Publié le 26 janvier 2021 | tiré d’Alternative socialiste | Photo : tout.tv - District 31, épisode 65.
Les scripteurs de cette émission nous ont habitués à leur traitement d’un grand nombre de sujets d’actualité, en particulier ceux ayant trait à la violence conjugale. Après cinq saisons d’action d’un corps policier souvent violent en gestes et en paroles, la légèreté soudaine avec laquelle la situation de violence conjugale du 18 janvier a été traitée est pour le moins déconcertante.
En résumé, un homme mutilé se présente au poste. Il annonce que pendant la nuit, sa femme lui a coupé le pouce avec un sécateur. Face à la gravité du crime dont il a été victime, les enquêteurs en arrière-scène ne peuvent s’empêcher de rire et de le railler sur fond de musique comique. Lorsque l’auteur du crime, la femme de la victime, se présente au poste, la responsable se décharge du dossier au profit d’un autre. Un autre enquêteur annonce donc à l’agresseure qu’elle sera arrêtée pour voies de fait graves et relâchée sous promesse de comparaître. Ces mots sont prononcés, l’air désabusé, avec comme trame de fond le fou rire du collègue. Ce dernier ne trouve rien d’autre à dire à la femme que de se tenir loin de son mari. Les auteurs de District 31 banalisent ainsi une situation de violence conjugale avec voies de fait graves.
Préjugés sexistes
Dans le contexte de la série, cette scène est choquante car l’attitude du corps policier n’est pas celle qui est habituellement mise de l’avant dans les situations similaires où des femmes sont victimes de viols, d’harcèlement ou de violence conjugale. Le changement complet d’attitude à l’égard de l’homme qui vient porter plainte est flagrant. Ce type de représentation, dans lequel une femme est d’emblée une victime à considérer et un homme d’emblée un agresseur méprisable, contribue à banaliser des violences qui nuisent pourtant bel et bien à l’égalité entre les genres.
Représenter des rapports sociaux sains et égalitaires n’est pas un « devoir » qui incomberait à Luc Dionne et Fabienne Larouche. Ils vendent leurs scénarios comme d’autres vendent des cigarettes. District 31 est une fiction réaliste qui n’a aucune fonction critique ou progressiste. Elle participe plutôt à reproduire des préjugés ainsi qu’une vision du monde où les travers de corruption, de violence, de meurtre, de parjure, etc. du corps policier sont inévitables et même nécessaires à l’ordre social.
Mépris des violences ordinaires
Or, quand la mutilation d’un individu modeste est présentée à l’écran comme quelque chose de risible lorsque l’auteure est sa femme, on tombe dans autre chose. Logique inversée de la célébration des élites répressives de l’État, les auteurs dénigrent un homme ordinaire impuissant.
En écrivant et en produisant une telle scène, Dionne et Larouche affichent leur mépris de la violence au sein des gens ordinaires. En se moquant de la sorte, Dionne et Larouche se déresponsabilisent d’un problème bien réel. D’autres séries qui traitent de ce sujet – pensons à M’entends-tu ? – proposent lors de l’écoute des messages et des liens vers des ressources d’aide pour victimes de violence conjugale. Bien que limités, ces efforts montrent tout de même une prise de conscience sociale des réalités représentées. Ils montrent que les créatrices prennent leurs responsabilités sociales au sérieux.
Une banalisation qui fait mal à tout le monde
Il n’y a pas de place pour banaliser la violence conjugale. Il n’y a pas de place pour se moquer des victimes, peu importe leur sexe, leur genre, leur orientation ou leur pratiques sexuelles. Ce sexisme nuit à tout le monde. Il brise nos liens de confiance. Il limite la solidarité de nos actions collectives. Il participe à désagréger nos conditions de vie lorsque, concrètement, la violence nous fait quitter ou perdre notre emploi, un logement ou une famille.
Toutes les victimes de violence conjugale et familiale ont besoin de services accessibles et gratuits pour s’en sortir. Ça passe par un développement des ressources pour femmes et hommes victimes de violences. De manière plus large, ça passe par un réinvestissement massif dans les services de santé, d’éducation, mais aussi par la lutte pour des salaires dignes ou des logements publics et abordables.
Il est inacceptable que l’émission la plus regardée au Québec sur la chaîne d’État banalise la violence conjugale. D’autant plus que la période de confinement a engendré une hausse mondiale des violences faites aux femmes.
Se réapproprier nos moyens de communication
Ce n’est ni par une réécriture des épisodes ni par leur boycott qu’on doit espérer un changement durable du discours des séries à succès. Il est vain d’espérer de la part des producteurs privés d’émissions populaires un contenu qui représente réellement nos vies, qui nous poussent à la solidarité ou qui dépeint avec respect nos luttes et nos aspirations. La profitabilité aura toujours le dernier mot.
S’il y a des comptes à rendre, c’est d’abord du côté de l’acheteur et du diffuseur : Radio-Canada. Les décennies d’austérité et de gestion capitaliste nous ont complètement retiré des mains le contrôle effectif du contenu diffusé.Une prise de contrôle démocratique du contenu, opérée par les personnes syndiqué⋅es qui travaillent dans les médias et celles qui consomment leur contenu, s’impose. Tout comme la mise sur pied d’un média de masse autonome géré par et pour la classe ouvrière.
Si le combat contre le sexisme créé par le capitalisme vous interpelle, considérez joindre Alternative Socialiste !
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