Édition du 17 décembre 2024

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Environnement

Commentaires du Regroupement vigilance hydrocarbures Québec sur les projets de règlements de mise en oeuvre de la Loi sur les hydrocarbures

Lettre à Madame Madame Luce Asselin, Sous-ministre associée à l’Énergie et aux Mines. Pour respecter ses engagements climatiques, pour protéger l’eau qui est un bien commun irremplaçable, pour préserver les écosystèmes dont notre survie dépend et pour maintenir la paix sociale, le gouvernement du Québec doit prendre tous les moyens possibles pour empêcher le développement de la filière des hydrocarbures fossiles.

Lettre à :

Madame Madame Luce Asselin
Sous-ministre associée à l’Énergie et aux Mines
Ministère de l’Énergie et des Ressources naturelles,

Veuillez recevoir les commentaires du Regroupement vigilance hydrocarbures Québec (RVHQ) sur les projets de règlements de mise en oeuvre de la Loi sur les hydrocarbures publiés le 20 juin 2018 dans la Gazette officielle du Québec. Lors de la parution de la première mouture de ces projets de règlements en 2017, nous avions émis des critiques fondamentales sur leur contenu. Nous mettions en doute leur légitimité étant donné l’absence d’acceptabilité sociale de la filière des hydrocarbures fossiles, le fait que les projets de règlements consacraient la mainmise des sociétés pétrolières et gazières sur le sous-sol du territoire québécois et le fait que la loi sous-jacente aux projets de règlements avait été adoptée sous le bâillon, dans un climat de confrontation. D’ailleurs, il peut être utile de se rappeler ici que seuls les 25 premiers articles des quelques 290 que compte la Loi sur les hydrocarbures (H-4.2) furent débattus en Commission parlementaire.

À la fin de l’année 2017, nous recommandions ainsi au gouvernement du Québec : 1) de retirer les projets de règlements de mise en oeuvre de la Loi sur les hydrocarbures ; 2) de réviser en profondeur la Loi sur les hydrocarbures ; et 3) d’abroger les permis de recherche d’hydrocarbures déjà attribués.

Nous n’étions pas les seuls à se montrer si limpides. Ainsi le Collectif scientifique sur la question des gaz de schiste, regroupant 181 scientifiques, s’exprimait ainsi en regard de la première version des règlements : « Les projets de règlements se limitent à l’encadrement des étapes d’opération de l’industrie. Ils s’inscrivent de manière explicite dans la politique d’allégement réglementaire du gouvernement, répondant à la vision et aux besoins de l’industrie. Ils consacrent l’autorégulation des titulaires de licence comme principe cardinal régissant les activités des sociétés gazières et pétrolières. Ils avalisent la prépondérance des droits des exploitants sur ceux des citoyens et citoyennes et la mise à l’écart des autorités locales sur les décisions qui concernent le développement de l’industrie des hydrocarbures sur leur territoire. Ils proposent des distances séparatrices entre les forages et les résidences des citoyens abusivement étroites et dangereuses pour la santé. »

Le Collectif concluait ainsi : « Nous formulons cette recommandation de première ligne relative aux projets de règlements : l’interdiction de toute technique non conventionnelle d’extraction des hydrocarbures, dont la fracturation, dans les forages d’exploration et d’exploitation d’hydrocarbures. Cette interdiction implique le retrait des projets de règlements annoncés, ainsi que la modification radicale de la Loi concernant la mise en oeuvre de la Politique énergétique 2030 ».

Nous voici maintenant en août 2018, quelque huit mois plus tard. Une seconde mouture de la réglementation relative aux hydrocarbures a été publiée en juin, peu différente de la première – nous y reviendrons. Le ministre Moreau s’en est fait un habile porte-parole et des réactions, timides, ont fait ici et là surface. Concernant la Loi sur les hydrocarbures, elle n’est toujours pas en vigueur, vingt mois après son adoption, donnant raison aux comités citoyens qui ne voyaient aucune urgence à l’adopter. Certains pourraient arguer qu’il fallait terminer la rédaction de la réglementation avant que la loi puisse prendre effet, et qu’elle sera sans doute mise en vigueur dès lors, au courant des prochaines semaines peut-être. Force est alors de constater que de crier au temps du Far West (ligne de communication fréquemment utilisée par le ministre en poste et son prédécesseur), relève soit d’une vue de l’esprit, soit d’une volonté de faire croire à la population que l’exploitation des hydrocarbures au Québec est une fatalité, bien que le gouvernement ait aussi le pouvoir – et, dirions-nous, le devoir – de l’empêcher plutôt que de prétendre l’encadrer. Aussi est-il étonnant d’entendre souvent, parfois d’un même souffle, que l’industrie est somme toute déjà bien encadrée et qu’il n’y a pas de risques sur les terres du Québec. On ne peut affirmer à la fois que les choses sont déjà bien encadrées et qu’il faut agir en toute urgence pour le faire !

