Édition du 17 décembre 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Éducation

Comment poursuivre le printemps érable ?

Au moment où Jean Charest vient de déclencher des élections, pas question d’abandonner la lutte et le réveil social amorcés au printemps, essentiellement grâce au mouvement étudiant, sous prétexte que « c’est dans les bureaux de vote que les débats et les conflits sociaux doivent se régler » ! Mais COMMENT peut-on le mieux poursuivre ce mouvement social si prometteur et important né dans la foulée de la grève étudiante contre la hausse des frais de scolarité universitaires ?

La campagne électorale officielle commence. Mais elle n’effacera pas ce qui est en marche depuis déjà près de six mois. La prochaine étape du mouvement social, qui se décidera dans les prochains jours, sera la rentrée scolaire du 15 août décrétée par la Loi 78 pour tous ceux et celles dont la session d’hiver n’a pas été complétée. Que devraient faire les étudiants ?
Mon premier réflexe, c’est de souhaiter que les étudiants décident démocratiquement de reprendre leurs cours, au cours des assemblées générales qui seront bientôt convoquées pour décider de la marche à suivre pour la « rentrée » du 15 août. Reprendre les cours non pas pour mettre fin à la grève, mais comme moyen différent de poursuivre celle-ci ! Cette stratégie se justifie pour au moins quatre raisons :

1- Pour décontenancer et surprendre l’adversaire : le gouvernement libéral actuel ne souhaite sans doute pas mieux qu’une rentrée perturbée, le blocage des portes des institutions d’enseignement, l’intervention policière musclée pour « rétablir l’ordre et le respect de la loi » et, qui sait, l’application possible des mesures draconiennes de la Loi 78 contre les associations étudiantes rebelles.

2- Pour déplacer le terrain du conflit : passer de l’absence des classes à l’occupation des classes, de l’affrontement légal et juridique (est-ce une grève ou un « boycott », piquetage et Loi 78) à la mobilisation citoyenne en faveur de la gratuité scolaire, de la rue aux nombreux mouvements sociaux et populaires rejoints par le printemps érable.

3- Pour maximiser les possibles de la démocratie parlementaire : la démocratie représentative (les élections aux 4 ans) a ses limites et ses défauts, mais elle demeure l’endroit actuel où plusieurs grandes orientations sont prises et où les lois (bonnes ou mauvaises) sont votées. En ce sens, il serait politiquement irresponsable de ne pas se préoccuper du résultat des prochaines élections, sous prétexte que les politiciens ou les partis sont « tous pareils ». Contribuer à l’élection du Parti Libéral, du Parti Québécois ou de Québec solidaire (pour ne nommer que ceux-là) aura concrètement des conséquences importantes.

4- Et finalement, pour « recharger les batteries », compléter la session interrompue, remobiliser les troupes en faisant un bilan provisoire des importants gains réalisés ce printemps et reprendre au besoin la grève, ou tout autre moyen de pression jugé adéquat, une fois la session d’automne entreprise, ou même au cours de la prochaine session d’hiver s’il y a lieu.
Car, est-il besoin de le rappeler, la grève étudiante, les manifestations (occasionnelles ou quotidiennes), les casseroles ou les tournées provinciales de rencontres citoyennes ne sont toutes que des moyens et non pas des objectifs en soi.
Mais ma préférence exprimée plus haut (en faveur d’un retour en classe, le 15 août, comme nouvelle tactique dans la poursuite d’un même combat) est-elle la meilleure stratégie politique dans le contexte social québécois actuel ?

Il est clair que le « radicalisme » de la CLASSE (comme cela a été si souvent répété par le gouvernement Charest, véhiculé par les médias et perçu par une bonne partie de la population, qu’on opposait aux associations étudiantes plus « raisonnables » et « responsables » qu’étaient la FEUQ et la FECQ) a largement contribué à la naissance et à l’approfondissement du printemps érable. C’est finalement la revendication de la gratuité scolaire, le militantisme démocratique mais ferme et la persévérance remarquable des associations étudiantes membres de la CLASSE qui a le plus « dicté le tempo » et exercé le leadership du mouvement social qui s’est développé au Québec depuis février dernier. Et c’est sans doute aux « radicaux » du mouvement (qui ne se limitent d’ailleurs pas à la CLASSE) qu’on doit d’avoir évité le danger de récupération qui est toujours omniprésent quand menacent des changements sociaux importants.

Ce radicalisme souhaiterait sans doute la poursuite de la grève, le blocage de la rentrée du 15 août, la poursuite des manifestations larges d’opposition au gouvernement Charest et même, pour les plus extrémistes, le boycottage des prochaines élections par crainte de voir le mouvement social récupéré par « l’illusion électoraliste ».

Moi non plus, je ne veux pas qu’on perde cette « étincelle » extraordinaire qui a pris naissance au printemps, ce réveil d’un intérêt citoyen, ce brassage d’idées quant à l’avenir du Québec, cette volonté de redevenir « Maîtres chez nous ». Moi non plus, je ne veux pas que la mobilisation étudiante s’affaiblisse et que la jeunesse québécoise « rentre peu à peu dans les rangs ». Moi non plus, je ne veux pas qu’on oublie ce pouvoir populaire, qu’on a découvert avec un peu de surprise en sortant sur nos coins de rue avec nos voisins et leurs casseroles, et qui est le gage le plus prometteur d’un éventuel projet collectif de pays.

Je ne veux donc pas que la rentrée du 15 août ou l’élection du début septembre servent à enterrer les espoirs qu’a fait naître ce printemps mémorable de 2012. Mais pour s’en assurer, il faut avoir la sagesse et le recul nécessaires, deux qualités qu’on n’associe pas généralement à la fougue de la jeunesse, mais que les leaders étudiants ont plusieurs fois démontrées jusqu’ici. Dans n’importe quelle lutte sociale, il faut savoir jusqu’où on peut repousser l’adversaire et savoir quand il faut s’arrêter et sceller la paix. Le jusqu’au-boutisme n’est jamais bon conseiller : à vouloir être trop gourmand, on risque de tout perdre.

C’est pourquoi je respecterai les décisions prises par les étudiants réunis en assemblées générales, quelles qu’elles soient. Mais parce que j’estime qu’une poursuite de la grève étudiante et plus encore un blocage des campus pour empêcher la reprise des cours le 15 août favorisera davantage le jeu électoral des Libéraux de Jean Charest que les intérêts véritables du printemps érable, je souhaite vivement que les leaders étudiants, y compris ceux de la CLASSE, fassent du retour en classe du 15 août une étape nouvelle et significative dans la poursuite de la lutte amorcée. En espérant que les résultats électoraux du 4 septembre, qui ne pourront en aucun cas être une réponse adéquate aux revendications sociales exprimées au printemps, puissent être à leur tour une seconde étape intéressante dans la poursuite du printemps érable.

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