Édition du 28 janvier 2025

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États-Unis

Transphobie de Trump : il ne s’agit pas d’ « outrances » mais d’un programme

Lors de l’America Fest, un évènement organisé par Turning Point USA, un groupe de pression d’extrême droite, Trump poursuit sa campagne raciste et s’en prend une nouvelle fois au « wokisme », souhaitant « arrêter le délire transgenre ». Cassandre Begous revient pour Contretemps sur les tenants et les aboutissants de ce discours, qui annonce une politique transphobe bien réelle et une régression massive des droits.

3 janvier 2025 | tiré de contretemps.eu
https://www.contretemps.eu/transphobie-genre-trump-ideologie/

La période qui s’étend entre l’élection présidentielle étasunienne (début novembre) et l’investiture officielle du candidat élu (le 20 janvier), est celle d’un rapport de force souvent peu compris en France. Techniquement, il s’agit d’une période dédiée à la certification des votes, au rassemblement du collège électoral (la présidentielle étasunienne étant un suffrage indirect), pour élire à proprement parler le futur président et en transmettre les résultats au Sénat le 25 décembre.

Outre cet aspect technique de l’élection, il s’agit avant tout d’une période intensément politique. Le candidat-élu en profite pour préparer son futur cabinet ministériel[1], dessiner les nominations de ses partisans à des postes clé[2], et réaffirmer (voire réécrire par rapport à sa campagne) les premières priorités de son futur gouvernement.

C’est dans ce contexte que Donald Trump a pris la parole lors de l’America Fest, le congrès annuel de Turning Point Action, une branche dédiée aux campagnes électorales du groupe de pression d’extrême-droite Turning Point USA. Le futur président étasunien a ainsi prononcé le discours de clôture des deux jours de conférences regroupant la fine fleur de la propagande trumpiste : les éditorialistes Ben Shapiro et Tucker Carlson, le stratège Steve Bannon[3], mais aussi l’ex-nageuse Riley Gaines.

Peu connue par chez nous, Gaines est pourtant devenue une star de l’extrême-droite étasunienne en 2022, lorsqu’elle a dénoncé la présence de Lia Thomas, une nageuse transgenre, dans une compétition où elles sont arrivées cinquièmes ex-aequo. Comme le font toutes les mauvaises perdantes de sports universitaires en ce moment, elle s’est alors trouvée une vocation politique en donnant corps à la panique morale anti-trans dans le monde du sport féminin, arguant que Lia Thomas aurait bénéficié d’un avantage démesuré et crachant son dégoût physique pour sa transition de genre. Si les discours anti-trans faisaient déjà rage dans les médias alternatifs depuis au moins 2019, l’explosion des articles et discours transphobes contre Lia Thomas a permis de cristalliser le thème des femmes trans comme sujet de société prioritaire dans les médias traditionnels.

La présence de Riley Gaines à l’événement de Turning Point Action est donc tout sauf anodine. Depuis le début des années 2020, l’extrême droite étasunienne fait des politiques anti-trans le fer de lance de ses campagnes politiques. Lors de la campagne présidentielle qui vient de s’achever, environ 215 millions de dollars, c’est-à-dire 134 dollars par personne trans vivant aux Etats-Unis, ont ainsi été dédiés à la production de clips de campagne anti-Kamala Harris dont le seul procédé pour la discréditer a consisté à l’associer à une ligne politique pro-trans. Une ironie qui en devient insultante lorsqu’on sait à quel point Harris a soigneusement évité la question pendant sa campagne, abandonnant les personnes trans aux seuls discours de haine des trumpistes. Pire, certains démocrates de l’aile droite ont même conclu de sa défaite que le parti démocrate devait abandonner définitivement la cause des personnes trans, cause perdue qui n’était plus qu’un boulet pour le parti[4].
Kamala is for they/them, president Trump is for you – Kamala est pour iel/elleux, président Trump est pour vous.

Le jeu de mot de ce clip repose sur le fait que le pronom neutre en anglais, “they them”, est également la troisième personne du pluriel. Dans la vision antagoniste des trumpistes, l’essence du “nous” est ainsi redéfinie par la transphobie. “Eux” parlent à des minorités associées au complot[5] et à la dégénérescence, défini en opposition à un “nous” qui est l’idée que les trumpistes se font du “peuple américain” ; les personnes trans sont donc exclues du tissu social, et leur éradication devient nécessaire à la régénération d’une amérique great again.

