"Dépasser le capitalisme, dites-vous ? Cher ami, vous n’y pensez pas", écrit-il vers la fin de son texte.
Il accuse par la même occasion la direction de Québec solidaire de céder aux sirènes de l’électoralisme et d’essayer de capter "le vote caquiste et péquiste corrompu par la nationalisme identitaire", sous-entendu par la xénophobie ou même le racisme, peut-on conclure de son "analyse".
Il convient donc de faire le point sur toutes ces questions sans prétendre les vider dans le cadre de ce texte, quitte à bousculer les clichés chers à une certaine gauche décrochée des réalités les plus élémentaires.
Commençons par l’anticapitalisme, cette tarte à la crème dont se régalent les radicaux et radicales en paroles.
Le développement économique des sociétés, depuis au moins la haute Antiquité repose sur l’accumulation du capital, agricole, commercial et industriel. Dès, qu’une société atteint un certain degré de complexité, la circulation monétaire s’impose avec les inégalités qui en découlent inévitablement. Le capitalisme industriel des dix-neuvième et vingtième siècles en Occident a connu un développement aussi spectaculaire que tentaculaire, lequel a propulsé certaines des nations où il régnait au premier rang en termes de prééminence technologique. Des pays comme la Grande-Bretagne en premier, puis les États-Unis, la France, la Belgique, les Pays-Bas et l’Allemagne unifiée en 1870-1871 ont alors pu imposer leur suprématie à l’échelle du monde, à divers degrés.
Cette accumulation vertigineuse de capital et le développement poussé des technologies de production, l’une soutenant l’autre ont entraîné une profusion de richesses inégalée jusqu’alors, bien que très inégalement réparties. C’est tout de même ce phénomène qui a permis de mettre sur pied de 1945 à 1975 dans ces pays toute une gamme ce programmes sociaux impensables auparavant, à la suite de la grande Dépression des années 1930 et surtout de la Seconde guerre mondiale qui a provoqué une explosion de la production.
Les revendications et les luttes ouvrières ont aussi joué leur rôle à la longue dans le relatif encadrement d’un capitalisme tout d’abord débridé et l’amélioration, différenciée certes, des conditions de vie de la population.
Par ailleurs, il faut dire qu’il n’existe pas "un" capitalisme mais "des" capitalismes : industriel, financier, global, régional et local. On ne peut mettre sur le même plan un petit entrepreneur qui lance avec passion sa business et un conglomérat financier mondialisé.
De même, les régimes politiques qui se sont réclamé du socialisme ou du communisme (URSS pour commencer, Chine ensuite, puis Cuba) ont en fait créé une forme de capitalisme d’État en se servant de l’idéologie marxiste-léniniste pour le justifier. Les inégalités sociales y ont perduré quoique sous une autre forme plus "moderne" que sous l’ancien régime. Il n’est pas possible de redistribuer la richesse sans d’abord la créer, ce qui passe par une forme ou une autre d’accumulation de capital.
Nulle part dans son billet, Marc Bonhomme ne précise de quelle manière il souhaite "dépasser le capitalisme". À la lecture, on en retire l’impression qu’il s’agit davantage d’une position théorique, de principe, que d’un projet concret. Il y a une raison à cela : la "dictature du prolétariat", notion chère à une certaine gauche maoïste durant la décennie 1970 relève de l’utopie, c’est -à-dire de "la cité de nulle part".
Non en effet, Québec solidaire n’est pas communiste mais tout bonnement social-démocrate parce que les conditions sociales, politiques et culturelles québécoises et nord-américaines ne permettent pas d’aller plus loin. Mais on peut faire autrement.
Sa direction verse dans l’électoralisme et tente de s’approprier le vote péquiste et caquiste ? Oui, et alors ? En mettant sur pied un parti politique unifié qui accepte les règles du jeu électoral, les membres de l’Union des forces progressistes et Option citoyenne ont choisi une voie qui impose ses contraintes et ses avantages ; ce qui ne justifie pas d’accepter n’importe quelle manoeuvre ou compromission de la part de ses responsables, mais il faut se rappeler que la politique constitue aussi l’art du compromis. Nul ne peut régner innocemment, même à la tête d’un parti d’opposition. Recueillir l’appui du plus grand nombre possible d’électeurs et d’électrices péquistes et caquistes s’avère une nécessité et commande certaines stratégies si Québec solidaire veut se rapprocher du pouvoir, seul moyen de changer vraiment les choses, de corriger au moins certaines injustices et de donner du pouvoir aux travailleurs et travailleuses. Bonhomme se lance dans une accusation gratuite et n’amène aucune preuve soutenant son affirmation lapidaire selon laquelle le vote caquiste et péquiste serait "corrompu" par la nationalisme identitaire. Ces gens sont nationalistes oui, ils s’identifient au Québec mais il ne s’ensuit pas pour autant que la plupart soient xénophobes.
Pour accéder au pouvoir (ce dont Québec solidaire est encore très loin), il existe des conditions auxquelles on ne peut échapper qu’en imagination. Marc Bonhomme et ses semblables se contentent de faire du noyautage et de jouer le rôle de nuisances au sein de Québec solidaire. Ils se livrent à une forme de parasitisme organisationnel.
Quand on milite dans un parti politique, il faut se plier aux contraintes inhérentes au régime électoral en vigueur et s’adapter à la culture politique ambiante.
Pour finir, je reprendrai une affirmation du philosophe français Albert Camus qui affirmait en substance que le mieux qu’on puisse espérer, c’est la moins mauvaise répartition possible de l’injustice.
Jean-François Delisle
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