Édition du 17 décembre 2024

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Démocratiser la démocratie

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Il s’en est passé des choses depuis que des peuples se sont soulevés contre leurs maîtres au tournant du 18ième siècle. La grande révolution française notamment avait été un coup de tonnerre dans un monde dominé par des rois, des seigneurs et des évêques. La liberté (surtout), la fraternité (un peu) et l’égalité (très peu) sont sortis de ces révolutions bourgeoises où la notion de citoyen et de droit s’est imposée. Certes, il a fallu encore de longues décennies avant que ces droits ne soient concédés aux femmes, aux esclaves et aux peuples colonisés. Il y a plein de pays en effet où libertés élémentaires y compris celles de voter, sont récentes. Il y a encore des zones de non-droit absolutiste comme la Palestine occupée ou l’Arabie saoudite, et des pays où des régimes totalitaires (la Chine par exemple), imposent une chape de plomb. Mais on peut dire que la règle générale est la démocratie, au moins au niveau formel.

On peut alors de se demander : pourquoi cette démocratie est-elle critiquée d’un bout à l’autre du monde par toutes sortes de sociétés ? Comment se fait-il que les citoyens et les citoyennes se sentent désappropriés, alors qu’en principe, ils peuvent choisir leurs gouvernants ? Il faut en effet constater que la démocratie libérale est présentement en crise. Cela ne fonctionne pas trop.

Dès son avènement, il y avait un sérieux problème que Marx, notamment, avait vu. La démocratie dans son acceptation courante accordait des droits aux individus. Elle partait du point de vue que tous ces individus étaient égaux, et que, s’ils avaient les mêmes droits individuels, on pourrait arriver à une société plus juste. Bien sûr, Marx avait démoli ce mythe qui crevait aux yeux d’ailleurs, devant les masses de misérables dans les grandes usines, les paysans affamés, sans compter les esclaves et les semi-esclaves. Cette liberté chérie accordée aux individus ne pouvait pas régler le problème de l’inégalité de classe et sans celle-ci, il ne pouvait pas y avoir d’égalité. Les misérables pouvaient avoir le droit de vote, cela ne changeait pas qu’ils étaient exclus de la société et des décisions fondamentales que prenaient les gouvernants. La vraie démocratie, estimait Marx, devait être sociale, inclure, en parallèle aux droits individuels, des droits sociaux et collectifs pour faire en sorte que les damnés de la terre puissent se défaire de la dépendance économique séculaire. C’est de cela qu’est né le mouvement socialiste.

Deuxième obstacle, la démocratie était à l’origine « réservée » à certains peuples et interdite aux autres. Dans les colonies et les semi-colonies, c’est un même système de domination totale qui a perduré jusque tard dans le vingtième siècle. Cela permettait aux dominants de se constituer des richesses colossales, et cela aboutissait également à diviser les couches populaires, ceux des pays capitalistes « avancés » d’une part, et ceux des colonies d’autre part. Le prolétaire dans les usines de ces pays « avancés » pouvait se dire que sa condition était quand même meilleure que celles qui étaient imposées aux autres nations. De cette division a émergé une base matérielle qui a bien servi une démocratie limitée où la remise en question du système capitaliste était un impensable. Aujourd’hui dans le même système, on accepte que les Mexicains vivent dans la misère alors que de l’autre côté de la rue (qui peut être maintenant derrière un mur), les gens vivent autrement.

Troisième obstacle finalement, la domination culturelle imposée sous la démocratie libérale permet aux dominants de maintenir leur pouvoir par l’hégémonie. Avec de puissants appareils culturels et médiatiques, on inculque aux dominés l’idée que le capitalisme est « naturel », que les écarts entre les riches et les pauvres sont une sorte de fatalité et qu’en fin de compte, il ne sert à rien de révolter. On peut voter, mais il n’y a rien `faire pour changer cela. Si on veut le changer, on se met en dehors du monde.

Tout cela ensemble aboutit à la démocratie atrophiée que l’on connaît aujourd’hui. Les systèmes politiques sont tenus en mains de telle sorte que le 1% y exerce une influence déterminante. Pas besoin d’aller loin, car juste en regardant le nombre de millionnaires-ministres ou de ministres-millionnaires au Québec et au Canada, on ne peut être surpris que les écarts sociaux ne cessent de s’accroître. Cachés derrière les officines opaques du capitalisme globalisé, les gestionnaires de la politique mettent leurs fortunes et celles du 1 % en général à l’abri de la fiscalité. Ils arrachent morceau par morceau les acquis imposés par les luttes populaires depuis plusieurs décennies : protection sociale, accès à l’éducation et à la santé, salaire décent, etc.

Quant à la démocratie libérale parlementaire, elle est devenue un théâtre d’ombres où se jouent de fausses alternances entre droite, ultra-droite et centre-droit, quitte, de temps en temps, à laisser la place à des gouvernements progressistes, à condition qu’ils capitulent devant les exigences des financiers (comme en Grèce). S’ils ne le font pas, on peut toujours les renverser, comme on vient de le faire au Brésil.

Une fois dit cela, qu’est-ce qui reste de la démocratie ? Est-ce que cela vaut la peine pour les mouvements populaires de participer à cet espace limité ? Et quelle pourrait être une autre démocratie qui permettrait réellement un pouvoir citoyen ?

Ces questions et bien d’autres encore seront abordées par le sociologue portugais Boaventura Sousa Santos, qui sera avec nous au FSM dans quelques semaines. Boaventura anime un réseau d’universités populaires dans le monde, qui œuvre à dégager les nouveaux consensus ressortant des luttes populaires. Parmi ceux-ci, il y a l’idée d’une démocratie directe où les citoyens, au lieu de seulement élire des « représentants » participent à l’exercice du pouvoir. On a vu cela ces dernières années dans plusieurs villes brésiliennes (ce qu’on appelait le « budget participatif »). Il s’agit également de repenser des tas d’institutions, comme par exemple la justice, pour les rendre accessible, pour diminuer le contrôle des experts et compétents, et pour permettre une participation effective, pas seulement quelques brefs processus de consultation où demande l’avis des gens.

Dans les entreprises, cela aboutit à penser que les travailleurs et les travailleuses ne sont pas seulement des fais-ci-fais-cela, qu’ils ont un droit de regard sur leurs conditions qui permettent à cette entreprise d’exister. Si leurs droits ne sont pas respectés, la société est tout à fait légitime d’exproprier les expropriateurs. Sur d’autres questions fondamentales, l’alimentation, le logement, la santé, l’environnement naturel les citoyens doivent exercer leurs droits. Ce sont des biens communs et non des marchandises et c’est aux citoyens auto-organisés de prendre les décisions concernant la gestion et la distribution de ces biens.

Une démocratie démocratisée implique de réellement créer les conditions pour les éternels dominés puissent s’exprimer, dans leurs langages à eux, selon leurs valeurs et non celles des systèmes imposés, et en toute connaissance de cause. Bien sûr, les premiers concernés à ce niveau sont les peuples autochtones, au Canada comme ailleurs. Leur conquête qui a conduit à leur asservissement s’est faite en tentant de détruire leur identité, mais cela n’a pas tout à fait fonctionné. Aujourd’hui les peuples autochtones nous disent, « si vous voulez une vraie démocratie, il va falloir accepter que nous existons encore ». La démocratie à réinventer devra être plurinationale, comme cela est déjà le cas en Bolivie.

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