Commençons par la naissance de cette institution imaginée par XI Jinping en 2013 et qui fait parler d’elle, tout autour du monde. La cérémonie a eu lieu à Pékin, le 24 octobre 2014. Pas moins de 21 pays ont signé l’acte de naissance de la dernière-née des institutions multilatérales. Avec un capital à ce jour prévu de 100 milliards de dollars dont une grande partie devrait venir de la Chine, l’AIIB va concurrencer le leadership des États-Unis et du Japon. D’ores et déjà, Washington et Tokyo considèrent l’AIIB comme un rival potentiel.
Bien que son action et son aire régionale concernent dans un premier temps la région Asie-Pacifique, certains experts disent d’une part, que l’AIIB entre en compétition avec le Fonds monétaire International (FMI) et la Banque mondiale. Ces institutions basées à Washington sont sous influence américaine et issues des accords de Bretton Woods (1) en 1944. D’autre part, l’AIIB devient aussi une rivale de la Banque Asiatique de Développement (BAD), qui elle, est pilotée par le Japon, un des alliés traditionnel des États-Unis.
Mais d’autres experts disent que l’AIIB ne sera pas en rivalité directe avec la BAD, le FMI ou la Banque mondiale, et qu’il s’agit d’un nouvel effort de la Chine pour atteindre ses objectifs dans le développement mondial et mieux participer la gouvernance financière pour remodeler l’ordre mondial financier lui-même. Ces analystes indiquent que la BAII ne devrait pas être un théâtre de confrontations entre la Chine et les États-Unis, car les deux pays s’efforcent de construire un nouveau modèle de relations entre grandes puissances.
Dans cette partie d’échecs financière à l’échelle planétaire, cette initiative a tout de même irrité des pays développés dont les États-Unis et le Japon qui y voient une nouvelle stratégie de la Chine pour dominer le monde. Pékin marche sur leur pré-carré et va désormais influencer fortement le système financier international multilatéral au regard des pays émergents ou de ceux en difficulté. Ces analystes y voient une façon élégante pour des pays européens concernés de prendre leur distance vis-à-vis de l’influence américaine.
Les américains indiquent, que pour l’instant, les règles de l’AIIB ne garantissent pas que les projets financés respectent la bonne gouvernance, l’environnement ou les droits de l’homme… Mais avec l’appui de 48 pays dont la Chine, la Banque asiatique pour les infrastructures gagne des soutiens de poids. L’arrivée rapide dans l’AIIB des pays non régionaux va changer la donne. Ils rassurent les marchés comme les emprunteurs.
Dès 2015, ne souhaitant pas rater le train de la croissance asiatique et chinoise, bon nombre de pays européens rallient la Chine, au grand dam de Washington. Ainsi, à ce jour, 15 pays non régionaux et 13 nations européennes ont rejoint l’institution. La liste des candidats s’allonge avec Israël. Vu le succès de l’institution, il est probable que les Etats-Unis et le Japon acceptent cette architecture, en complément des institutions mondiales en place.
Suivant le Royaume-Uni, l’Allemagne… la France a décidé d’adhérer à la Banque asiatique d’investissement dans les infrastructures. Cette position courageuse et rationnelle révèle l’attractivité de l’AIIB. Cette décision n’est pas surprenante si l’on analyse les finalités de l’AIIB. Puissance de premier plan sur le continent asiatique, la Chine et ses partenaires vont donner un nouvel élan au développement. C’est un complément à la gouvernance mondiale, et une approche qui favorisera la coopération et la prospérité de l’Asie et du monde.
En devenant membre de la l’AIIB, européens et français accompagnent la région la plus dynamique dans le monde avec la croissance la plus rapide. En prenant part à une initiative économique et financière majeure dans la région, les européens et les français vont répondre aussi à la demande énorme dans le domaine des infrastructures, du fait que l’Asie est un terrain fertile pour les investissements. Les premiers objectifs de l’AIIB concernent les projets d’infrastructure des pays asiatiques. Ensuite, l’AIIB envisagerait de créer un fonds fiduciaire pour fournir des prêts aux programmes non garantis par des fonds souverains.
Liste au 29 Mars 2015 des 48 membres de la Banque asiatique d’investissement pour les infrastructures (Asian Infrastructure Investment Bank, ou AIIB) (2)
33 membres de la région Asie-Pacifique
Les pays comme la France y voient une double opportunité : accéder aux marchés asiatiques à forte croissance et entrer dans le marché financier chinois en pleine expansion. Dans une stratégie gagnant-gagnant, ce sont des gages et des arguments complémentaires pour l’AIIB, car en participant à cette institution, les européens pourront mieux garantir les normes sociales et environnementales et le respect de la transparence pour les projets d’infrastructures financés en Asie. Pour ne pas être isolés sur la scène internationale et surfer sur la vague chinoise, les États-Unis et le Japon n’excluent plus de rejoindre l’AIIB.
Cette banque sera en mesure d’introduire des modèles de partenariat public-privé, de mobiliser des fonds souverains, des fonds de pension dans le secteur privé pour investir dans les infrastructures dans les pays en développement. Cela signifie qu’avec l’appui de la Chine, les européens pourront investir dans ces projets, renforçant la coopération euro-asiatique. Au cours des 30 dernières années, la Chine a favorisé des collaborations multiples avec plus de partenaires pour se développer et partager des bénéfices mutuels.
Sur le plan international, les chinois font face à un défi dans la coordination et la coopération avec des donateurs et des partenaires financiers. Ce qui va changer, c’est le rapport de force et la marge de manœuvre de la Chine qui va se développer. Et bien que de nombreuses réalisations aient été faites par Pékin dans plusieurs pays en développement comme en Afrique, il y a aussi d’autres défis colossaux à relever dans le monde.
Incontestablement, l’AIIB va devenir un outil qui va permettre à Pékin d’aider des pays sans avoir à poser des conditions politiques et des économiques drastiques, tels que la libéralisation économique ou telle privatisation, comme ce fut le cas du FMI avec la Grèce. La Chine, activement, a fourni de l’aide à des pays en développement, en particulier en Afrique. Pékin a aussi su s’adapter à l’architecture de l’aide mondiale. Aujourd’hui, la Chine a acquis l’expérience pour jouer un rôle essentiel dans la coopération internationale.
Si l’institution est en Asie, ses ambitions sont planétaires pour offrir plus de possibilités aux économies en développement. Son émergence bouleverse les institutions multilatérales plus concurrentes, ce qui est favorable pour le monde. Avec cette institution qui arrive en complément de celles existantes, les économies émergentes vont pouvoir disposer d’un grand potentiel de coopération pour satisfaire leurs investissements. Le monde a besoin de l’AIIB, et cette dernière a également besoin du monde.
Notes :
(1) Bretton Woods : les accords de Bretton Woods sont des accords économiques ayant dessiné les grandes lignes du système financier international en 1944. Leur objectif principal fut de mettre en place une organisation monétaire mondiale et de favoriser la reconstruction et le développement économique des pays touchés par la guerre.
(2) Au 29 03 2015, liste des 48 membres de la Banque asiatique d’investissement pour les infrastructures (Asian Infrastructure Investment Bank, ou AIIB).