Concernant la situation des permis d’exploration, nous sommes heureux de constater que leur nombre baisse sans cesse depuis la formation de nos premiers comités en 2009. À l’heure actuelle, ils couvrent un peu plus de 46 000 km2, une superficie deux fois moindre que celle prévalant en 2009, alors que les titulaires croyaient qu’il suffisait d’amener les camions-pompes sur le territoire québécois pour en extraire les hydrocarbures. Tandis que les permis s’étalaient alors quasi continûment de Dundee au golfe du St-Laurent en passant par Montréal et Québec, nous nous retrouvons aujourd’hui devant une carte où les 2/3 de la superficie des permis se trouvent dans les régions du Bas-Saint-Laurent et de la Gaspésie. Est-ce un véritable gain ? Non, car rien dans les nouveaux règlements ne semble limiter les possibilités d’exploration sur l’ensemble du territoire québécois ou l’émission à court terme de nouveaux permis dans les portions actuellement abandonnées par les exploitants. Jusqu’ici, il n’y a eu aucune abrogation de permis ni territoire soustrait, si ce n’est peut-être sur l’île d’Anticosti, quoique là encore, il semble que six permis demeurent [1].

Quant aux forages, l’activité semble suspendue pour les projets Bourque, Galt et Haldimand mais cela origine d’un holà des communautés micmaques et de l’action de quelques groupes citoyens. Selon nous, il suffirait d’une remontée des prix du gaz naturel et du brut sur les marchés pour que l’industrie rapplique ici et là, et ce ne sont pas les nouveaux règlements qui changeront la donne [2].. Si maintenant les forages ne peuvent s’effectuer à moins de 1000 mètres des périmètres urbanisés, qu’est-ce qui empêcherait une compagnie de forer à 1001 mètres des limites de ce périmètre et de forer à l’horizontale sur 2000 ou 3000 mètres ? Y compris sous les habitations et les établissements que les règles sont censées protéger ?…

De plus, selon les règlements proposés, « le ministre peut toutefois permettre une réduction des distances si le titulaire lui démontre qu’une mesure de protection permet de réduire les risques ». Il y a vraiment ici de quoi susciter des inquiétudes parmi les citoyens. Bien que la seconde mouture offre des distances plus grandes que la première, nous sommes d’avis que ces distances demeurent insuffisantes et qu’elles souffrent d’un vice fondamental : celui de ne pas tenir compte de l’ensemble du puits et de ses ramifications sous la surface du sol.

Venons maintenant à la fracturation, méthode utilisée présentement dans plus de 80 % des puits forés en Amérique du Nord. Les nouvelles règles stipulent une distance de protection verticale de 1000 mètres mais cela d’une section du puits en profondeur à la surface, et non pas de la fin de l’extension des fractures à la surface. Encore là, nous avons un vice de fond. Quelle sera donc la véritable distance de protection entre les nappes aquifères et les additifs de fracturation ?…

Le RVHQ s’objecte aussi au fait que la fracturation ne soit interdite que dans le schiste. Il n’y a aucune raison fondamentale pour que cela soit ainsi. Soit l’on n’interdit pas la fracturation dans le schiste, soit on l’interdit dans toutes les roches. L’interdire dans le seul shale d’Utica, si cela est véritablement le cas, tient plus d’un calcul politique que d’une mesure de protection de l’environnement. D’ailleurs, une analyse récente de Marc Durand, un ingénieur-géologue ayant contribué fortement à la vulgarisation du sujet, va exactement dans ce sens [3].

Selon nous, les présents règlements consacrent l’utilisation de la fracturation sur le territoire. Si auparavant, elle n’était pas interdite mais point nommée, elle est maintenant permise et nommée. Au lieu de se ranger du côté de nombreuses législations l’ayant proscrite (France, Vermont, Bulgarie, État de New York, Nouveau- Brunswick, Nouvelle-Écosse, Terre-Neuve, Irlande, Maryland, Uruguay, etc.), le gouvernement du Québec semble donner, de manière de plus en plus explicite, les règles à suivre aux compagnies gazières et pétrolières pour le faire. Il est clair pour nous, et l’on peut prendre pour seul exemple la définition de la fracturation [4]4, que le gouvernement semble adopter une ligne de pensée favorisant les promoteurs au mépris de la volonté de la population.

