En effet, avec ces trois fous du roi, ou mieux dit encore, avec ces trois bouffons (Douchebag, Lacharrue,et Wannabe) qu’incarnent avec une formidable énergie, Paul Fruteau de Laclos, Valérie Boutin et Guillaume Pelletier, tout y est caricatural, grotesque et excessif, et si grossièrement obscène qu’on fini par n’avoir qu’envie de se réjouir.
Mais c’est là l’intéressant, sans pour autant oublier ce qui se cache derrière ces cascades de rire qui, comme le dit l’adage, pourraient bien nous donner le goût de finir... par pleurer. Car derrière cet art de la dérision poussée à son comble, on cherche en même temps à nous faire réfléchir sur un thème clef et dont pourtant ces dernières années on semble avoir oublié l’importance décisive : celui du travail aliéné dans la société capitaliste et néolibérale qui est la nôtre.
C’est en tous cas le fil d’Ariane de cette petite troupe qui ne manque pas de s’en prendre à tous les travers qui en découlent, au point de nous renvoyer à un festival de vérités qui ne peuvent que faire cruellement réfléchir : accumulation de marchandises et donc de déchets jetables sous le signe de l’obsolescence programmé ; lutte contre le temps et horaires scandés par la course généralisée au profit ; arrogance des patrons ou des p’tits chefs enrubannée de publicités sirupeuses d’une société de consommation omniprésente ; vie malmenée et dérisoire de salariés condamnés à l’insignifiance. Tout y est, pour y retrouver comme dans un miroir déformant, bien des traits de nos propres vies.
Et justement c’est ce qui sauve le tout : que ce soit sur le mode du rire jubilatoire et débridé. Comme si ici la cible choisie était décidément si grosse et devenue si tabou —ne serait-ce que parce qu’elle a fini par déterminer une grande partie de nos vies et qu’on ne sait plus trop comment aujourd’hui s’en défendre— qu’il fallait en passer par des bouffonneries extrêmes pour nous en montrer toute l’implacable réalité.
En ces temps de rectitude politique, où tout un chacun doit prendre ses précautions pour paraître aux yeux d’autrui vertueux et ne pas dire un mot de trop, le théâtre de bouffonneries pourrait bien être la manière par excellence de sortir de nos langues de bois et de nous ramener à l’essentiel. Après tout le fou du roi, n’ose-t-il pas dire ce que le roi lui-même (en l’occurrence notre société) ne peut pas dire ? Qu’on ose le dire : il faut aller voir Meet-inc !
Québec Le 3 décembre 2021
Pierre Mouterde, sociologue et essayiste
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