Édition du 17 décembre 2024

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Haiti

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Élections illégales sous occupation

Presse-toi à gauche publie une analyse rédigée quelques jours avant les élections dont le premier tour s’est déroulé dimanche le 28 novembre dernier. Rien dans les événements récents ne vient contredire le contenu de cette analyse.

Le 28 novembre prochain, alors qu’ils sont en pleine crise sanitaire et que plus d’un million d’entre eux vivent toujours sous des tentes dans des conditions inhumaines, les Haïtiens devront aller voter pour un nouveau président. Si le choix de tenir des élections dans ces conditions est discutable, l’exclusion illégale du parti le plus populaire du pays, Fanmi Lavalas (FL), est inacceptable et antidémocratique. Pourtant, dans les grands médias, ce n’est pas l’illégalité des élections qui a fait la une, mais plutôt les manifestations contre la force d’occupation de l’ONU, la Mission des Nations unies pour la stabilisation en Haïti (MINUSTAH).

« Ils n’ont pas l’intention d’avoir des élections libres, justes et démocratiques. Ils prévoient d’avoir une sélection. Ils ont exclu le parti Lavalas qui est le parti de la majorité. C’est comme si aux États-Unis on pourrait organiser une élection sans les démocrates [1]. » Jean-Bertrand Aristide, l’ancien président d’Haïti chassé par un coup d’État orchestré par les États-Unis, la France et le Canada en 2004, n’est pas tendre à l’endroit du Conseil électoral provisoire (CEP), chargé d’organiser les élections.

Le CEP, largement financé par des dons étrangers, a exclu le parti de Jean-Bertrand Aristide des élections de 2009 et de celles qui auront lieu dimanche prochain, sous des prétextes fort douteux .

D’abord, lors des élections d’avril et juin 2009, l’organisme a disqualifié FL parce que deux listes distinctes de candidats ont été présentées. Alors que la représentante nommée par Aristide, Maryse Narcisse, avait déjà soumis une liste de candidats, le CEP a autorisé Yves Cristallin à en soumettre une deuxième après la date limite.

FL a été disqualifié en raison de l’existence de ces deux listes. M. Cristallin s’est par la suite joint à l’équipe du président Préval, a été nommé ministre des Affaires sociales et est maintenant candidat présidentiel sous la bannière LAVNI.

FL a contesté en cour la décision du CEP. FL a gagné. Le CEP a ignoré la décision du tribunal et n’a pas permis à FL de participer aux élections.

« Le CEP a permis à quelqu’un qui n’avait aucune autorité pour représenter Fanmi Lavalas d’inscrire des candidats additionnels alors que la période d’inscription était terminée et a tenté de blâmer Lavalas pour ces candidats additionnels », explique Mme Narcisse dans une entrevue.

Pour les élections du 28 novembre, un scénario d’une absurdité comparable allait se reproduire. Pour valider l’enregistrement de FL aux prochaines élections, le CEP exigeait un mandat authentifié par le chef de Lavalas en exil en Afrique du Sud. Pour ce faire, il devait se rendre à un consulat haïtien.

Le premier hic de ce « catch-22 », c’est qu’il n’y a pas de consulat haïtien en Afrique du Sud. Deuxième hic : Aristide aurait pu se rendre à n’importe quel consulat haïtien ou même en Haïti pour enregistrer son parti, mais il n’a pas le passeport diplomatique garanti aux anciens présidents par la Constitution. Les autorités haïtiennes refusent, sans raison valable, de lui procurer les documents requis pour qu’il puisse voyager.

Mais qu’a-t-on à craindre de Jean-Bertrand Aristide ? En réalité, ceux qui disent le craindre « craignent les votes du peuple [...] la voix du peuple. C’est une société d’apartheid […], nous avons besoin d’une société fondée sur l’égalité. Mais une fois que vous parlez de cette façon, cela devient une bonne raison pour que vous soyez expulsé du pays ou... kidnappé [2] », affirme Aristide.

Fanmi Lavalas, le parti le plus populaire chez les défavorisés, donc chez la majorité des Haïtiens, a remporté TOUTES les élections auxquelles il a participé avec des majorités écrasantes. Si ce parti pouvait participer aux prochaines élections, il est fort probable qu’il les remporterait encore de la même façon.

« La minorité en Haïti - l’élite politique et économique- a peur d’élections libres et justes et leurs alliés étrangers ne veulent pas d’une élection en Haïti. C’est pourquoi ils ont exclu Fanmi Lavalas [3] », croit l’ancien président en exil.

