Édition du 17 décembre 2024

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Canada

Dans l’enquête sur les femmes autochtones disparues ou assassinées, n’oubliez pas les filles !

Si nous ne comprenons pas la violence et l’exploitation qu’affrontent les filles autochtones, nous ne pourrons jamais traiter le problème en profondeur.

Tiré de Entre les lignes, entre les mot.

Le 3 août 2016, le gouvernement fédéral a officiellement lancé la longuement espérée et chèrement gagnée Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées. Avec leurs allié-e-s de partout au pays, les femmes et les filles autochtones ont célébré le lancement de cette enquête comme une victoire en soi, puisque des activistes faisaient pression depuis des décennies pour que cette crise soit reconnue et prise au sérieux par tous les niveaux de gouvernement et par la population canadienne.

Bien que le lancement de l’enquête illustre un changement de réponse à cet enjeu, il nous faut procéder avec soin. L’enquête n’aura lieu qu’une fois, et nous devons nous assurer d’aller vraiment à la racine des problèmes qui ont si désespérément besoin d’être pris en ligne de compte. Avec une enquête limitée à deux ans, soit jusqu’à la fin de 2018, et un budget de 53,86 millions $, plusieurs activistes de demandent à juste titre si ce délai et ce budget suffisent à lui permettre de mener une enquête significative face à des enjeux aussi complexes et stratifiés.

À certains égards, la généralité du mandat donné aux Commissaires est une bonne chose, puisqu’ils et elles pourront aborder une vaste gamme de questions, avec assez de souplesse pour changer de perspective au besoin, pour une plus grande productivité. Une population clé qu’ils et elles doivent garder à l’esprit est celle des jeunes filles autochtones.

Même si le titre et le mandat de l’enquête incluent les femmes et les filles, il existe un risque que les problèmes particuliers aux filles ne se voient pas accorder suffisamment d’importance. Aborder ces questions spécifiques aux filles permettra une enquête plus approfondie, dans le but de mettre à jour, d’aborder et de résoudre les causes profondes des vécus incessants de violence masculine que connaissent particulièrement les femmes et les filles autochtones. On voit trop souvent les jeunes filles autochtones être victimes d’inceste, d’abus sexuels et d’exploitation sexuelle. Une fois grandies, beaucoup se retrouvent prises au piège de relations abusives avec des hommes violents ou agressées sexuellement ou prostituées en tant que femmes adultes.

Ces incidents de violence masculine forment un continuum qu’ont vécu trop de femmes et de filles autochtones au cours de nos vies. Si l’enquête néglige d’aborder spécifiquement les circonstances et obstacles particuliers que rencontrent les jeunes filles autochtones, nous échouerons à acquérir une compréhension globale du problème. Nous ne parviendrons pas à examiner les rôles joués par le système de protection de l’enfance, le système de justice pénale pour les adolescent-e-s, les méfaits de l’exploitation sexuelle et de la prostitution, le système d’éducation et l’hypersexualisation des filles par des hommes adultes et d’autres institutions et circonstances, facteurs qui affectent les filles de façons profondes et spécifiques.

Pour remédier à ces situations, il faut produire des recommandations qui soient bien adaptées aux besoins des femmes. Une façon dont nous pouvons entamer ces discussions est de nous assurer de maintenir l’accent sur les femmes et les filles dans notre recherche, nos statistiques, et notre examen, mais pour en arriver à des solutions. Nous devons veiller à constamment nommer qui fait quoi à qui, et à formuler des recommandations spécifiques et concrètes qui prennent en considération les enjeux de pouvoir et d’inégalité comme le sexisme, le racisme et l’oppression de classe.

Cela me conduit à l’invisibilité généralisée des agresseurs lorsque nous parlons des femmes autochtones disparues et assassinées, que ce soit dans le mandat de l’Enquête, dans les médias ou ailleurs. Si nous ne nommons pas le problème, si nous ne commençons pas en désignant nommément qui fait quoi à qui, nous serons beaucoup moins susceptibles de toucher les véritables racines du problème.

