Édition du 17 décembre 2024

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En Amazonie, Lula chasse les orpailleurs et tente de faire revenir l’État

Abandonné durant tout le mandat de Jair Bolsonaro, le peuple indigène des Yanomami est en situation d’urgence sanitaire, conséquence de l’invasion de son territoire par des milliers de chercheurs d’or clandestins. Revenu au pouvoir en janvier, le président brésilien déploie des moyens massifs et tente de marquer sa différence.

9 avril 2023 | tiré de mediapart.fr | Arrestation d’un orpailleur illégal lors d’une opération contre la déforestation en Amazonie sur le territoire yanomami, le 24 février 2023. © Photo Alan Chaves / AFP
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Rio de Janeiro (Brésil).– Au milieu de la nuit du 23 au 24 février, sept voadeiras, ces grandes barques rapides qui peuvent transporter jusqu’à quatre tonnes de charge, glissent silencieusement sur la rivière Uraricoera. Elles sont remplies de cassitérite, convoitée pour sa teneur en étain et extraite illégalement, tout comme l’or, du territoire autochtone (TI) yanomami.

Les occupants des bateaux sectionnent le câble de 240 mètres récemment tendu entre les deux berges par l’Ibama, l’autorité chargée de la protection de l’environnement, pour contrôler les allées et venues. Postés dans une base provisoire installée dans le village de Palimiu, des agents interviennent. Ils sont pris pour cible et ripostent. Un orpailleur est tué. C’est la première confrontation d’une opération massive lancée début février.

Quelques semaines plus tôt, le 21 janvier, un Lula à peine intronisé se rend dans l’État du Roraima et promet de mettre fin à l’orpaillage illégal sur les terres autochtones. 20 000 orpailleurs se trouvent alors sur ce territoire habité par 30 000 Yanomami et Yek’wana.

Face aux caméras, leur drame est exposé sans filtre : les images d’enfants aux corps décharnés, tourmentés par la faim et les maladies, envahissent les écrans et choquent le Brésil. L’an passé, une centaine d’enfants de moins de 5 ans sont décédés dans le territoire, où le taux de mortalité infantile est dix fois supérieur à celui du reste du pays.

Avec son cortège de pollution, drogues et violences sexuelles, la présence des orpailleurs déstructure des communautés entières. Après quatre ans de dénonciations incessantes, Mauricio Yek’wana, de l’association Hutukara, se sent en partie soulagé. « Enfin, le gouvernement a ouvert les yeux. Depuis le début de l’année, on ne gesticule plus en vain. »

D’immenses moyens sont désormais déployés, tandis qu’une enquête pour génocide visant notamment des membres du gouvernement sortant est lancée. Toute une palanquée d’institutions est mobilisée : ministère de l’environnement, Ibama, police fédérale, Funai (organisme chargé de la protection des autochtones) et forces armées…

« Grâce à cette coopération, nos actions sont assez efficaces pour le moment, estime Diego Bueno, numéro deux de l’Ibama dans l’État. On détruit leurs infrastructures sur zone, mais nous travaillons aussi à étrangler leurs routes d’approvisionnement. En même temps qu’on bloque la logistique terrestre hors du TI, en contrôlant les camions qui alimentent les ports et aéroports clandestins, on s’attaque aux routes fluviales et aériennes qui pénètrent au cœur du territoire. »

L’espace aérien au-dessus de ce territoire enclavé a ainsi été fermé et les avions de chasse sont autorisés à abattre les contrevenants. Jusqu’à présent, les coucous du garimpo, l’orpaillage clandestin, le survolaient en toute impunité. « Des bases permanentes vont être installées pour reprendre cette terre aux envahisseurs. En continuant sur cette lancée, on peut réduire radicalement leur présence, et peut-être en finir avec cette activité illégale », assure Diego Bueno.

Lula semble en tout cas prêt à mettre les moyens car, pour lui, l’opération est à la fois une promesse de campagne, une question symbolique et une opportunité diplomatique. Après quatre ans d’un gouvernement promouvant l’exploitation sans limites de l’Amazonie, il veut signer le retour de l’État dans cette région abandonnée aux intérêts de l’économie de la destruction.

« C’est une occasion de montrer du concret sur la préservation de l’Amazonie et de se présenter à l’extérieur comme incontournable sur l’environnement », ajoute Frances Rodrigues, professeur à l’université fédérale du Roraima.