Maryse Narcisse est du même avis : « Le gouvernement haïtien et ses alliés empêchent Fanmi Lavalas de participer au processus électoral et l’ont exclu illégalement. Le gouvernement haïtien, quelques secteurs puissants de la société haïtienne et une partie de la communauté internationale ont exclu le peuple, la majorité. L’exclusion de Fanmi Lavalas est politique et viole la loi haïtienne et le droit international en matière de droits de la personne. » 


Des élections inconstitutionnelles et illégales

Non seulement les prochaines élections sont-elles illégales, puisqu’elles ne respectent ni le droit international, ni le droit haïtien, elles sont également inconstitutionnelles.

Dans un récent rapport, l’organisme non gouvernemental (ONG) LAMP for Haiti qualifie les élections du 28 novembre d’« exemple de désorganisation, de corruption et d’avarice ». Le rapport conclut que ces élections sont « une "élection" de personnes qui continueront de prendre des décisions intéressées qui feront sombrer le pays davantage dans le chaos ».

« La Constitution haïtienne exige la formation d’un conseil électoral impartial garantissant des élections justes », peut-on lire dans le rapport. Or, les représentants du CEP ont été choisis par le président Préval, en violation de la Constitution. Dès lors, les décisions prises par le CEP, comme l’exclusion de Lavalas, sont « fondamentalement injustes […] et s’opposent au meilleur intérêt de la population ».

Les décisions incohérentes et biaisées du conseil s’expriment bien par l’exclusion illégale de deux partis s’étant qualifiés lors d’élections précédentes, [FL et UNION], et l’inclusion du parti du président Préval, INITE (UNITÉ). En effet, selon LAMP, le parti du président actuel contrevient à la Loi électorale en ayant deux plateformes électorales distinctes.

Par ailleurs, dans le séisme de janvier un grand nombre de personnes ont perdu leur carte électorale, un document nécessaire pour exercer son droit de vote. Dans un scénario rappelant Astérix et les douze travaux, on a mis en place des Centres d’opération et de vérification (COV) où les citoyens doivent se rendre pour se procurer un document attestant qu’ils ont perdu leur carte électorale. Une fois cette attestation en main, ils peuvent passer à l’un des bureaux de l’Office National d’Identification (ONI) qui leur remettra, enfin, leur précieuse carte électorale.

Cependant, « le gouvernement n’a pas informé la population adéquatement de l’existence des COV, minant ainsi leur efficacité », indique le rapport de LAMP. Plusieurs citoyens ont tenté à maintes reprises de se procurer une carte électorale sans succès. Devant les bureaux de l’ONI, les files sont interminables.

Mais les problèmes ne s’arrêtent pas là selon les auteurs de l’étude. L’ONI a accumulé depuis 2005 des milliers de cartes électorales qui n’étaient toujours pas distribuées lors de la publication du rapport, et la liste d’électeurs admissibles du gouvernement contenait toujours les noms de personnes décédées lors du séisme. Pour voter, un électeur doit uniquement présenter sa carte électorale, aucune pièce d’identité, ce qui facilite la fraude.

Aussi, un électeur déplacé qui était inscrit à son ancienne adresse et a déjà effectué un changement d’adresse auprès des autorités pourrait voter à deux endroits, en utilisant son ancienne et sa nouvelle adresse.

Le 16 novembre l’ONI avait encore 344 000 cartes électorales à distribuer et 25 % d’entre elles n’étaient pas disponibles. Autre défaillance du système, alors que la liste l’ONI fait état de 4 565 000 électeurs potentiels, celle du CEP en compte 71 039 de plus, des électeurs « fantômes » qui pourraient bien changer l’issue du vote [4].

Malgré toutes ces failles et l’urgence sanitaire, le gouvernement haïtien, l’ONU et l’Organisation des États Américains (OEA) appellent au maintien des élections. Henri-Paul Normandin, le nouvel ambassadeur du Canada en Haïti nommé la semaine dernière, assure que le processus électoral est « conforme aux normes internationales ». Pour sa part, le président Obama, qui a dénoncé l’illégalité des récentes élections au Myanmar en raison de « l’exclusion de partis politiques clés », ne voit pas de contradiction dans l’appui de son gouvernement aux élections tout autant illégales qui auront lieu en Haïti dimanche.

Pour les représentants des grandes puissances qui financent ces élections à coup de millions, cet exercice « démocratique » est important. Mais son importance n’a rien à voir avec la démocratie.

Selon un rapport de Refugees International, « il ressort clairement que les investisseurs internationaux utilisent leur contrôle sur les élections pour obtenir un gouvernement servile qui leur donnera toute la latitude pour exploiter les masse haïtiennes appauvries et frappées par le séisme [5] ».

Dans un article du Nouvelliste le 8 octobre, on apprenait que l’ambassadeur du Canada en Haïti à l’époque, Gilles Rivard, pressait « le gouvernement haïtien de mettre en place un cadre légal qui permettra aux investisseurs étrangers d’injecter des fonds tout en ayant à l’esprit qu’il y a "un système de justice qui peut les protéger s’il y a un problème sérieux" ».