Toutefois, face à l’outrance et parfois au ridicule de ces campagnes anti-trans, on peut avoir tendance à les réduire à cela : une exagération de plus du clown Trump, une guerre culturelle symbolique cantonnée à la sphère du discours. Et il est vrai que l’outrance est la clé du discours trumpien :

“Vous imaginez, vous êtes parent et votre fils quitte la maison et vous dites “je t’aime tellement, passe une bonne journée à l’école”, et votre fils revient avec une opération brutale ? Est-ce que vous imaginez seulement ? Qu’est-ce qui tourne pas rond dans notre pays ?” [6]

Cette phrase virale prononcée à un meeting dans le Wisconsin – État pivot donc très important pour sa campagne – est devenue un meme tant la situation décrite est absurde et à l’opposé complet de la réalité pour les mineurs transgenres dont le parcours est semé d’embûches, de discriminations et de tentatives de dissuasion de la part du corps médical. Mais ses divagations sur l’économie ne sont ni plus rationnelles ni mieux articulées que ses outrances transphobes ; si la bataille culturelle est un véritable enjeu des républicains, c’est bien parce qu’elle ne se limite pas au champ du discours mais porte en elle un véritable projet politique que Trump prépare d’ici à son investiture.

C’est donc ce qu’il a répété ce 22 décembre aux convives de l’America Fest : “D’un coup de stylo dès le jour 1, nous stopperons le délire transgenre” (…) “et je vais signer des décrets pour mettre fin à la mutilation sexuelle des enfants[7], dégager les transgenres de notre armée et de nos écoles élémentaires et collèges et lycées”

Il s’agit là bien d’un programme politique visant à “éradiquer la transidentité” comme l’appelait de ses vœux l’éditorialiste Michael Knowles[8] à la conférence annuelle du parti républicain – également présent à l’America Fest. Car si le discours insiste sur les enfants, ce n’est clairement pas pour laisser les adultes faire leur vie librement. Au contraire, c’est un vieux classique des discours homophobes que de se cacher derrière la protection de l’enfance.

Mais plus qu’un simple prétexte, le discours sur l’enfance est porteur de toute l’idéologie à l’œuvre. Après tout, la campagne de prévention contre l’homosexualité de 1955 intitulée “Boys beware”[9] montre un jeune adolescent étasunien se faisant piéger par un adulte homosexuel présenté comme porteur d’une “maladie mentale” ; l’enfant est pur et naturellement promis à une vie hétérosexuelle jusqu’à ce qu’un adulte vienne le pervertir.

Pour les réactionnaires, les personnes LGBT adultes n’existe que parce qu’elles ont été perverties dans leur enfance : “protéger” les enfants c’est donc s’assurer que la transidentité et l’homosexualité ne se répande pas. Ce n’est pas un hasard si la théorie pseudo-scientifique la plus en vogue chez les transphobes prétend expliquer la transidentité par une “contagion sociale” influencée par internet[10].

En plus de parler de protection des enfants, Trump évoque également l’armée. Lorsqu’on s’intéresse à l’histoire des luttes LGBT aux Etats-Unis, les dynamiques d’intégration et d’exclusion dans l’armée constituent un indice fort de leur acceptation dans la société tout entière. Lorsque l’armée barre la route aux homosexuels en 1982, il s’agit d’un reflet des lois anti-sodomie en vigueur dans le pays, et une façon de systématiser des critères d’expulsion déjà en vigueur depuis le début du XXe siècle et renforcées par le zèle répressif maccarthyste et la “Lavender Scare”[11].

Exclure les personnes trans de l’armée, c’est donc les traiter comme si elles étaient d’ores et déjà illégales dans le reste de la société. L’armée constitue également une promotion sociale ; les programmes militaires permettent par exemple un meilleur accès aux bourses universitaires, ce qui constitue un important facteur d’enrôlement pour les jeunes étasuniens. Lorsqu’on sait à quel point une part importante de la population trans étasunienne (et mondiale) est touchée par la précarité, on comprend vite l’importance économique d’une telle exclusion.

