Ces mots ont traversé les années pour rejoindre le soir du 5 juin dernier et éclairer les résultats d’un des outils les plus puissants mis au point dans ce laboratoire, à savoir le droit de reprendre l’élection d’unE éluE fautif dans sa gouverne. L’outil était insuffisant ; Scott Walker, gouverneur (républicain) du Wiskonsin, objet de ce rappel n’a pas été battu. Au contraire !
Pour désappointant qu’il soit pour les adversaires de S. Walker, les syndiquéEs de l’État, leurs familles et les progressistes qui faisaient campagne contre ses politiques, ce résultat est riche d’enseignements non seulement pour les gens du Wiskonsin mais pour toute la nation. La leçon porte sur la meilleure façon de lutter contre l’argent des entreprises et du pouvoir conservateur amplifié par la récente décision « Citizens United [1] ». Sortie d’un autre âge, la conviction que le « pouvoir de l’argent » populiste et progressiste était la plus grande menace à la démocratie a disparu. Aujourd’hui on sait qu’il s’est organisé et qu’il ne peut pas être facilement renversé même par le plus déterminé des « pouvoirs du peuple ».
La victoire de Scott Walker a été acquise grâce à un flot d’argent qui a inondé sa campagne. Des milliardaires ont dépensé des dizaines de millions dans des fonds « indépendants » pour supporter sa campagne ; huit fois plus que ce qui a été dépensé par son adversaire démocrate. Ces derniers devraient s’inquiéter des voyants rouges que cela allume dans le paysage des prochaines élections de novembre. La droite a mis au point une bien meilleure méthode pour gérer l’intrusion de l’argent dans la politique qu’elle ne l’a jamais fait. Elle a réussi contre un gouverneur qui pratique la division dans la population et est affublé de scandales.
Si après un calcul expéditif, certainEs disent que l’argent bien organisé arrive toujours à défaire le peuple organisé, s’est en partie une erreur. Il ne faut pas oublier de mettre dans le tableau que ceux et celles qui voulaient se débarrasser de « l’empereur Walker » étaient aussi dans l’expérimentation. Il y a eu des erreurs de commises, notamment dans le message utilisé. En plus, le Comité national démocrate n’a jamais pris acte de la réelle implication de sa contre partie du parti républicain dirigé par son président, Reince Priebus et de groupes
indépendants de droite qui testaient et perfectionnaient leurs stratégies sur le terrain, en vue des élections de novembre. Il n’a pas joué son rôle dans cette élection. Il a pour ainsi dire laissé tomber son candidat et ses troupes dans l’action.
Malgré toutes les difficultés, le mouvement pour reprendre l’élection de ce « rock-star de droite » a réussi à le mettre dans l’eau chaude et à faire de sa défense une priorité nationale pour le parti républicain, le mouvement conservateur et le 1% des milliardaires du pays. Le opposanEs, dans ces conditions, n’ont perdu que par une faible marge.
Si on voit le jour des élections comme l’aboutissement d’une saison sportive et qu’on est dans le camp perdant, le résultat au Wiskonsin est déprimant. Mais pour ceux et celles qui sont conscientEs de la profondeur de l’enjeu en cause depuis la victoire des Républicains en 2010, cette campagne est instructive. Même chose dans les autres États, dont l’Ohio qui ont utilisé le référendum pour mettre un véto sur la fin des négociations collectives dans leurs juridictions.
L’assaut du gouverneur Walker sur les droits des syndiqués de l’État, en février 2011, a provoqué un mouvement de protestation populaire d’une ampleur est inégalée dans l’histoire moderne. Il a été le précurseur du mouvement « Occupy ». Il a tenu une occupation de trois semaines au Capitol, (siège du gouvernement de l’État), avec un slogan de portée universelle : « La faute à Wall Street, pas celle des travailleurs ! ». Il a inspiré les mouvements de lutte contre l’austérité. Le gouverneur, de son côté n’a jamais reculé sur sa tactique, « diviser pour régner » et a continué à s’attaquer non seulement aux syndiquéEs mais aussi aux services publics et à l’éducation publique. C’est dans ce contexte que s’est développée, au Wiskonsin, la conviction que la seule façon de s’en sortir était de se débarrasser de S.Walker avec la procédure de la « pétition pour régler des griefs » soit le rappel de l’élection qui est prévue en cas d’accumulation suffisante de signatures pour imposer une nouvelle élection.
