exemple qui suit, considérée sans contrainte à l’emploi), voit son chèque complètement coupé. Elle devient alors totalement dépendante financièrement de l’autre personne. Cette situation plonge les gens dans des situations inacceptables qui menacent leur intégrité : absence d’autonomie et de liberté de choix, perte d’estime de soi et sentiment de « dette » envers l’autre. Cet état de dépendance est aussi propice à différents abus, et ajoute de nombreux obstacles pour les personnes qui souhaitent quitter une relation marquée par la violence conjugale. Il faut aussi savoir que les coupures pour vie maritale sont rétroactives. C’est-à-dire que si la décision du ministère tombe après plusieurs années de vie commune, la personne assistée sociale se retrouvera avec une dette imposante, même si elle n’était pas au courant de cette disposition. En plus de faire face à des pénalités financière, les personnes vivent cela comme une intrusion illégitime dans leur vie privée. Elles se font brimer et contrôler pour une situation tout à fait acceptée dans le reste de la population : être dans une relation amoureuse. Les paramètres du ministère concernant la « vie maritale » ne tiennent pas compte non plus de l’évolution naturelle des relations, qui peuvent faire en sorte que la nature de celle-ci change avec le temps.
Ces personnes sont confrontées à des choix déchirants. Est-il préférable de se séparer ? De ne plus vivre dans le même logement ? D’accepter de prendre son conjoint à charge même si nos revenus personnels sont minimes ? Et comment faire la preuve que l’on n’est pas en couple avec une personne si l’on est faussement accusé de « vie maritale » ?
Un exemple aberrant de pénalisation de l’entraide
Il y a de cela quelques années, une femme de Québec a vécu une situation déplorable qui illustre très efficacement cette injustice. Celle-ci était proche aidante d’une personne atteinte d’un cancer. Afin de faciliter l’entraide et la prestation de soins (accompagnement aux traitements médicaux, prise de médicaments, soins personnels, etc.), la cohabitation était de mise. Les agents ont poursuivi leur enquête en allant jusqu’à vérifier si la dame lui cuisinait des repas, si les deux femmes s’échangeaient des cadeaux lors de leurs anniversaires, et si elles restaient à l’appartement lors de visites de leurs familles respectives. Tout cela était considéré comme du secours mutuel. Après le décès de la femme atteinte du cancer, une accusation de vie maritale est donc tombée sur la proche aidante. Elle s’est alors retrouvée avec une dette à l’aide sociale de 16 995 $, à laquelle s’ajoutent des intérêts. Concrètement, cela signifie qu’elle devra subir des années de réduction de sa prestation d’aide sociale déjà insuffisante, en plus de vivre un deuil important.
Pour l’abolition de la coupure pour « vie maritale » !
Vu les nombreuses atteintes aux droits fondamentaux que la coupure pour « vie maritale » entraine, nous croyons fermement que le ministère doit cesser immédiatement d’appliquer cette mesure discriminatoire. Il est impératif de mettre fin à la pénalisation de l’entraide. Dans cet ordre d’idées, nous sommes convaincues que chaque personne doit avoir accès à un revenu social universel garanti. Ce revenu, versé sur une base individuelle, permettrait de couvrir les besoins essentiels et d’assurer à tous et toutes la dignité, l’autonomie, la liberté et le respect de la vie privée, peu importe l’état matrimonial. Une personne = un chèque !
Denyse Thériault et Françoise Laforce-Lafontaine,
Membres du Comité femmes du Front commun des personnes assistées sociales du Québec