Par ailleurs, la couverture santé des militaires en activité permet de couvrir la plupart des soins de transition de genre, ce qui constitue parfois la seule route d’accès à de tels soins dans un pays où les assurances santé sont si chères. Enfin, l’armée occupe une place centrale dans la culture étasunienne, de ses représentations cinématographiques à la mobilisation obligatoire de la figure du vétéran dans les discours politiques, elle conditionne et représente ce que signifie le patriotisme, et donc ce que signifie être étasunien. L’exclusion promise des personnes trans de l’armée revêt donc un caractère symbolique d’exclusion du corps national, autant qu’elle compte de conséquences matérielles pour les personnes.

Ces quelques phrases du discours de Trump sont pleines de symbole et portent en elles toute la violence de la panique morale transphobe sur laquelle les conservateurs ont construit leur campagne. Mais à trop s’attacher à la vertu stratégique des discours on peut être tenté d’en oublier les réalités concrètes. Depuis 2023, c’est un véritable déluge de propositions de lois anti-trans qui sont présentées aux assemblées des différents États du pays ainsi qu’au niveau fédéral.

Si une minorité seulement est adoptée chaque année, il n’en demeure pas moins que cela représente un total de 179 lois adoptées depuis 2021 pour exclure les personnes trans de l’accès à des toilettes ou des vestiaires correspondant à leur genre, interdire les transitions – y compris le simple changement de prénom – pour les mineur·es, bref, tout un arsenal juridique visant à circonscrire l’identité, contrôler les comportements “déviants” et provoquer la mort sociale des personnes. On en oublierait presque que les émeutes de Stonewall que l’on célèbre et commémore chaque année lors des Marches des Fiertés ont été provoquées en réactions aux lois municipales interdisant le “travestissement”.

Quand est-ce que la panique morale s’arrête et que la répression commence ? À présent que la campagne est terminée et que le camp réactionnaire l’a emporté, il faut observer ce qui se passe aux États-Unis non plus seulement comme la courroie de transmission des discours d’extrême droite, mais aussi comme un laboratoire supplémentaire de la lente suppression des droits civiques et humains des personnes. Transgenres ou non.

*
Illustration : Wikimedia Commons.

Notes

[1] Voir : https://www.nytimes.com/interactive/2024/us/politics/trump-administration-cabinet-appointees.html

[2] Parmi lesquels un partisan de QAnon à la tête du FBI : ​​https://information.tv5monde.com/international/qui-est-kash-patel-le-proche-de-trump-quil-nomme-la-tete-du-fbi-2750899

[3] Bannon qui s’est par ailleurs affairé à exporter les méthodes de l’“alt-right” chez nos fascistes à nous https://www.20minutes.fr/elections/2522423-20190521-elections-europeennes-liens-entre-steve-bannon-rassemblement-national

[4] NBC News, “Some Democrats blame party’s position on transgender rights in part for Harris’ loss”, https://www.nbcnews.com/nbc-out/out-politics-and-policy/democrats-blame-partys-position-transgender-rights-part-harris-loss-rcna179370

[5] Revue La Déferlante, “Complotisme et transphobie : l’alliance des haines”, https://revueladeferlante.fr/complotisme-et-transphobie-lalliance-des-haines/

[6] “Can you imagine you’re a parent and your son leaves the house and you say, ‘Jimmy, I love you so much, go have a good day in school,’ and your son comes back with a brutal operation ? Can you even imagine this ? What the hell is wrong with our country ?”

[7] Bien évidemment il ne s’agit pas là d’une phrase promettant la fin des mutilations sexuelles imposées aux enfants intersexes, ce qu’il désigne comme “mutilation” sont bien les opérations consenties et désirées par les personnes transgenres.

[8] Rolling Stone, “CPAC Speaker Calls for Eradication of ‘Transgenderism’ — and Somehow Claims He’s Not Calling for Elimination of Transgender People”, https://www.rollingstone.com/politics/politics-news/cpac-speaker-transgender-people-eradicated-1234690924/.

[9] PBS, This 1955 educational film warns of homosexuality, calling it « a sickness of the mind. » https://www.pbs.org/video/american-experience-boys-beware/

[10] Julia Serrano, “Everything You Need to Know About Rapid Onset Gender Dysphoria”, Medium, https://juliaserano.medium.com/everything-you-need-to-know-about-rapid-onset-gender-dysphoria-1940b8afdeba

[11] Morgan Godvin, “From Handcuffs to Rainbows : Queer in the Military”, JSTOR Daily https://daily.jstor.org/from-handcuffs-to-rainbows-queer-in-the-military/

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