Cette nouvelle élection au Wiskonsin n’était que la troisième à se tenir dans l’histoire du pays. Les deux premières avaient été initiées par la droite avec un appui important de la part des corporations. Au Wiskonsin c’était différent. C’est le mouvement ouvrier et ses alliéEs qui a déclenché l’opération et forcé cette élection. Il s’est appuyé sur des militantEs impliquéEs dans toutes sortes de causes, pour recueillir 900,000 signatures, soit près de 40% de l’électorat du dernier vote au gouvernorat. Elles ont été recueillies partout dans l’État, dans les banlieues, les villages et les villes.
Le gouverneur Walker a répondu en accumulant 30 millions de dollars. C’était plus qu’aucunE candidatE n’ait jamais ramassé dans aucune autre élection dans l’histoire du Wiskonsin à quelque poste que ce soit. Et l’essentiel de cet argent, 70% provenait de l’extérieur de l’État. Et ils ont été bien dépensés. Cette somme à servi à élaborer un message complètement fantaisiste qui prétendait que, qu’elle que soit la façon d’analyser la situation, les politiques économiques appliquées dans l’État, étaient efficaces, alors qu’on sait qu’elles ont produit les pires nombres de pertes d’emplois dans le pays.
Ces politiques économiques ne fonctionnent pas, mais les messages diffusés ont fonctionnés ! Ils ont réussi à le mener dans le haut des sondages alors que les Démocrates et leurs alliéEs se débattaient encore pour choisir unE candidatE à lui opposer [2]. Ces résultats de sondages ont hanté le Parti démocratique dans l’élaboration de ses propres stratégies. Elles sont devenues de plus en plus précautionneuses quant à l’implication du parti dans cette lutte. De l’autre côté, il n’y avait aucune précaution. Le président du parti républicain, natif du Wiskonsin, était toujours sur place tout comme ses principaux donateurs. Tout cela est important car une particularité de la loi électorale de l’État prévoit que la personne visée par un rappel a le droit de ramasser autant d’argent qu’il veut avant le début de la campagne électorale officielle. Au cours de cette période le gouverneur Walker a ramassé 500,000$. Et tous les milliardaires qui ne contribuaient pas directement s’impliquaient dans des dépenses dites « indépendantes » en son nom. C’est ce qu’à fait Joe Ricketts, celui qui a été arrêté pour avoir fait des plans pour attaquer le Président Obama et qui a défendu Walker et attaqué le candidat démocrate, Tom Barret, (maire de Milwaukee).
Il va y avoir d’innombrables discussions pour évaluer l’effet qu’aurait eu une implication du Président Obama et du Comité national démocrate. Cela aurait fait une différence quelconque ? Quoiqu’il en soit, cette possibilité ne vient pas à bout d’un tout nouveau facteur agissant : l’effet des dépenses illimitées que les RépublicainEs et leurs alliéEs ont engagées dans la campagne. Cela risque maintenant de servir de définition des pratiques de campagne à moins que les Démocrates et les progressistes n’arrivent à contrer cette dynamique au plus tôt. Ils auraient dû être sur le terrain au Wiskonsin non seulement pour battre le gouverneur mais pour comprendre le cours des politiques en cette époque dominée par « Citizens United ».
Il ne s’agit pas pour les Démocrates et les syndicats de savoir comment contrer l’argent républicain et corporatif. Ils ne le peuvent pas. Alors, faut-il comprendre qu’il n’y a plus rien à faire pour mettre en place des politiques progressistes dans ce pays ? Pas nécessairement.
Les résultats de cette élection nous enseignent que l’argent compte énormément, probablement plus que jamais. Il peut transformer un candidat peu crédible comme Scott Walker en un gagnant. Ce sont des vraies bonnes nouvelles pour Mitt Romney (opposant républicain de B. Obama). Mais il n’est pas dit que ce soit la fin de l’histoire.
