Tiré du blogue de l’auteur.
Dialogue ou pression. Enoncée ainsi, l’équation paraît simpliste et la question est en effet l’articulation de ces deux dimensions. Pour sortir de la crise actuelle en Birmanie, il faudra certainement qu’un dialogue ait lieu à un moment entre des représentants de l’institution militaire birmane et ceux qui veulent en finir avec le règne politique de l’armée, qui dure depuis 1962. La question est donc : quel dialogue, dans quelles conditions et selon quel calendrier ainsi qu’entre qui et qui.
L’Association des nations d’Asie du Sud-Est (Asean), précisément, tente une médiation : un sommet spécial de l’organisation régionale aura lieu le 24 avril à Jakarta. « Plusieurs leaders [de la région] ont confirmé leur présence », annonce le porte-parole du ministère thaïlandais des Affaires étrangères. Parmi eux, le chef de l’armée birmane et premier responsable du putsch du 1er février, Min Aung Hlaing, un homme qualifié de « meurtrier en chef » par l’un des représentants du gouvernement d’union nationale né le 16 avril de négociations entre les différentes forces d’opposition au règne militaire. Pour le Dr Sasa, en effet, l’Asean se déshonorerait en permettant à cet homme de participer au sommet.
Les choses sont ainsi posées : contre l’histoire en marche – une population presqu’entièrement unie dans son rejet du pouvoir politique des militaires – la Chine estime par la voix de son ambassadeur aux Nations unies qu’ « une pression unilatérale et un appel à des sanctions ou à d’autres mesures coercitives ne feront qu’aggraver les tensions et la confrontation et compliquer davantage la situation, ce qui n’est en aucun cas constructif ». Être constructif, ce serait laisser l’Asean « jouer un rôle positif ».
« Toutes les parties en Birmanie » devraient « garder leur calme » et « faire preuve de retenue » précise encore l’ambassadeur chinois, comme si le problème pouvait se trouver de deux côtés et non d’un seul, qui est précisément le côté qu’il protège d’une plus grande mise sous pression. Le but ? Que « la transition démocratique en Birmanie », auquel le putsch de Min Aung Hlaing et de ses alliés a précisément mis un terme, puisse se poursuivre. Une « transition » dont on peut d’ailleurs interroger la réalité tant le putsch, précisément, montre le refus des dirigeants militaires d’abandonner leur pouvoir.
Faut-il donc inviter Min Aung Hlaing au sommet de Jakarta ? Oui, si l’on croit à la possibilité d’un retour à la case départ, c’est-à-dire à la situation de l’avant 1er février, faite d’une cohabitation politique entre civils et militaires à l’avantage des militaires. Non, si l’on estime qu’une telle cohabitation ne sera plus acceptée de la population birmane, unie dans un refus définitif d’une implication politique de l’armée dans les affaires du pays, ou si l’on saisit combien le « meurtrier en chef » est désormais haï de ses compatriotes.
Si l’Asean a comme objectif d’aller dans le sens voulu par la Chine – des négociations permettant de revenir à la case départ – ce sommet, en accordant à Min Aung Hlaing une place de négociateur, pourrait avoir son intérêt. Non pas par sa pertinence mais en raison, précisément, de son décalage d’avec la réalité. Il est peu de chance en effet que la population et ses représentants soient encore prêts à considérer Min Aung Hlaing comme quelqu’un avec qui l’on signe un accord. Dès lors, la pression en sera accrue sur les autres membres de l’institution militaire, obligés à l’un ou l’autre moment de constater qu’il n’y aura pas de sortie de crise tant que les principaux responsables du putsch, identifiés à une bande d’assassins, ne seront pas sacrifiés. Pour le dire autrement et sans exclure quelque surprise : une réussite du sommet paraissant hautement improbable, son échec pourrait être en revanche intéressant en ce qu’il forcerait différents acteurs nationaux et régionaux à ajuster leurs vues pour voir enfin l’évidence de la situation, qui peut s’énoncer en ces termes : pour les Birmans, le règne militaire, ne serait-ce que modéré par un espace laissé aux forces démocratiques, n’est plus de l’ordre de l’acceptable.
Que l’Union européenne étende prochainement son régime de sanctions visant des individus à de nouveaux responsables militaires, ce qui devrait avoir lieu ce 19 avril, est dès lors une bonne chose. Là encore, parce qu’il faut s’efforcer de créer des divisions au sein de l’institution militaire : la nécessité de sacrifier les « têtes » du putsch doit pouvoir s’imposer au sein de l’armée avec la force de l’évidence.
On assistera peut-être alors à un début de sortie de crise.
Frédéric Debomy
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