Édition du 17 décembre 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Question nationale

Constituante et processus constituant

À propos de la constituante, il faudrait que le prochain congrès de Québec solidaire se prononce plus que sur un ou deux amendements "clarificateurs", car il s’agit d’une conception d’ensemble dont il faut s’approprier les tenants et aboutissants : en fait celle d’un processus en devenir qui, a travers l’élaboration en acte d’une constitution par une assemblée de "députés constitutants" définissant le pays du Québec que l’on veut, finit par déboucher sur une déclaration d’indépendance qu’on validera à la toute fin par voie référendaire.

La difficulté réside cependant dans le fait qu’il n’y a pas d’antécédents historiques sur lesquels s’appuyer. Car dans la formule QS —une formule très inventive— l’assemblée constituante ne sert pas seulement à élaborer une constitution nouvelle (comme au Venezuela par exemple où l’on passe de la 4ième à la 5ième République), mais encore à concevoir "le moment constituant" comme "un moment mobilisateur et générateur" d’appuis populaires plus larges, plus encore comme l’occasion offerte à tous et toutes de participer à "un processus d’accession à l’indépendance en acte", puisque le projet de QS est de discuter de la constitution que l’on veut à travers une large démarche participative, mais en même temps dans la perspective de l’indépendance.

Bien sûr on ne peut pas présumer du résultat, mais on peut très clairement indiquer la direction que QS privilégiera de toutes ses forces quand il sera au gouvernement. D’autant plus si l’on est capable de re-situer une telle démarche dans le contexte qui la conditionne, celui d’un large processus de mobilisation sociale et politique du Québec déjà préexistant.

Impossible en effet d’imaginer l’arrivée de QS au gouvernement (avec par exemple 33 ou 35% des votes et une étroite majorité de députés) sans déjà préalablement de premières polarisations politiques, et donc d’importantes mobilisations sociales et populaires existant en arrière plan, en somme sans une ébullition sociale et une fièvre collective de changements marquée. Ébullition sociale et fièvre de changements néanmoins encore insuffisantes pour obtenir une véritable majorité permettant d’aller de l’avant en termes d’indépendance : obtenir au moins et si possible beaucoup plus que 50% des suffrages.

D’où l’intérêt du processus constituant qui en prenant le temps de faire participer démocratiquement la collectivité du Québec à l’élaboration de la constitution du pays qu’elle désire bâtir, permet non seulement de réfléchir au pays que nous voulons (en mettant à l’ordre du jour la question de l’indépendance), mais encore de le définir, constitutionnellement parlant, ici et maintenant, et ainsi d’en faire apercevoir pour de larges secteurs de la population, tous les côtés avantageux (en termes de droits collectifs, de droits des femmes, des travailleurs, de principes écologiques, etc.), défaisant au passage la barrière entre question sociale et question nationale ; barrière à laquelle tiennent tant par ailleurs le PQ et Option nationale. D’où le côté rassembleur et mobilisateur, mais aussi émancipateur d’un tel exercice...

Il reste qu’une telle démarche ne peut se comprendre et avoir du sens que si le passage par la constituante est conçue comme autre chose qu’une simple invitation faite par le gouvernement de QS à discuter démocratiquement de constitution avec tous les secteurs de la population. Ce passage devrait être plutôt pensé comme "l’instrument démocratique puissant" à travers lequel QS va parvenir à rallier (parce qu’il va se battre pour cela) de larges secteurs de la population autour de son projet d’indépendance, et cela au fil d’une mobilisation grandissante qu’il encouragera.

L’histoire d’ailleurs nous confirme la viabilité d’une telle stratégie. Très souvent lorsqu’arrive au gouvernement un parti de gauche, il est porté par une vague qui lui permet souvent dans les semaines ou les mois qui suivent de l’emporter aussi lors de scrutins législatifs subséquents. On peut donc très bien imaginer que dans le sillage de son élection, le gouvernement de QS puisse faire élire une majorité de députés constitutants qui lui permettront de faire avancer son projet de pays indépendant à l’assemblée constituante. Le recours à la constituante comme processus démocratique ne doit cependant pas être pensé comme un processus démocratique formelle à propos duquel Qs pourrait se laver les mains en laissant les députés constituants délilbérer à leur guise, mais comme le moyen de construire activement —à travers le jeu démocratique— de nouveaux rapports de force collectifs permettant de penser la rupture effective avec le fédéralisme. C’est là une nuance décisive et c’est sur celle-ci qu’il faut donc insister.

Ce processus —bien que complexe et difficile a priori à saisir dans toutes ses dimensions tant il est novateur— a beaucoup d’avantage : (1) il permet de pallier aux limitations des référendums (80-95) et à leurs échecs passés, car le débat se fait sur une longue période de temps, à travers plusieurs scrutins, installant ainsi des conditions plus favorables pour contrecarrer le monopole médiatique qui a été si décisif dans les défaites référendaires passés ; (2) il permet d’approfondir le "protagonisme" populaire, en favorisant des processus inclusifs de démocratie participative chaque fois plus larges ; (3) il permet d’échapper aux impasses du programme de Option Nationale qui avec son programme actuel ne fait que transformer les élections provinciales en élections référendaires, renvoyant de fait aux calendes grecques toute possibilité d’élargir la base de ceux qui seraient prêts à s’engager vers l’indépendance ; (4) Il permet de penser le travail de députés constituants en rapport avec les demandes provenant de tous les secteurs sociaux (un peu comme lors d’États généraux). (5) Il permet enfin de lier étroitement question sociale et question nationale, faisant du peuple souverain un acteur privilégié de ce processus.

Pierre Mouterde

Pierre Mouterde

Sociologue, philosophe et essayiste, Pierre Mouterde est spécialiste des mouvements sociaux en Amérique latine et des enjeux relatifs à la démocratie et aux droits humains. Il est l’auteur de nombreux livres dont, aux Éditions Écosociété, Quand l’utopie ne désarme pas (2002), Repenser l’action politique de gauche (2005) et Pour une philosophie de l’action et de l’émancipation (2009).

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