L'ingérable manif de soir du 1er mai 2015 from Mario Jean on Vimeo.
J’ai 51 ans, je suis une professionnelle de la santé et une enseignante, je forme de futurs inhalothérapeutes. Je suis aussi la mère de trois jeunes adultes à qui je prône souvent la modération tant dans les propos que dans leurs actions. Croyez-moi quand je vous dis que je suis une citoyenne très modérée. J’habite un quartier paisible. Je suis très impliquée dans mon travail auprès de mes élèves, comme je le suis auprès de mes patients. Mon métier me passionne et, sans aucun avantage financier, je me suis spécialisée au cours de ma carrière pour en donner encore plus. Habituellement, mon action politique se borne à aller voter.
Mais cette année, les coupures annoncées dans le réseau de l’éducation et leurs conséquences sur les services aux élèves, le gel de mon salaire, les menaces à mon fonds de retraite faisaient en sorte que cette marche était importante pour moi. Comme travailleuse du secteur public, mais aussi en tant que citoyenne qui regarde l’avenir professionnel des jeunes qui est menacé par toutes les coupures annoncées. En ma compagnie, j’avais une amie, ma fille et quelques-uns de ses amis.
Nous voilà donc au Square Phillips où, après quelques petits discours, la marche est lancée. Le front de la ligne commence à avancer, il n’a fait que quelques pieds que déjà nous étions aspergés. Les médias rapportent des affrontements ??? C’est une marche où les gens sont d’un grand calme, ils veulent avancer tout simplement. Nous sommes le 1er mai et nous voulons exprimer notre désaccord avec le gouvernement actuel. Nous sommes contre les mesures draconiennes qu’il nous impose. Et je croyais sincèrement que nous avions le droit de l’exprimer.
Donc, ne pouvant manifestement pas prendre l’itinéraire prévu, nous avons pris le chemin inverse. La marche se poursuivait dans un grand calme avec quelques slogans bien sentis, enfin nous pouvions exprimer notre voix contre l’austérité. Il y avait là des dizaines de policiers avec autos, bicyclettes et chevaux pour diriger la marche vers un itinéraire imposé. Nous avions à peine fait un tour de quadrilatère que des bombes lacrymogènes sont arrivées sur nous. J’ai été saisie, aucun comportement violent de notre part et la police nous attaquait de façon brutale. Pendant que je cherchais quelque chose pour me cacher la bouche et le nez, j’ai vu environ une douzaine de policiers, avec des boucliers, avancer de façon menaçante vers le groupe situé en avant. J’avais perdu de vue ma fille et ses amis. À peine quelques minutes de marche et déjà on nous divisait, la police nous contrôlait… Mais pourquoi ? Et oh ! Nous sommes le 1er mai, fêtes des travailleurs, nous sommes dans une société démocratique et la marche dans les rues est une manière de nous EXPRIMER.
Des centaines de policiers nous entouraient, ils poursuivaient sans relâche de petits groupes de marcheurs, puisqu’ils nous avaient scindés en plusieurs groupes à coup de bombes lacrymogènes, de poivre de Cayenne et de boucliers d’armures. Il y avait dans ces groupes des femmes, hommes et enfants de tous âges complètement anéantis devant tant de violence, On avait l’impression que les policiers avaient pris une sorte de potion à l’Astérix et voulaient détruire, diviser, oppresser toutes les personnes qui se trouvaient là, incluant les vieux et les enfants, de les empêcher d’exprimer leurs droits.