Pour le représentant démocrate à la Chambre du Wiskonsin Fred Kessler, son parti n’a pas à avoir autant d’argent que les Républicains. Après 50 campagnes électorales il pense qu’il faut surtout qu’il apprenne à dépenser les fonds de façon plus judicieuse de façon à contrer les effets de la masse d’argent venant de l’autre côté.
Les Démocrates du Wiskonsin ont eu du mal à définir leur message. Ils ont essayé de faire la transition entre le radicalisme de la protestation au Capitole en 2011 et les préoccupations terre-à-terre de l’immédiat. Leur symbole du poing solidaire sur la carte de l’État n’était pas très efficace et ça n’a pas marché. Des mois de messages doucereux à propos d’enjeux importants comme le droit de vote et l’éducation ont fini par amoindrir ceux qui avaient été mis de l’avant par les protestataires et les partisanEs du vote de rappel. Finalement, après que T.Barrett ait été choisi comme candidat via une primaire, les sondages montraient que un tiers et plus des électeurs-trices issuEs des ménages liés aux syndicats avaient l’intention de votre pour S. Walker. Les syndicats du secteur privé ont pédalé au cours de la semaine précédant le cinq juin pour mobiliser leur base qui aurait dû l’être dès le départ.
Il y a aussi eu un problème majeur avec les messages à propos du vote de rappel en lui-même. Le message du gouverneur, répété inlassablement durant toute l’année et renforcé par des affichages et de nombreuses apparitions sur Fox Télé, son média favori, portait sur le fait que le vote de rappel n’était qu’un coup de colère partisan et coûteux.
Qu’est-ce que les Démocrates et les syndicats auraient pu faire différemment ? Ils auraient pu prendre une partie des sommes qu’ils ont dépensées pour des messages télévisés attaquant S. Walker et très tôt, en publier qui portent sur l’importance des négociations collectives et du vote de rappel. Les investigations pour des offenses criminelles qui auraient été perpétrées par les adjointEs du gouverneur étaient largement rendues publiques par l’ensemble des médias. Les Démocrates et leurs alliés ont l’habitude de mal fait le travail nécessaire pour structurer les débats ; c’est ce qu’ils ont fait au Wiskonsin.
Il est impératif que les progressistes tirent les leçons de ce qui c’est passé dans cet État. Les conservateurs vont le faire et nul doute que le rôle de l’argent dans la prise du pouvoir sera à l’ordre du jour. Mais les progressistes ne doivent pas conclure de cette expérience, que la théorie qui veut que les mouvements de masse ne peuvent pas battre l’argent et ses détenteurs-trices soit vraie.
Les syndicats et leurs alliéEs se sont impliqués dans la mobilisation des électeurs-trices et spécialement auprès des Afro-AméricainEs à Milwakee et à Racine. Et ça a fonctionné. La participation y a été élevée au point ou des préposéEs au suffrage ont dû être déplacéEs dans ces secteurs. Gwen Moore, membre démocrate du Congrès de l’État soutient qu’il ne faut pas dépenser tout l’argent sur les messages télévisés. Il faut en dépenser directement sur le terrain : « C’est la principale conclusion à tirer de cette expérience. S’impliquer sur le terrain et ainsi multiplier le nombre d’électeurs-trices dans les bureaux de vote. Même si ça ne peut pas toujours suffire, il faut se rendre compte que tout commence par là. C’est comme cela, à partir de la bas, qu’on pourra gagner la prochaine fois ».
Et la prochaine fois ne sera pas seulement au Wiskonsin mais dans tout le pays. La lutte pour sortir S.Walker de son poste était nécessaire et importante. C’est un véritable crêve-cœur de n’avoir pas réussi. Mais ça ne peut pas s’arrêter là.
Les Républicains vont continuer à mettre leurs plans d’austérité de l’avant partout. Les progressistes doivent mieux faire pour les battre dans les rues et dans les bureaux de vote. Robert La Folette qui a subi plus que sa part de défaites avant de commencer à gagner contre les chevaliers d’industrie de son temps disait justement : « Nous sommes lentEs à comprendre que la démocratie est un mode de vie qui implique des luttes continuelles. Ce n’est que grâce à ceux (et celles) qui résistent à tous les empiètements de leurs ennemiEs que l’on pourra arriver approximativement à l’idéal du gouvernement représentatif ».
