Manifestation contre la loi 21, 2020-11-21
Élisabeth Germain
Ce qui est en jeu, au fond, c’est notre projet de société. Et quand je dis « nous », je parle de nous toutes et tous qui habitons ce bout de planète que nous appelons Québec. De nous toutes et tous qui avons notre mot à dire sur ce que deviendra notre vie commune sur ce territoire, peu importe depuis combien de temps nous l’habitons. Toutes et tous, nous avons à recevoir son histoire. Mais surtout, nous avons à dessiner son présent et son avenir.
Nous n’avons pas de consensus et c’est normal. Il y aura toujours des désaccords. On a des perceptions différentes, des points d’ancrage différents, des priorités différentes.
Pendant un siècle, le Québec a été sous la férule de l’église catholique. Puis, nous avons fait éclater les cadres. Dans les années 1960-70, le monde était en ébullition, pas juste le Québec. Tout le monde découvrait tout le monde, au-delà des frontières géographiques, politiques et culturelles. Des verrous ont sauté, partout : laïcisation, décolonisation, pensée orientale pénétrant en Occident, premiers pas sur la lune, État providence, informatisation.
La vie a continué. Au Québec, seules des minorités sont restées attachées à leur religion. Pour la plupart, nos horizons sont devenus tout autres. Les églises, synagogues et autres, ne tenaient plus guère de place dans nos réflexions et dans notre vie politique.
Puis, il y a eu septembre 2001. Tout à coup, l’Islam est apparu sous un jour terrifiant. Pas de nuance : tous les musulmans sont devenus suspects et on s’est mis à les redouter, même au Québec où ils ne formaient qu’une infime minorité (1,5 %) de la population. En 2011, leur proportion avait doublé. Les préjugés et la désinformation, eux, avaient augmenté à une vitesse exponentielle. Plusieurs ont transposé ici des analyses basées sur la France et son histoire colonialiste. Beaucoup se sont mis à croire à un envahissement démographique musulman et à un danger larvé pour nos modes de vie, notre système juridique, nos libertés civiles et sociales.
Le voile porté par des musulmanes est devenu le symbole de cet islam, qu’il fallait littéralement dévoiler.
Tout un passé de ressentiment contre la domination de l’église a refait surface, exacerbant la réaction. Il s’agirait désormais de protéger nos acquis laïcs !
On appelle donc à la rescousse laïcité de l’État, féminisme, valeurs québécoises, patrimoine, devoir de neutralité, pour bâtir une loi compliquée qui nous évitera de craindre que nos enfants soient embrigadés dans la religion musulmane par la simple vue d’enseignantes portant le foulard.
Tant pis pour les libertés broyées, tant pis pour le vivre ensemble mis à mal, tant pis pour les personnes dont la vie et les droits sont passés à la moulinette !
Mais quelle belle occasion manquée de prendre en compte les changements énormes que nous vivons à l’échelle de la planète et qui appellent à creuser la réflexion, à mobiliser le meilleur de nos forces et à construire des sociétés écologiques, c’est-à-dire qui prennent soin des humain·es autant que de la terre.
Continuons donc à lutter, ensemble, et à chercher les voies d’une démocratie soucieuse d’inclure les différences pour s’en enrichir. Avançons avec force et bienveillance dans cette histoire mondiale chaotique en nous assignant pour but de faire place à la vie, à toutes nos vies.
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