Édition du 28 janvier 2025

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Entrevue

Salut nazi et conquête de Mars : « Un discours qui veut réveiller la puissance des États-Unis »

Lors de sa cérémonie d’investiture où Elon Musk a fait un salut nazi, Donald Trump a affirmé sa volonté d’aller sur Mars. Il ouvre ainsi la voie à un « astrofascisme », explique le chercheur Irénée Régnauld.

Irénée Régnauld, chercheur associé à l’université de technologie de Compiègne, est co-auteur d’Une histoire de la conquête spatiale. Des fusées nazies aux astrocapitalistes de New Space (La Fabrique, 2024). Il revient pour Reporterre sur l’ambition de conquête de la planète Mars évoquée par Donald Trump le 20 janvier, lors de son discours d’investiture comme 47ᵉ président des États-Unis, et sur ce qu’elle nous dit de l’évolution du capitalisme et de l’impérialisme étasuniens.

22 janvier 2025 | tiré de reporterre.net
https://reporterre.net/Salut-nazi-et-conquete-de-Mars-Un-discours-qui-veut-reveiller-la-puissance-des-Etats-Unis

Reporterre — Elon Musk s’est distingué par un double salut nazi lors de la cérémonie d’investiture, et soutient ouvertement l’extrême droite. Vous souligniez dans votre ouvrage la contribution fondamentale des nazis à l’épopée spatiale dans les années 1940. Y a-t-il une continuité ou un terreau commun qui explique ces passerelles entre l’extrême droite et l’astrocapitalisme ?

Irénée Régnauld — Les activités spatiales sont ancrées dans ce moment particulier de la Seconde Guerre mondiale où, sous le troisième Reich, elles ont été industrialisées. Avec de nombreuses figures dont la plus connue est Wernher von Braun, qui dans l’après-guerre, a joué un rôle central à la Nasa dans le programme Apollo après avoir été actif dans le nazisme, en Allemagne, pendant la guerre. Une dimension souvent occultée, et cette figure pionnière est souvent admirée dans le milieu. On peut lire dans la biographie de Musk de 2016 que SpaceX avait même baptisé une salle en hommage à von Braun.

Cela ne fait pas pour autant d’Elon Musk un fasciste, ni des activités astronautiques de simples échos du nazisme… La compatibilité d’Elon Musk avec ces schémas politiques peut toutefois se trouver ailleurs : sa gestion autoritaire de Tesla où il nie les droits syndicaux, la torture des animaux qu’il pratique avec Neuralink pour tester ses implants cérébraux, ses menaces sur la possibilité d’un coup d’État en Bolivie pour sécuriser l’approvisionnement en lithium… sans parler des expropriations de natifs américains à Boca Chica : les logiques coloniales et impérialistes sont indissociables de Musk.

On peut aussi parler aujourd’hui d’astrocapitalisme et même d’astrofascisme quand on voit le tournant sacrificiel que prend SpaceX. La Nasa a développé une culture de la sécurité, surtout après les accidents mortels de ses navettes spatiales. Mais Musk prépare depuis des années les esprits à l’idée qu’il y aura des morts lors de la conquête de Mars. Cette notion de don de soi, de sacrifice ultime au service d’une vision est l’un des codes du fascisme.

Dans son discours d’investiture, Donald Trump a mentionné l’objectif d’envoyer les États-Unis « planter la bannière étoilée sur la planète rouge ». La colonisation de Mars étant également l’obsession d’Elon Musk, qui a rejoint l’administration Trump, comment analysez-vous cette déclaration ?

Cela s’inscrit pleinement dans le ton d’un discours qui vise à réveiller la puissance symbolique des États-Unis à l’ère Maga [« Make America Great Again », le slogan des trumpistes], dans une dynamique impérialiste. Le fait qu’il parle de planter le drapeau étasunien sur Mars est symptomatique : à l’époque du programme Apollo, lors de la conquête de la Lune dans les années 1960, Kennedy était plus nuancé. Il envisagea même la possibilité d’amorcer un projet commun avec l’URSS, qui n’a pas abouti.

Si Apollo revêtait bien sûr une dimension nationaliste, la possibilité de planter le drapeau de l’ONU sur la Lune fut tout de même évoquée, même si c’est finalement le drapeau des États-Unis qui a été planté. La philosophie de cette séquence était, quoi qu’il en soit, différente, même si le pari était déjà fou.

Lors de son premier mandat, Donald Trump avait fait du retour d’astronautes sur la Lune un objectif majeur. Il se tourne aujourd’hui vers Mars. Y a-t-il une forme de cohérence dans ces grandes annonces spatiales ?

Les deux projets n’ont rien à voir, même si dans le programme Artemis [qui vise à poser à nouveau des astronautes sur la Lune en 2026], il y a cette idée que le retour sur la Lune peut servir de tremplin à une exploration martienne ultérieure. Mais le projet lunaire a un horizon daté, crédible, même si comme souvent en matière astronautique, le calendrier a glissé.