Parmi ces petites grappes, je retrouve enfin ma fille et ses amis, je saute de joie, j’étais tellement inquiète. Je ne sais plus exactement l’heure qu’il est mais je suis sur le coin de la rue, bouleversée mais aussi soulagée d’avoir retrouvé ma fille. Elle et ses amis sont dans la rue, avec d’autres manifestants quand, tout à coup, des dizaines de policiers arrivent de tous côtés et poussent les manifestants qui sont dans la rue vers le sud, sur le boulevard Robert-Bourassa. Je n’ai plus de contact visuel avec ma fille. Je vois des manifestants courir. Certains sont pris en souricière par des chevaux, des autobus de la police et des policiers à pied. Je panique, j’ai peur, je cherche ma fille. Je n’ose pas me diriger vers le sud, il y a tellement de policiers, c’est plus que saisissant. Le sentiment qui m’habite à ce moment là est indéfinissable. Est-ce cela qu’est devenu le Québec ? Où en sommes-nous rendus ? Qu’est-ce qu’ils font à ma fille, au reste du groupe qui est pris en souricière ? Quels apprentissages les jeunes présents vont-ils en retirer ? LA VIOLENCE ENGENDRE LA VIOLENCE. NOUS NE SOMMES PAS UN PEUPLE VIOLENT ! Pourquoi alors autant d’agressivité à notre égard en ce 1er mai ?
Où est ma fille ? Je dois trouver un moyen de la retrouver, m’assurer qu’elle va bien. Moi qui ai appris à travers ma profession à demeurer d’un calme olympien, je panique. Ma fille ne répond pas à son cellulaire. La boule dans mon ventre est de plus en plus grosse… Ma copine est toujours avec moi, nous décidons de contourner le quadrilatère pour arriver par le bas. C’est là que je découvre ma fille, seule, debout sur le coin de René-Lévesque et Robert-Bourassa, livide, apeurée. Ses amis et d’autres personnes, une vingtaine selon moi, sont plus loin sur l’estrade de la place Ville-Marie, entourée d’une trentaine de policiers. Ma fille et moi sommes vraiment heureuses de nous retrouver. Elle me raconte qu’elle a été aspergée de poivre de Cayenne puis poussée sur une voiture, qu’un policier lui a donné un gros coup de bâton dans l’abdomen et qu’elle c’est mise à vomir. Le policier a reculé et elle a saisi l’occasion pour prendre la poudre d’escampette, avec l’adrénaline de la peur plein les jambes. C’est ce qui l’a sauvée.
Je suis restée avec elle jusqu’à 22h environ. J’ai surveillé de près le groupe assis par terre entouré d’un nombre incalculable de policiers avec bâtons. Les gens assis par terre étaient-ils si dangereux ? Représentaient-ils vraiment une menace pour qu’on brime ainsi leurs droits ? Tranquillement, les policiers ont dirigé les gens, une personne à la fois, vers un autobus pour leur donner un « P-06 », pour avoir osé manifester à Montréal ! La première personne qui s’est dirigée vers l’autobus était une fille, toute menue, totalement hébétée, l’air de quelqu’un qui est en choc post-traumatique. Ça faisait pitié, mon cœur s’est serré. À l’hôpital, une patiente qui aurait présenté une telle détresse aurait été entourée de soins attentifs, de tendresse même. Là, on la traitait comme une criminelle.
J’ai appris le lendemain que certains, dont un des amis de ma fille, avaient reçu un billet pour avoir commis un acte criminel. On a barré le P-06 pour inscrire « acte criminel » sur leur contravention. Ils doivent revenir en cour municipale le 22 mai. Qu’ont-ils fait de plus que les autres, puisqu’aucune cassure n’a été faite dans cet endroit ? Comment les ont-ils choisis ? Où est l’équité ? Pour leurs statiques de la soirée, ça leur prenait un certain nombre d’infractions criminelles pour justifier les coûts de cette soirée ?
En me réveillant samedi matin, j’étais prise d’une espèce de mal de vivre, la boule au ventre et la gorge serrée.
Je croyais vivre dans une province où la démocratie veut dire quelque chose. En fait, je n’en suis plus si certaine. Tout d’un coup, ce que des étudiants racontaient du printemps érable prenait un sens nouveau. Tout d’un coup, leurs histoires ne m’apparaissaient plus si peu crédibles. Ce que j’ai vu, c’est de la RÉPRESSION pure et simple. Comme celle qu’on voit dans d’autres pays dans des régimes totalitaires. Pas chez-nous ! Pas au Québec !
PS : J’ai écouté et lu certains reportages des médias sur la soirée du 1er mai, on croirait que les journalistes n’y étaient pas ! Du coup, même les médias deviennent douteux…