La gestion précédente a tourné le dos aux pays frontaliers, tout en sapant la crédibilité de la diplomatie brésilienne. La nouvelle administration espère inverser la tendance en faisant de l’Amazonie un instrument pour récupérer son influence internationale. En 2023, Lula veut notamment renouer les liens avec ses voisins lors d’une rencontre entre pays du bassin amazonien.

© Infographie Mediapart

Deux mois depuis le début de l’opération, les premiers résultats se font sentir, témoigne Mauricio. Par avion pour les plus fortunés, en bateau pour les plus chanceux et à pied pour les plus désespérés, « nombre d’orpailleurs ont quitté notre territoire. Le gouvernement encourage les sorties spontanées, avec des couloirs aériens ouverts jusqu’au 6 avril, date butoir pour les derniers volontaires au départ ».

Impossible d’estimer la quantité exacte d’orpailleurs restants, précise toutefois l’Ibama. Dans la région du fleuve Uraricoera, où le câble a été installé, les orpailleurs semblent bien moins nombreux, mais ailleurs sur le territoire, au moins 94 nouvelles mines ou sites en expansion ont été recensés depuis le 20 février. Moins promptes à fuir qu’à tirer parti de la moindre brèche, des organisations qui financent l’orpaillage profiteraient de ces couloirs aériens pour continuer d’approvisionner leurs sites.
𞃵Rien n’est facile sur cet immense territoire, et malgré les efforts du gouvernement, on compte toujours les morts chez les Yanomami. Si un hôpital de campagne est annoncé dans le village de Surucucu, cœur de l’intervention sanitaire, les effectifs restent insuffisants face à l’ampleur du désastre.

Le territoire compte 371 aldeias (villages), certaines restant sous influence des orpailleurs, quand d’autres, comme Auaris, le village de Mauricio, doivent faire face à l’explosion de cas de malaria. L’obligation de se concentrer sur ces urgences limite l’amplitude des moyens alloués aux opérations directes, et dans certaines régions, l’orpaillage prospère toujours sans entrave.

« À mesure que nos actions vont s’intensifier, ceux qui ne partent pas devraient se montrer plus violents », anticipe Diego Bueno. Depuis la fusillade de février, deux autres échanges de tirs ont eu lieu en mars entre les autorités et les envahisseurs, cette fois sans faire de victimes.

Les difficultés d’approvisionnement poussent déjà des orpailleurs opiniâtres à accaparer la nourriture distribuée aux Yanomami et deux autochtones ont été tués alors qu’ils traversaient une piste clandestine. La circulation des armes a explosé sous l’influence grandissante du crime organisé et les leaders autochtones sont en première ligne.

Julio Yek’wana, du village de Waikas, à deux heures de barque de Palimiu, explique avoir « quitté l’aldeia pour fuir les représailles. [Il] ne [reviendra] qu’en cas de succès de l’opération… » Pour Mauricio, le danger est tout aussi réel en ville. « Ils ne vont pas rester sans réaction, il y a toujours des conséquences. L’État doit nous protéger. »

« Une poudrière prête à exploser »

Et puis, la pression des autorités ne décourage pas tous les orpailleurs. Roberto*, interrogé en septembre par Mediapart, se trouvait dans une exploitation début février. « Il y a eu une opération mais j’ai pu me cacher et ça n’a pas changé grand-chose. » 𞃵Si une menace s’approche, l’alerte est donnée par radio ou par Internet, largement répandu sur place, et tous se réfugient en forêt, non sans avoir caché les moteurs et les réserves d’or.

De retour en ville, Roberto attend l’opportunité de rempiler, certain que « le garimpo ne va pas s’arrêter ». Beaucoup ne connaissent de toute façon que ce travail et n’ont d’autre option que de continuer. « En attendant que cela se tasse, une partie semble migrer vers les sites du Venezuela ou du Guyana », précise Frances Rodrigues. D’autres devraient rester au Brésil mais descendre 1 200 kilomètres plus au sud, pour exploiter l’or des terres des Munduruku ou des Kayapo, deux peuples déjà confrontés à une situation très compliquée.