Pour Mars, on n’a aucune date, et, quoi qu’il en soit, ça ne se fera pas durant le mandat de Trump. Notons par ailleurs que c’est bien lui qui a relancé l’objectif lunaire après l’ère Obama, où il était encore question d’aller en orbite martienne au milieu de la décennie 2030.

Lire aussi  :Des nazis aux astrocapitalistes : l’histoire anti-écologique de la conquête spatiale

Aller sur Mars demande des fonds colossaux qui se comptent en centaines de milliards de dollars. Le retour sur la Lune, beaucoup moins complexe à réaliser, a déjà coûté une centaine de milliards de dollars depuis une quinzaine d’années, et fait face à des défis encore immenses.

Le lanceur Starship développé par SpaceX, l’entreprise d’Elon Musk, pour aller sur la Lune a pris du retard, sa version lunaire (HLS) n’est pas encore éprouvée. Le projet est très coûteux pour les États-Unis mais Elon Musk en a besoin économiquement. Même si c’est probablement lui qui a mis l’idée martienne dans la tête de Donald Trump, ça m’étonnerait que cela se fasse au détriment du projet lunaire à court terme : Artemis est encore nécessaire, ne serait-ce que pour valider les technologies de SpaceX.

Même s’il est peu crédible, qu’est-ce que l’objectif martien révèle de la vision du monde véhiculée aujourd’hui par les États-Unis ?

On est toujours dans le mythe galvaudé et faussement historique de la « destinée manifeste », selon laquelle les USA auraient pour mission divine l’expansion de la civilisation vers l’Ouest.

Trump évoque aussi de «  nouveaux horizons  », dans la lignée des idées dites frontiéristes, théorisées par l’historien étasunien Frederick Jackson Turner au XIXᵉ siècle, selon lesquelles les États-Unis ont besoin d’une « nouvelle frontière » pour ne pas décliner. C’est le récit de la conquête de l’Ouest transposé à la conquête spatiale. Notons que ce récit n’est pas l’apanage des Républicains aux États-Unis.

Ce terme de « destinée manifeste » que vous évoquez fait référence à l’idéologie calviniste et à la mission divine qu’aurait été la conquête de l’Ouest. Il faut « poursuivre notre “destinée manifeste” jusqu’aux étoiles » a déclaré Donald Trump. Quelle importance revêt cette dimension religieuse dans l’expansionnisme étasunien ?

Il y a en toile de fond cette idée d’étendre la civilisation, avec des motivations économiques mais aussi religieuses. Il faut prendre des terres prétendument vierges pour les peupler selon le message biblique. Elon Musk, qui a lui-même douze enfants, s’inscrit pleinement dans cet imaginaire.

De manière générale, l’histoire du spatial est pétrie de références religieuses. Les protocoles d’accès aux fusées sont très ritualisés, aux États-Unis comme en Europe ou en Russie, où les prêtres orthodoxes bénissent chacune des missions avant qu’elles ne décollent vers les cieux. La figure même de l’astronaute est, pour certains historiens du spatial, une figure quasi-religieuse.

Donald Trump répète également son désir d’annexer le Groenland. Les contextes et enjeux sont certes de nature différente mais peut-on voir une certaine continuité dans cette volonté d’expansion territoriale, du Groenland aux fantasmes martiens ?

C’est propre à l’impérialisme et au capitalisme étasunien, que l’on appelle, dans sa dimension spatiale, l’astrocapitalisme. Le capitalisme en crise a besoin de nouveaux marchés et de nouveaux débouchés pour écouler ses marchandises, puiser des ressources.

Il se tourne dans cette optique vers ce que l’économiste britannique David Harvey appelle la « solution spatiale » ou « spatial fix », en anglais, qui joue sur le double sens du terme fix signifiant à la fois la solution — pour les marchés — et la « dose » —dont a besoin une personne dépendante à une drogue.

Lire aussi  : Avec Trump, les pétroliers imposent leur loi

De la même manière que l’expansion sur les terres et les mers étaient vitales pour répondre au besoin de croissance du capitalisme, l’expansion spatiale l’est maintenant. Avec une différence fondamentale : l’exploitation des ressources y est extrêmement spéculative.

Des cabinets de conseil font rêver en promettant des ressources infiniesà exploiter dans des astéroïdes, pour une valeur estimée à des milliers de milliards de dollars. Ce fantasme de richesses infinies permet d’entretenir le paradigme actuel sans rien changer aux choix économiques. La réalité, c’est que pour ramener quelques grammes d’astéroïdes, la sonde japonaise Hayabusa2 a coûté des centaines de millions de dollars. Il n’y a aucun retour sur investissement.

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Vincent Lucchese

Vincent est journaliste d’Usbek & Rica depuis 2016. Il explore le futur de la planète, du climat, de la science, anime le podcast de vulgarisation des mystères du cosmos « 300 milliards d’étoiles » et s’attaque aux complotistes dans nos vidéos « arnaquologie ». Il a auparavant travaillé plusieurs années comme journaliste télé, notamment pour La Quotidienne sur France 5.

https://usbeketrica.com/profil-auteur/vincent-lucchese

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