Complément,
N.D.T. Dans une entrevue sur Democracy Now, J. Nichols élabore un peu plus sur les répercussions de cette victoire de la droite au Wiskonsin sur les élections à la présidence du novembre prochain. J’en reproduis ici la partie la plus intéressante.
John Nichols : (…) Je pense que cette élection au Wiskonsin était un terrain d’expérimentation pour la droite quant à l’usage qu’elle pouvait faire de la nouvelle liberté de dépenser sans limite. Les Républicains, et particulièrement ceux et celles qui s’attachent à cette question, comme Karl Rove, tous ceux et celles qui ont mis en place les Super Pacs [3]et les nouveaux groupes indépendants (supposément indépendants) qui vont aider les candidatEs républicainEs, sont entrés dans le jeu très, très tôt. Ils ont diffusé un message disant que l’idée même du rappel était une mauvaise idée (dès le début) et c’est devenu un mantra dans la campagne. Et il y a eu tant et tant de messages diffusés !
Il ne faut pas oublier que les frères Koch sont entrés dans la campagne très tôt également. Nous ne savons toujours pas combien d’argent ils ont introduit dans l’État et nous ne le saurons peut-être jamais car bien des dépenses sont plutôt cachées. Mais nous pouvons dire qu’ils ont donné plus d’un million de dollars à la Republican Governors Association, ce qui est vraiment beaucoup. Le groupe Americans for Prosperity, à lui seul a dépensé des millions ; il s’est considérablement impliqué et d’autres groupes qui lui sont liés l’ont accompagné. Certains estimés situent autour de 6 ou 7 millions les sommes dépensées au Wiskonsin. Ça pourrait même être plus. C’est très, très important et n’oublions pas que les frères Koch, particulièrement David, ont déclaré qu’ils feraient tout ce qui était nécessaire pour maintenir S. Walker à son poste parce qu’il applique le programme qu’ils défendent personnellement.
Ils ont appris dans cette bataille électorale que leurs stratégies et tactiques donnent les résultats qu’ils cherchent. Et ils sont autant engagés dans les élections de cet automne qu’ils l’ont été ici. Nous avons tendance à trop nous fixer sur la présidentielle. Il faut se rappeler qu’il y aura des batailles féroces pour des postes au Sénat américain. Et je pense que cette élection au Wiskonsin nous apprend beaucoup sur le pouvoir de l’argent dont, les détenteurs-trices sont présentEs dans le Parti républicain et dans les soit disant groupes indépendants. Ils vont probablement s’activer dans les courses les plus importantes pour les postes de sénateurs partout dans le pays et y avoir un profond impact. Et nous devons avoir un œil bien ouvert sur ce que ces pouvoirs de l’argent vont faire dans les quelques prochains mois.
N.D.T. Il y a eu d’autres élections de toutes sortes en même temps que celle du Wiskonsin, notamment au Montana où un Démocrate a décroché le poste de gouverneur. Voici l’opinon, sur Democracy Now, de J. Nochols sur cette élection :
J.N. La course qui m’intéresse le plus est celle du Montana. Steve Bullock, l’attorney général de l’État a été élu au poste de gouverneur. D’une certaine façon cela nous ramène à notre point de départ dans ce débat. S.Bullock est celui qui combat « Citizens United » devant la loi. Il a porté la cause devant la Cour Suprème avec l’allégué que les États devraient être capables de tenir l’argent des entreprises hors de leurs campagnes électorales. C’est actuellement devant les tribunaux. Mais son élection a été gagnée grâce à un programme un peu populiste, anti-Citizens United et anti « gros argent ». Nous allons garder un œil sur lui pour voir s’il ne s’agit que d’un de ces autres populiste de l’ouest qui ne fait que parler du pouvoir de l’argent. Mais je trouve cela encourageant parmi tous les résultats d’hier soir, (le 5 juin 2012).