Ceux qui resteront sur place représentent aussi un potentiel problème, alors que l’activité est presque une composante de l’identité locale. « Tous les habitants ont au moins un proche lié de près ou de loin au garimpo. D’où une telle acceptation du phénomène, personne n’y voit un crime », souligne Frances Rodrigues.

Face à cet ancrage profond dans la société, la situation peut vite dégénérer. D’autant que les fausses nouvelles visant à décrédibiliser l’opération se multiplient et qu’entrepreneurs et politiques liés au garimpo soufflent sur les braises. « C’est une poudrière prête à exploser », soupire la professeure.

Lino, membre d’une association d’orpailleurs, refuse une interview mais s’emporte vertement. « La situation est révoltante ! Tous les orpailleurs du Roraima se sentent crucifiés par l’État ! » Diego Bueno, de l’Ibama, n’exclut pas un sursaut de violence. Sous le mandat de Jair Bolsonaro, « [ils ont] déjà subi des attaques coordonnées, impliquant destructions de véhicules et tentatives de sabotage, cela peut se répéter ».

Le 23 février, une manifestation d’orpailleurs était prévue, mais la mobilisation des forces de police devant les locaux de l’Ibama a étouffé ces velléités dans l’œuf.

Des résistances fortes

De fait, l’ambiance politique au Roraima ne favorise pas l’apaisement. « Notre État est le plus bolsonariste du pays. Le gouverneur défend l’orpaillage illégal et personne ne fait contrepoids au sein de l’assemblée locale, souligne Frances Rodrigues. Nombre de politiques sont liés à l’orpaillage, et en apprécient les ressources à l’heure des élections. En face, les autochtones n’ont pratiquement aucun allié local. » Réélu en 2022, Antonio Denarium a déclaré fin janvier que les Yanomami « ne peuvent plus rester au milieu de la forêt, ressemblant à des animaux ».

Lula doit donc s’attendre à une mobilisation politique pour limiter la portée de l’opération en cours, estime Frances Rodrigues. « Ils ont par exemple noyauté la commission sénatoriale chargée d’accompagner la crise yanomami. C’est comme mettre des renards pour surveiller un poulailler. »

Trois sénateurs sur les cinq nommés, dont le président, sont du Roraima et partisans de l’exploitation minière en terres autochtones. Sous pression de la société civile, le quorum de la commission a toutefois été amplifié en mars, pour rétablir un minimum d’équilibre.

« Il y a tellement de choses à reconstruire, à commencer par le système de santé autochtone », soupire Mauricio Yek’wana. L’influente famille de l’un des sénateurs de la commission y a notamment multiplié les nominations, « plaçant de nombreux proches, qu’il est difficile de remplacer tant qu’ils gardent ce soutien politique »
.
Après un mandat entier marqué par une politique de démantèlement incessante, toutes les institutions liées à l’environnement et aux autochtones doivent se restructurer pour retrouver leur efficacité à l’échelle nationale. Reste à savoir si l’État brésilien a les moyens de généraliser une telle mobilisation à d’autres territoires sous pression en Amazonie.

Diego Bueno reconnaît qu’il faut « un bon alignement des planètes. C’est très coûteux en termes de ressources humaines et financières ». L’État doit en parallèle absolument améliorer la traçabilité et changer la législation actuelle qui permet de « blanchir » l’or extrait de territoires autochtones en un tournemain. Depuis 2013, la loi n’exige qu’une déclaration de bonne foi sur la provenance de l’or du vendeur aux acheteurs autorisés.

Le 4 avril, un juge de la Cour suprême a suspendu cette loi et donné 90 jours au gouvernement fédéral pour instituer un nouveau cadre légal. Une disposition qui réjouit les autochtones et leurs alliés, et rejoint les efforts du gouvernement qui travaille depuis février à une nouvelle législation.

En plus de poursuivre ceux qui financent les mines illégales, un nouveau modèle de développement pour le Roraima doit impérativement être mis en avant.

« L’orpaillage a été encouragé depuis les années 1980, sous l’impulsion du régime militaire. Il faut maintenant une forte action de l’État pour diversifier une économie marquée par un manque criant d’alternative, sous peine de voir le passé se répéter », insiste Frances Rodrigues. Expulsés dans les années 1990, les orpailleurs ont en effet fini par revenir en masse et menacent toujours le territoire yanomami.

Jean-Mathieu Albertini

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