Or, le système judiciaire est déjà affaibli selon Maryse Narcisse : « Le processus actuel n’a pour effet que d’affaiblir davantage les institutions haïtiennes […] Tous les soi-disant plans de reconstruction nationaux sont réalisés à l’étranger. »

Des sondages divergents sur fond de soulèvement populaire

Un sondage de BRIDES dont on ignore les commanditaires place en tête la candidate proche du pouvoir, Mirlande Manigat. Celle-ci a « l’appui du parti d’un ancien chef des escadrons de la mort, COREH de Youri Latortue et du parti Konbit pou refè Ayiti de Claire Lydie Parent, ancienne mairesse Pétion-Ville, la luxueuse banlieue de Port-au-Prince [6] ».

Pour Charles-Henri Baker, un riche industriel également candidat à la présidence il s’agit de « sondages bourgeois commandités par des amis de Préval ayant amassé une fortune pendant son mandat ».

Un autre sondage, celui de la National Association for the Advancement of Haitians (NOAH), favorise plutôt le candidat appuyé par Fanmi Lavalas, Jean-Henry Céant. Ce dernier aurait l’appui de la majorité des déplacés des villages de tentes de la capitale, de différentes factions religieuses et du mouvement paysan.

Pour la sondeuse Shawnta Walcott, il n’y aura pas de vainqueur décisif lors du premier tour. « En ce qui concerne les autres sondages effectués à Port-au-Prince et dont les résultats sont radicalement différents, je peux seulement assumer que [les sondeurs] n’ont pas parlé aux gens sur le terrain. »

Si l’issue du vote est incertaine, le taux de participation l’est aussi. En raison de son exclusion, Fanmi Lavalas invite au boycott. Certains citoyens, même s’ils n’ont aucune confiance en ces élections, participeront quand même dans l’espoir que leur voix soit entendue. D’autres invitent au boycott en dénonçant ce qu’ils appellent, à l’instar d’Aristide, des « sélections ».

Enfin, les manifestations des derniers jours contre la force d’occupation de l’ONU, vraisemblablement à l’origine du choléra, seraient selon certains fomentées par diverses factions politiques voulant exploiter la grogne populaire pour déstabiliser le pays. C’est ce que pensent le chef de la MINUSTAH, Edmond Mullet et la plupart des étrangers en Haïti.

Toutefois, pour la plupart des Haïtiens il s’agit plutôt d’un mouvement populaire, rapporte un journaliste indépendant sur le terrain : « Ils affirment que c’est un résultat inévitable, lorsque des troupes opèrent en Haïti vraisemblablement en toute impunité […] C’est un mouvement de colère populaire […] contre une occupation étrangère qui dure depuis [6] ans. »

Le président vénézuélien Hugo Chavez, se demande « [c]ombien de temps durera l’occupation militaire d’Haïti sous la protection de l’ONU ? Avec quelle autorité morale peut-on demander aux Haïtiens de cesser leurs protestations contre des troupes étrangères ? Haïti ne veut pas devenir Porto Rico, une colonie yankee, mais c’est de la moindre importance pour les Nations Unies ou l’Organisation des États Américains [7] ».

Le président renversé par des membres de l’ONU voit dans cette « mission de maintien de la paix » « une sorte d’occupation néocoloniale de 8900 soldats de l’ONU avec 4400 policiers dépensant plus ou moins 51 millions de dollars US par mois dans un pays où 70 % de la population vit avec moins d’un dollar par jour. En d’autres termes c’est un paradis pour les occupants [...] Ce qui se passe en Haïti est enraciné dans le colonialisme, le néocolonialisme, dans cette politique néolibérale appliquée et imposée à Haïti [8]. »

On ignore qui remporta les élections dimanche, mais une chose est sûre, ce ne sera pas le peuple haïtien.

Notes

1. Jean-Bertrand Arisitde, cité dans, Nicolas Rossier, « Aristide : « Sélection, mais pas d’élections ! », Haïti Liberté, Vol. 4, No. 17, 10-16 novembre 2010, p.4.
2. Ibid.
3. Ibid.
4. Kim Ives, « As calls for un withdrawal grow and cholera spreads : Upcoming elections sow intra-candidate violence and popular skepticism », Haïti Liberté, Vol. 4, No. 19, 24-30 novembre 2010.
5. John Marion, « Élections présidentielles à la pointe du fusil », Haïti Liberté, Vol.4, No.17, 10-16 novembre 2010, p.7
6. Ives, op. cit.
7. Ibid
8. Rossier, op. cit.


Julie Lévesque est journaliste au Centre de recherche sur la mondialisation.

Cet article est tiré du site web de mondialisation.ca

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