17 mars 2021 | tiré du site revolutionpermanente.fr
En s’appuyant sur plusieurs images et preuves disponibles publiquement, Mediapart a révélé l’existence d’au moins 50 membres de l’armée exprimant ouvertement leurs sympathies à l’égard du nazisme. Des photos de militaires faisant des saluts nazis ou posant avec des drapeaux du Troisième Reich ; des tatouages de croix gammées et autres symboles renvoyant au nazisme ou à des mouvances politiques affiliées à cette idéologie ; des vidéos et des commentaires… la liste des preuves fournies par Mediapart est longue. Le tout publié sur des comptes de personnes faisant partie de l’armée française.
Parmi ces publications nous trouvons des images issues directement des terrains d’intervention de ces soldats. L’un des cas les plus choquants est celui d’une vidéo tournée en Guyane par un soldat de la Légion Etrangère où l’on voit « quatre jeunes enfants noirs effectuant… un salut nazi. Les petits répètent à tue-tête « Sieg Heil ! » tout en tendant maladroitement le bras, un geste que, selon toute évidence, quelqu’un leur a demandé d’effectuer et dont les enfants ne comprennent pas la portée. La vidéo, nauséeuse, est agrémentée d’un ironique commentaire en russe : « Aryens »… ».
La plupart des membres de l’armée repérés par Mediapart appartiennent à la Légion Etrangère. Ce corps d’élite de l’armée française a été créé en 1831 en pleine guerre coloniale en Algérie pour éviter les pertes françaises, permettant le recrutement d’étrangers à la place. Depuis il a pris part à plusieurs conflits coloniaux et à l’étranger, comptant dans ses rangs souvent d’anciens criminels de tout type (même si aujourd’hui les crimes de sang sont un motif de refus d’un candidat), bénéficiant du « droit à l’oubli ». A la fin de la Seconde Guerre Mondiale, la Légion Etrangère a participé à la guerre coloniale d’Indochine, et plusieurs milliers de soldats étaient d’ailleurs d’anciens combattants allemands de l’armée nazie. Depuis les années 2000, les soldats venus d’Europe de l’Est et des Balkans sont devenus de plus en plus nombreux. Autrement dit, il s’agit d’un corps de l’armée particulièrement marqué par une idéologie colonialiste et impérialiste, très favorable à l’entretien, voire au développement des idées racistes et d’extrême-droite.
Mais selon l’enquête de Mediapart, les cas de militaires néonazis ne se limitent nullement à la Légion Etrangère. « Nos nouvelles révélations portent à 14 le nombre de régiments de l’armée française comptant de tels individus dans leurs rangs », peut-on lire dans l’article. En outre, il faudrait « noter que la plupart des cas identifiés ne sont pas isolés. Les uns sont en contact avec les autres. On les retrouve souvent réunis sur des photos de groupe ».
Suite à ces révélations le Ministère des Armées a déclaré que « les éléments soulevés par l’enquête de Médiapart sont très graves et ont fait l’objet d’une analyse minutieuse ». Cependant, dans le même temps il a tout de suite relativisé l’évènement, annonçant qu’une partie des personnes identifiées avaient quitté l’armée et que, pour une autre partie d’entre elles, les autorités n’avaient pas pu trouver des preuves montrant leurs liens avec des organisations d’extrême-droite. Ainsi, « au bilan et en l’état de nos investigations, Médiapart révèle l’existence de 6 à 7 cas qui n’étaient pas encore détectés sur nos radars ».
Face à ces arguments, les journalistes qui ont mené l’enquête répondent que s’il est vrai qu’une partie des personnes impliquées ne font plus partie de l’armée, cet éloignement est récent étant donné que beaucoup des images ne sont pas anciennes. En outre, les publications datent de l’époque où ces personnes étaient en fonction au sein de l’armée.
Le ministère se défend, déclarant surveiller de près la « radicalisation » parmi son personnel. Mais laquelle ? « En juin 2019, le rapport de la mission d’information sur les services publics face à la radicalisation des députés Éric Diard et Éric Poulliat estimait que « le personnel des forces armées […] paraît dans notre pays à l’abri, pour l’instant, de toute radicalisation notable ». Les rapporteurs s’appuyaient sur les chiffres que leur avait soumis la Direction du renseignement et de la sécurité de la défense (DRSD). Selon ce service de renseignement dit du premier cercle, la proportion de suspicion de radicalisation (« qu’elle soit islamique ou politique ») est évaluée à 0,05% dans l’armée de terre, à 0,03% dans la marine. Le site Opex360 relevait alors que cela représentait, à en croire les pourcentages donnés, 57 radicalisés au sein de l’armée de terre – « essentiellement des cas d’islam radical », avait précisé le rapport – et 11 dans la marine ». De toute évidence, parmi les autorités militaires quand on parle de « radicalisation », on pense essentiellement la « radicalisation islamiste ».
Quoi qu’il en soit, il est clair que les chiffres du ministère et même ceux de Mediapart sont en deçà de la réalité, comme les journalistes qui ont mené l’enquête le reconnaissent eux-mêmes. En effet, ils se sont limités à signaler les sympathisants du néonazisme ayant publié des contenus accessibles à tout le monde. Cela exclut les sympathisants d’autres idéologies d’extrême-droite et tous ceux qui ne publient pas ouvertement des contenus exprimant leurs opinions.
Le fait est qu’au sein de l’armée il y a une tolérance assez importante à ces idées réactionnaires car le racisme, le colonialisme et l’impérialisme font inévitablement partie de l’ADN de cette institution. L’armée est une institution centrale de l’impérialisme français ayant mené tout au long de son existence des guerres de conquête coloniale, d’occupation. De nos jours l’armée française est déterminante pour le contrôle de certaines régions du monde par l’impérialisme français, avec plus de 30 000 troupes à l’étranger. D’un point de vue idéologique, les troupes françaises agissant à l’étranger doivent être imbibées de nationalisme, de patriotisme chauvin et d’un grand sentiment de supériorité. Tout cela fait partie de l’arsenal idéologique de la bourgeoisie impérialiste française et est totalement compatible avec les idées véhiculées par l’extrême-droite.
Ainsi le racisme dans l’armée française n’est nullement un phénomène nouveau et dérivé du néonazisme, mais intrinsèque à une armée d’une puissance impérialiste. Le mérite de l’enquête de Mediapart c’est qu’elle révèle la « bienveillance » qui règne au sien de l’armée face à ces idées nauséabondes.
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