Les compagnies n’annoncent pas qu’elles procèderont à des opérations de fracturation (le cas gaspésien est très clair à cet égard) mais elles le font déjà ailleurs et, avec le temps, elles le feront ici, suivant le même scénario que dans les juridictions ouvertes depuis longtemps à l’industrie. Les promesses de l’industrie de ne pas recourir à la fracturation n’ont aucun écho au RVHQ car nous savons très bien que pour obtenir des débits économiquement rentables sur des gisements de faible teneur, il est indispensable de fracturer l’horizon rocheux sur la plus grande distance possible.

L’industrie fait aussi valoir depuis quelques années mais particulièrement depuis la prépublication des nouveaux règlements qu’elle n’émettra aucun gaz à effet de serre pendant la production, qu’elle n’utilisera aucun additif chimique et qu’elle recyclera 100 % de l’eau utilisée [5]. Ici aussi, ce n’est que de la poudre de silice à nos yeux. D’une part, rien dans les règlements n’oblige les compagnies à de telles prouesses [6]6 – pourquoi alors s’imposeraient-elles de telles contraintes ?... D’autre part, nous n’avons vu nulle démonstration, où que ce soit, par l’industrie, qu’il pourrait en être ainsi. N’est-ce pas là de simples arguments publicitaires ?…

Ce dont il est surtout question, sur les sites spécialisés, c’est de la fracturation multiétagée, laquelle permet d’augmenter l’efficacité de l’extraction, ou de nouveaux designs des sites d’opération, procurant une réduction des coûts. La priorité de l’industrie n’est vraiment pas de tenter de faire une omelette sans casser les oeufs mais de demeurer compétitive, y compris dans un contexte de bas prix sur les marchés.

Par ailleurs, même dans l’hypothèse peu crédible où l’industrie parviendrait à extraire du pétrole ou du gaz sans émissions de GES, sans additif chimique et en recyclant 100 % de l’eau utilisée, le terme « gaz ou pétrole propre » demeurerait tout à fait inapproprié pour désigner ces combustibles fossiles. En effet, une fois libérés du soussol, les hydrocarbures ne feront, à terme, en aval si vous préférez, que contribuer à augmenter le réchauffement planétaire et l’acidification des océans ; il n’y a rien de louable ou de souhaitable à cela.

Malgré les qualificatifs utilisés par l’industrie pour présenter leurs procédés, notre opposition à la filière demeure entière. Nous sommes, habitants de la planète, dans un état d’urgence climatique et il serait tout à fait contraire au bon sens, d’implanter ici une industrie qui contribue fortement au dérèglement du climat. Il nous faut donc dire non à cette industrie.

À propos de oui ou de non, nous n’accordons aucune crédibilité aux affirmations de l’industrie voulant qu’aucun projet n’aille de l’avant sans acceptabilité sociale car ce terme n’est nulle part mentionné dans la nouvelle version des règlements ou dans la Loi sur les hydrocarbures. Quelle garantie, sinon la parole des gazières, avons-nous ?...

En somme, si l’on examine les deux versions prépubliées des règlements sur les hydrocarbures, il apparaît qu’elles sont semblables à plus de 90 %. Seules quelques valeurs ou formulations ont été changées. Sur le fond, c’est à peu près la même chose. Nous n’en sommes pas étonnés car depuis l’avènement du gouvernement en 2014, toutes les actions prises vont dans le sens d’une écoute de l’industrie et non d’une écoute de la population. Depuis 8 ans que nous sommes à pied d’oeuvre dans le dossier des hydrocarbures, nous sommes donc en mesure d’affirmer que la volonté d’écoute du gouvernement envers les groupes citoyens est minime. Dans les faits, le seul gain que nous ayons obtenu reste la moindre superficie des permis d’exploration, résultat d’un découragement des titulaires ou d’un besoin d’économiser. Mais comme dit plus haut, rien n’est définitivement acquis.