Nommer les hommes comme auteurs de la violence contre les femmes et les filles autochtones est une étape essentielle dans la lutte contre ses causes profondes. Cela fournit à l’enquête un cadre important pour formuler des recommandations concrètes qui reflètent la vulnérabilité des femmes et des filles autochtones et s’adressent aux comportements des hommes qui profitent de ces vulnérabilités et les exploitent. Si nous sommes explicites et courageuses dans nos propos, et si nous discutons sans détour de la masculinité, nous pouvons aussi commencer à regarder le genre de changements qui doivent se produire pour que les garçons ne grandissent pas en recevant le message que la violence masculine contre les femmes et les filles est acceptable et un élément de la masculinité. Il est extrêmement important que l’enquête examine cet enjeu, au confluent des facteurs de race, de classe et de sexe, et qu’elle reconnaisse la violence masculine contre les femmes et les filles autochtones comme point de départ d’une enquête malaisée, audacieuse, mais d’autant plus nécessaire.

Ayant eu l’honneur de travailler avec un groupe de jeunes filles autochtones dans un groupe d’accueil anti-violence, je peux témoigner que le fait de disposer d’un espace et d’un soutien réservés aux filles permet à celles-ci de parler librement de leurs expériences et de mettre en commun leurs analyses de la violence masculine contre les femmes et les filles autochtones. Ces groupes peuvent fournir aux commissaires des conditions suffisamment généralisées, et l’enquête peut être menée selon une analyse féministe indigène, où l’on nomme avec cohérence qui fait quoi à qui et où l’on accorde une attention égale à la situation des femmes et des filles.

Cette enquête nationale est une occasion exceptionnelle. Il faudra beaucoup de courage aux gens qui y participeront et collaboreront pour dire et entendre tout ce qui doit être dit et entendu. Espérons que cette enquête attisera nos émotions de colère, de malaise et de frustration ; espérons que nous ressentirons rage, désespoir et tristesse, en faisant place entre nous à la guérison, la sécurité, la libération et la paix. Ce ne sera pas un processus facile, mais c’est une étape nécessaire dans notre effort pour restaurer les valeurs de la collectivité, de l’interconnectivité, de la franchise et du respect pour tous et toutes, y compris les femmes et les filles autochtones, la terre, le ciel, les eaux et toutes nos relations non humaines.

Cherry Smiley, le 11 octobre 2016
 

Cherry Smiley, membre des Nations Nlaka’pamux / Thompson et Diné / Navajo, est une artiste et militante féministe. Elle a travaillé dans un centre d’aide et de lutte contre les agressions à caractère sexuel et maison de transition et a aidé à coordonner une organisation anti violence faite aux filles autochtones. Elle est actuellement boursière Trudeau 2016 dans le programme doctoral de communications à l’Université Concordia.

Cet article est un des dossiers spéciaux Options politiques de la série La jeunesse du pays face aux politiques publiques.

Version originale

Traduction : TRADFEM, avec autorisation de l’autrice et d’OPTIONS politiques.

De l’auteure

Le véritable changement pour les femmes autochtones commence par l’abolition de la prostitution

Quand Amnesty International endosse l’industrie du sexe, ce sont les femmes autochtones et de couleur qui paient la note

En complément possible : deux Communiqués de l’AFAC – Association des femmes autochtones du Canada

Cherry Smiley

Cherry Smiley est une militante féministe et artiste des nations Thompson et Navajo. Elle est co-fondatrice de l’organisation Femmes autochtones contre l’industrie du sexe et a reçu, entre autres distinctions, le Prix du Gouverneur général 2013 en commémoration de l’affaire « personne ». C’est une des Boursières Trudeau 2016. On peut la suivre sur Twitter : @_cherrysmiley_

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