En 2013, en Irlande, les médecins ont laissé Mme Savita Halappanavar mourir plutôt que de l’aider à se sortir de sa fausse couche. Il y a maintenant, dans ce pays, un vigoureux mouvement pour le retrait de l’amendement constitutionnel qui établit l’égalité de droits entre le fœtus et la femme.
Remontons un peu dans le temps ; la guerre civile a ravagé le Libéria pendant des années jusqu’à ce que les femmes se servent de leur résistance non violente pour obliger les belligérants à des pourparlers de paix. La guerre est terminée au Libéria où une femme a été élue à la présidence pour la première fois en Afrique. Il semble que les choses doivent arriver à des niveaux incroyablement dramatiques pour que les femmes utilisent leur pouvoir politique. Mais, quand elles le font, attention… !
Serions-nous au seuil d’un tel point tournant ici, aux États-Unis ? Jamais, un homme aussi spectaculairement inapte pour la fonction et aussi fièrement misogyne, n’est arrivé près de la Maison Blanche. Parce que Donald Trump est si bizarre et sans-gêne, nous avons tendance à nous concentrer sur ses frasques sans nous questionner sur la culture ambiante qu’elles révèlent. C’est absurde qu’il « tweete » ses divergences avec une reine de beauté à deux heures trente du matin. Mais de juger les femmes sur leur poids est un sport national. Ça prend surement un type spécial d’homme pour « démentir » des accusations d’agressions sexuelles dont au moins une a été rendue publique par une vidéo et en plus, en en tenant la femme responsable à cause de son apparence (« Regardez, regardez-la »). Rappelez-vous, chaque fois qu’un viol implique une célébrité, bien des gens ordinaires posent la question : pourquoi cet homme si riche, si bien élevé et si populaire irait-il violer la première venue ?
L’idée que Trump a lancée, de punir les femmes qui avortent, a peut-être été réfutée sans ménagement. Mais, attaquer les femmes à propos de leurs décisions sur leur vie reproductive ou leur sexualité est encore un passe-temps populaire. Trump répète ce que beaucoup pensent : leurs menstruations rendent les femmes inaptes à occuper des postes de haut niveau. Il y a même des ignorants qui sont allés jusqu’à dire que ce serait le cas de Mme Clinton alors qu’elle a 68 ans : « qu’arrivera-t-il lorsqu’elle aura ses menstrues » ? On prétend aussi que les viols dans l’armé viennent de ce que « les hommes et les femmes y sont ensemble ». (On répète également) que les femmes obèses sont dégoutantes. Hillary Clinton est aussi dégoutante selon Trump : « quand elle marche devant moi, croyez-moi, elle ne m’impressionne pas ». En plus il pense que sa place est en prison et il promet de l’y envoyer le jour où il sera président.
Quelle femme qui se respecte voudrait soutenir cela pendant une seule minute ? Et cet homme n’est pas seul. Ses partisans en pensent autant. Ils se promènent avec des slogans sexistes sur leurs « T-shirt » : « C’est une salope/votez pour Trump » « Déjouez la femelle ». Et ils scandent : « Regardez-la » ! Selon un récent sondage, 68% de l’électorat croient que les allégations d’abus sexuels contre Donald Trump sont vraies. Mais, 43% disent qu’ils voteront quand même pour lui. Cela signifie que 11%, mais probablement plus, vont voter pour un homme qu’ils croient être un agresseur sexuel. Parmi les évangéliques blancs, 44% disent que Trump a un « fort caractère moral ». Parmi les Républicains, 47% des hommes, pensent que D. Trump respecte « beaucoup » les femmes. Et c’est même le cas d’un incroyable 39% des femmes républicaines. Et 39% des hommes et des femmes pensent qu’il a un certain respect pour les femmes. Un certain respect…) Et une large partie des hommes blancs soutiennent Trump.
Alors, est-ce qu’il sonnera le réveil des femmes ? L’enjeu du genre dans cette élection, est sans précédents. Mme Clinton détient une avance de 20% parmi les femmes qui forment la majorité de l’électorat. Même les Républicaines désertent le candidat de leur parti et, pour la première fois, les femmes blanches mariées, refusent de voter comme leurs maris. Mais, malgré ces désistements face à la candidature de Trump, les électrices qui se tournent vers Mme Clinton ne font pas les manchettes. Nous savons énormément de choses à propos des électeurs-trices de D. Trump ; pratiquement chacun-e a été interviewé-e par l’armée de journalistes qui suivent leurs rassemblements ou encore sont caricaturés-es dans les émissions humoristiques de fin de soirée. Des flots de reportages, d’étude sociologiques et de science politique leur ont été consacrés. Les mémoires de J.D. Vance, qui a grandit dans une lointaine campagne vallonnée est au sommet des ventes. Strangers in Their Own land, l’enquête d’Arlie Russell Hochschild a été largement commentée. Elle porte sur la vision que des réactionnaires pauvres de la Louisiane ont du monde. Durant les primaires les partisans-es de B. Sanders étaient l’objet d’une véritable fascination. C’étaient de jeunes enthousiastes, agréables à voir et qui semblaient surgir de nulle part. Mais que savons-nous des partisans-es d’Hillary Clinton ? Rien n’est écrit à leur sujet. Ce serait un groupe de femmes qui ont passé l’âge de la faribole ? De bonnes vieilles mamans qui manifestent encore pour les droits des femmes comme elles le faisaient dans les années soixante-dix avec Bella Abzugi ? Plus, des millions de gens de couleur dans des États où ils ne feront pas la différence le jour du vote ? Personne ne publie d’études sociologiques compatissantes à propos de ces femmes d’âge moyen qui voteront pour H. Clinton. Elles se souviennent d’avoir connu la promotion d’homme bien moins compétents qu’elle ou encore de comment elles ont été choquées par leur expérience de divorce ou des policiers qui ont refusé de traiter leur plainte pour viol. Pourtant, alors que chaque jour semble apporter une autre histoire de dégoût envers Mme Clinton, personne n’écrit à propos de ces millions de jeunes femmes, comme ma fille et ses amies, qui brûlent d’enthousiasme à son égard et croient que son élection sera un triomphe majeur pour les femmes.
Les reproches exprimés par les partisans-es de D.Trump contre l’économie, la culture, le manque de respect à leur égard de la part de l’élite citadine, ont été un véritable électro choc pour la nation. Les reproches des femmes ? Pas tellement. Les partisanes d’Hillary ne reçoivent pas d’attention parce que nous pensons que nous les connaissons déjà. Mais si elles sont plus en colère que nous le croyons, si elles se fâchent vraiment à propos du viol, de la culture du viol, de la discrimination économique, du manque de droits à l’avortement et de tout le reste de ce déplorable panier d’injustices et de manque de respect, serons-nous plus prêts-es à y faire quelque chose ? Il y a une contradiction flagrante entre les vantardises de Trump et ses propos sexuels vulgaires et la vie réelle des femmes avec leurs luttes quotidiennes pour la justice et la dignité.
Le 8 novembre les « petites chattes » vont se faire entendre. Et pourquoi devraient-elles s’arrêter le 9 ?