En terminant, nous aimerions souligner quelques inexactitudes émanant de votre ministère. En rafale, nous nous objectons aux affirmations à l’effet que les distances séparatrices s’accumulent, que le secteur Haldimand est protégé [7], que le milieu hydrique l’est aussi [8], de même que les baies gaspésiennes [9]. Est-ce toujours aux citoyens que revient la tâche de corriger les inexactitudes ?…

Pour respecter ses engagements climatiques, pour protéger l’eau qui est un bien commun irremplaçable, pour préserver les écosystèmes dont notre survie dépend et pour maintenir la paix sociale, le gouvernement du Québec doit prendre tous les moyens possibles pour empêcher le développement de la filière des hydrocarbures fossiles. Conséquemment, comme nous le disions dans notre précédente lettre de commentaires, aucune région du Québec ne peut être sacrifiée : pas plus la Gaspésie ou le Bas-Saint-Laurent que la vallée du Saint-Laurent.

En conséquence de ce qui précède, nous réitérons nos demandes, soit que le gouvernement du Québec :

• retire les projets de règlements de mise en oeuvre de la Loi sur les hydrocarbures ;

• révise en profondeur la Loi sur les hydrocarbures, avant sa mise en vigueur, afin d’en faire une loi empêchant le développement de la filière pétrolière et gazière au Québec ;

• abroge les permis de recherche d’hydrocarbures déjà attribués.

Sur une note plus philosophique, permettez-nous de reprendre les propos d’André Gorz, vieux de plus de vingt ans, et qui vont ainsi :

« Il est temps de penser à l’envers : de définir les changements à réaliser en partant du but ultime à atteindre et non les buts en partant des moyens disponibles, des replâtrages immédiatement réalisables » [10]. Veuillez agréer, Madame, l’expression de nos sentiments respectueux.

Marc Brullemans Rosalie Laframboise
Coordonnateur général et porte-parole Coordonnatrice générale adjointe marc.brullemans@rvhq.ca rosalie.laframboise@rvhq.ca

c. c. : Monsieur Pierre Moreau, ministre de l’Énergie et des Ressources naturelles Monsieur Philippe Couillard, Premier ministre


[1Ces permis apparaissent sur la carte interactive SIGPEG du MERN et couvrent une superficie de plus de 1000 km2

[2D’ailleurs, il peut être intéressant de constater que Pieridae déclare sur son site Internet qu’elle a sept (7) projets de gaz naturel au Québec. Lien ici : https://bit.ly/2KlHgGs .

[3Marc DURAND (2018). « La fracturation hydraulique n’est pas plus acceptable dans les gisements marginaux dans des grès, des microgrès ou des calcaires, qu’elle ne l’est dans le schiste. Il est incohérent et illogique de maintenir des dispositions pour permettre la fracturation hydraulique au Québec. » https://bit.ly/2uYlFir

[44 Selon la définition de la fracturation (H-4.2), le gouvernement ne considère que les nouvelles fracturations induites et non pas de l’extension, lors de la fracturation, de fractures naturelles déjà présentes.

[5On peut lire de telles exagérations aux liens suivants : le Peuple Lotbinière, 12 juillet 2018 ; https://bit.ly/2vBUB82 ; La Presse, 25 juillet 2018 https://bit.ly/2MiIoMW ; APGQ, 26 juillet 2018 : https://bit.ly/2AnMWQm .

[66 Ainsi aux articles 14 et 15 du règlement en milieu terrestre, il est stipulé que l’on doive minimiser les émissions et que l’on doive user des « meilleures pratiques », mais aucun seuil maximal d’émissions n’est établi.

[7Voir communiqué du 7 juin ( https://bit.ly/2LZEiMA ) et un texte de Martin Bélanger du 20 juillet ( https://bit.ly/2AL7anE ) de la compagnie Pieridae, titulaire des droits dans le secteur, dans lequel on peut lire : « Il est toutefois intéressant de constater que pour Haldimand #1, le projet de règlement ne restreindrait aucun type de travaux. » .

[8Il est vrai que la fracturation en milieu hydrique serait interdite (article 183 du règlement sur le milieu hydrique) mais rien n’interdit formellement les forages dans les lacs et rivières ou que la fracturation puisse se produire 1000 mètres en-dessous d’un lac ou d’une rivière. Sinon, pourquoi le règlement sur le milieu hydrique exigerait-il que le titulaire fournisse les appareils de navigation utilisés (article 8, 39, 54, 58, 107, 111, 159, 163, 182, 188, 203, 205, 207, 258), des cartes bathymétriques (articles 38, 54, 57, 58, 110, 111,163, 188, 237, 287) ou encore, comme dans les rapports journaliers, la direction des vagues et de la houle ?

[9« Les baies sont le prolongement de l’écosystème du St-Laurent » peut-on lire ici sur le site de la radio CHNC : ( https://bit.ly/2vuC1i4 )

[10André GORZ (1997). Misère du présent, richesse du possible, Galilée, p.119.

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