Édition du 17 décembre 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Féminisme

De #MoiAussi à #NousToutes

MoiAussi j’ai été agressée sexuellement, insultée, méprisée, ignorée, interdite d’accès, traitée comme une petite-chose-bien-amusante, renvoyée à la seconde zone.

MoiAussi j’ai dû reculer, revenir, me taire, avancer, oser, avoir honte, hésiter, protester. Avoir des conversations douloureuses – et même des affrontements physiques - avec des personnes (parfois aimées) insensibles aux refus, aux demandes, aux douleurs exprimées, aux affirmations nécessaires. 
MoiAussi j’ai parlé avec des amies, confié mes difficultés et mes combats, rejoint des groupes qui luttent contre les violences faites aux femmes : nous nous sommes écoutées, validées, inspirées, renforcées. Nous avons persisté malgré les incrédulités, insisté quand on nous écartait, raffermi nos arguments contre les adversaires.

MoiAussi, AvecElles, j’ai eu à faire face à un système de justice décalé, ignorant des injustices infligées à une moitié de l’humanité, insuffisant dans son code, incompréhensif quant aux circonstances, conditionné par les privilèges de l’autre moitié (celle qui se prend pour le tout) qui, depuis des millénaires, foule allègrement les corps féminins comme des territoires colonisés.

Et voilà qu’une clameur s’élève. Voilà que des silencieuses prennent la parole, voilà que nos paroles débordent des cercles de femmes pour se porter sur la place publique. Et c’est un déferlement de voix, une irrésistible marée de paroles nécessaires. 

Des têtes tombent. Des symboles de puissance, des cautions de l’oppression sont réduites à de la poussière, à quelques agitations médiatiques qui ne font plus le poids devant la prise de conscience de l’étendue des torts infligés à l’ensemble des femmes.
NousToutes
sommes entendues comme réalité collective, et je nous appelle à inclure dans ce Nous toutes celles qui ne peuvent clamer le MoiAussi et que nous risquons d’oublier : les femmes autochtones disparues et assassinées, les femmes noires réduites à leur image fétichisée, les aides domestiques abusées dans le silence des maisons, les femmes aînées isolées, les femmes indiennes qui se lèvent contre les viols, les femmes africaines et asiatiques excisées, les femmes broyées par actes de guerre, d’autres encore…

NousToutes sommes devenues une force qui oblige à un changement. Depuis Tarana Burke et son groupe de survivantes d’agression, à nous de montrer comment toutes les dominations sont liées : sexisme, racisme, capitalisme, appropriation d’autrui par les puissants, exploitation des gens et de la terre. Nous avons besoin de détricoter et retisser une écologie humaine devenue invivable.

Quand la marée refluera – toutes les marées reculent avant de remonter – souvenons-nous de cette puissance collective. Puisons courage et énergie dans cette expérience historique où la parole conjuguée des femmes a sérieusement ébréché des privilèges tenus pour acquis, renversé des idoles et surtout, surtout, a permis de faire changer de camp la faute et la honte.

Élisabeth Germain
7 février 2018

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