Il vaut la peine en effet d’être attentifs à ce qui se passe dans les CHSLD du Québec et à ces cris ou appels au secours lancés sur les médias sociaux par des préposés aux bénéficiaires ou par des infirmières à bout de souffle, épuisées ne sachant plus à qui s’adresser, non seulement pour être écoutées, mais pour que les choses changent, autant pour elles que pour les ainé-e-s au chevet desquels elles se trouvent tout à la fois si attentionnées et désespérées.
Il vaut la peine d’y être attentifs, mais pas seulement pour communier à leur peine, faire dans le passionnel, ou s’indigner, se scandaliser les larmes dans les yeux de ces ainé-e-s qu’on abandonne seuls à la mort, salis dans leur urine ou leurs excréments. Certes la compassion est une qualité indéniable et en ces temps maudits de coronavirus, il n’y a rien de négligeable à en faire circuler l’image dans les médias sociaux. Il y a rien non plus de négligeable à qu’on nous fasse connaître sans censure ni fard, la réalité telle qu’elle est si cruellement vécue. Mais quelque part c’est de beaucoup plus dont nous avons besoin aujourd’hui. Devant tant de difficultés, et il faut bien le dire, de ratés, d’erreurs de toutes sortes, de scandales commis ou tolérés depuis longtemps par les institutions en place, fruits de décisions politiques passées lourdes de conséquences, ce dont nous avons besoin c’est de voix à la fois dissidentes et alternatives, de voix politiques qui à l’encontre des pouvoirs constitués, nous montrent le cap, nous indiquent d’autres chemins possibles, en séparant le bon grain de l’ivraie ; en en faisant pour nous une boussole, certes pour l’après-pandémie, mais surtout pour l’ici et maintenant de cette période de crise.
Le bon grain et l’ivraie
Le bon grain : c’est cette formidable solidarité sociale qui, au Québec, s’est exprimée depuis le bas, depuis les organisations communautaires, populaires et syndicales de base : ces bénévoles, ces bonnes volontés partout présentes, ces initiatives collectives en tout genre, et souvent dans les milieux de l’immigration récente, pour faire face à la pandémie, aider ceux qui en avaient besoin, protéger les droits de celles et ceux qui se trouvaient en butte à l’arbitraire patronal, pour faire –sur le terrain— ce qu’il y a avait à faire, là où on pouvait faire, même lorsqu’on était totalement livré à soi-même.
L’ivraie, ce sont tous ces vieux réflexes patronaux hérités du passé, ces droits de gérance hautains et inflexibles, ces rapports de travail hiérarchisé et autoritaire à l’excès, ces torpeurs ou lourdeurs bureaucratiques (et parfois syndicales !), ces obsessionnels appâts du gain, en somme tout ce qui a fleuri sur les 30 années de politiques néolibérales et de reculs concomitants démocratiques et populaires, installant toutes les conditions pour que notre société n’ait pratiquement aucune marge de manœuvre pour lutter avec efficacité contre la pandémie de la covid 19.
Pensez-y : d’abord un système de santé publique déstabilisé par des coupures répétées, centralisé à l’excès, appauvri par des visées de privatisation rampante et un corps de médecins spécialistes démesurément enrichis ; et puis une économie marquée par la délocalisation industrielle et la dépendance, incapable d’auto-suffisance médicale et alimentaire, livrée pieds et poings liés aux diktats des grands conglomérats pharmaceutiques ; enfin une opposition sociale et politique démocratique fragmentée, peinant à liguer les forces nécessaires pour faire entendre –dans la cacophonie médiatique dominante— des solutions alternatives.
Indiquer le cap
En cette période si confuse, indiquer le cap, le rappeler à ses partisans, au cercle de ses supporters, tenter de rassembler plus largement encore autour de soi, c’est précisément rappeler cette distinction entre l’ivraie et le bon grain. C’est la travailler de l’intérieur, l’exacerber, la faire connaître largement, de manière à renforcer -hinc and nunc— ces efforts et aspirations collectives qui sourdent du terrain lui-même pour lutter contre la pandémie, tout en critiquant vertement en même temps ce qui –depuis le pouvoir en place— nous empêche effectivement d’y faire face.
On ne devrait donc pas avoir peur de dénoncer haut et fort les scandales existants, mais pas sur le mode du gérant d’estrade donneur de leçon, en le faisant à partir de ce qui se dit déjà et des solutions qui se discutent sur le terrain lui-même, individuellement comme collectivement. Pourquoi par exemple n’autoriserait-on pas, comme le conseillait la médecin spécialiste du Ebola Joanne Liu, et à l’encontre de toutes les inerties bureaucratiques du monde, la présence d’aidants naturels dans les CHSLD, en pensant bien sûr à leur donner la formation d’appoint nécessaire ? Et pourquoi ne rappellerait-on pas que sans tests généralisés, matériels de protection et masques en abondance, il n’y aura pas de protection véritable de la population, que c’est là où le gouvernement devrait d’abord rendre des comptes : quels moyens a-t-il pris pour y parvenir, alors qu’il appelle déjà au déconfinement ?
Certes, ayant revêtu pour l’occasion les habits du biopouvoir, protecteur de la vie, le premier ministre de la CAQ François Legault ressemble à un roi intouchable. Ce qui se passe dans les CHSLD, ou encore sur les premières lignes dans les hôpitaux nous montre néanmoins qu’il n’est qu’un roi nu et bien nu.
N’est-ce pas ce que devrait n’avoir de cesse de nous montrer ces voix politiques et dissidentes dont nous avons tant besoin aujourd’hui ?
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